« Naturalité », ou « desseralité », à moins d’être de grands fanatiques de la haute cuisine, et plus précisément de la grande pâtisserie française contemporaine, ces termes ne vous sont pas forcément familiers. Voici l’occasion ou jamais de se les approprier ! En effet, Jessica Prealpato, la jeune et talentueuse cheffe pâtissière qui officie chez Ducasse, était de passage à Dubaï pour préparer la conception du « dessert signature » du Pavillon France dont elle est la marraine, et qu’elle souhaite un pont culinaire entre les Émirats et la France.
À cette occasion, Jessica Prealpato nous raconte sa réflexion et son approche désacralisée du dessert : au contact de Ducasse, elle a adapté le travail des desserts au concept de « naturalité » promu par ce dernier. Il s’agit de mettre en valeur le produit - frais, au pic de sa teneur en sucre naturel, issu de production locale et respectant au plus proche sa saisonnalité. Elle développe ainsi une pâtisserie “cuisinée”, servie fraîchement montée et à l’assiette, très loin des comptoirs à pâtisseries pauvres en saveurs et ultra riches en gras, en farine et en sucres industriels.
Je vise le 100% local
Lepetitjournal.com/dubaï : Qu’avez-vous envie de transmettre avec ce « dessert signature » destiné au Pavillon France ?
Jessica Prealpato : J’en suis encore au prototype bien entendu, la création d’un dessert est très longue et je n’ai que peu de temps sur place, mais j’ai emmagasiné une foule d’idées et de nouvelles saveurs avec lesquelles je vais travailler. Je ne peux pas reproduire ce que je fais en France, où je travaille à 98% les fruits frais de saison afin d’utiliser leur pic de sucrosité, mais je veux adapter ma façon de faire en m’appuyant au maximum sur les producteurs locaux, les épices traditionnelles, et ce qui fait la desseralité des Émirats, sur leur terroir. Je ne veux rien faire importer pour ce dessert et je vise le 100% local ! J’ai fait des essais avec de la pastèque rôtie, des épices bien entendu en particulier la cardamone verte, le safran, le sirop de dattes, le citron frais, une glace au labneh… j’ai encore beaucoup de travail, autour du dosage des épices notamment, mais c’est très excitant, je découvre plein de choses comme l’immense variété des dattes, dont une en particulier que j’ai goûtée, avec un parfum de réglisse très intense, un goût boisé super intéressant. Et puis j’ai beaucoup aimé l’importance symbolique et culturelle de ce fruit que je me réjouis de travailler.
C’est vraiment un projet très excitant !
Vous avez la réputation d’éviter le sucre, le comble pour une pâtissière non ?
Alors n’exagérons rien, je ne travaille pas non plus à un régime « zéro sucre » (rires), disons que j’aime utiliser le fruit au maximum de sa teneur en sucres naturels, et que pour moi le sucre est un assaisonnement, comme le poivre par exemple, pas un ingrédient central. Je n’aime pas en rajouter, ni utiliser du sucre blanchi. Moi je n’ai jamais aimé la pâtisserie, en tout cas celle débitée au mètre dans les boulangeries-pâtisseries, noyée de gras et de sucre, souvent semi-industrielle, les recettes traditionnelles telles-quelles, pleines de crèmes et de pâtes diverses et variées… Ce que j’aime c’est une approche toute différente, et surtout c’est la très bonne pâtisserie, très très bien faite, et c’est une chance de la faire connaître à cette occasion justement : mille savoir-faire extraordinaires qui dans le fond peuvent s’exprimer différemment plutôt que de se perdre. Et puis j’ai aussi beaucoup de défis à relever sur la façon dont je vais concevoir ce dessert signature, car évidemment il sera difficile de créer chaque assiette à la demande, et moi je suis habituée à travailler en restaurant avec un dressage minute, pas en boutique: c’est un défi supplémentaire auquel je suis ravie de m’atteler : rendre mon travail plus accessible, qu’il soit disponible en deux versions, une pour les évènements, et une autre plus assouplie pour le rez-de-chaussée du pavillon, qui sera dans l’esprit d’un « fast-food chic ». C’est vraiment un projet très excitant !
C’est aussi la mise en valeur d’un effort global vers le développement durable
Quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris que vous seriez la représentante de la France pour l’Expo ?
Eh bien j’ai d’abord hésité à accepter ce rôle, car pour moi il allait d’emblée avec une sacré responsabilité, et qu’il fallait que je me montre à la hauteur des attentes, je savais qu’il me faudrait être irréprochable, et que je n’aurais pas droit à l’erreur. Lorsque j’ai été invitée à ce déjeuner à l’Élysée et que le Président Macron m’a accueillie d’un « merci d’avoir accepté », je me suis rendue compte que ça me touchait énormément, et puis j’ai compris que j’avais été choisie pour mon travail de défense du terroir, pour mon amour des producteurs. Si nous mentionnons toujours leur nom sur la carte, c’est que pour moi ils font 80% du travail qui se retrouve dans votre assiette… et puis pour l’agriculture française en général, qui mérite tant d’être mise en valeur et au centre, au centre de tout au fond ! C’est aussi la mise en valeur d’un effort global vers le développement durable, une chaîne respectueuse de la terre à l’assiette, qui peut se pratiquer même en pâtisserie : par exemple pour mes essais autour de ce dessert signature j’ai fait infuser les épluchures de pastèques dans le sirop que j’ai utilisé pour réhydrater la semoule en garniture de la glace… et l’accent mis par le Pavillon France sur le développement durable précisément, est très cher à mon cœur et à ma façon d’exercer mon métier. Bref : je me sens à ma place dans ce défi, que je suis autant honorée qu’impatiente de relever.
Je travaille sur un dessert qui sera « assorti au parfum »
Vous aimez les projets qui sortent de l’ordinaire, sortir la pâtisserie de ses traditions guindées et lui faire tenter des expériences rafraîchissantes ?
J’adore sortir des sentiers battus. Par exemple j’ai un autre projet avec Guerlain, nous travaillons sur une Aqua Allegoria (une des eaux de toilettes signatures de la marque) autour du miel. C’est un duo créatif, je travaille sur un dessert qui sera « assorti au parfum ». Donc je travaille avec le Nez en charge du projet, et c’est très déroutant et extrêmement enrichissant : nous échangeons nos « accords », j’apprend à développer un sens olfactif que j’avais jusqu'à maintenant ignoré plus ou moins, et j’ai hâte de voir vers quoi cela me mènera en cuisine !
J’ai vraiment hâte d’en savoir plus sur ce pays
Vous savez que les Émirats sont aussi le pays du parfum, en particulier de l’Oud, de nouveaux accords gustatifs à explorer peut-être ?
J’ai vraiment hâte d’en savoir plus sur ce pays qui culinairement pour moi est encore mystérieux, et j’attends énormément de ma rencontre avec Sahar Parham, la cheffe pâtissière du Burj Al Arab, une femme émirienne extraordinaire qui elle aussi met l’accent sur les producteurs locaux et le respect du produit, et qui va m’embarquer dans une visite de ses traditions à travers les desserts émiriens… quelle chance et quel projet incroyable !
Vous pourrez venir déguster le dessert signature de Jessica Prealpato au Pavillon France, dans le restaurant Le Belvédère, ou au rez-de-chaussée, dès le 1er octobre 2021.
Rediffusion de notre article du 11 avril 2021