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Chez Elli's, un traiteur pas comme les autres

ELLI KOSHER ELLI KOSHER
Photo @ Olivia Froudkine
Écrit par Marie-Jeanne Acquaviva
Publié le 14 août 2021, mis à jour le 14 août 2021

Parfois Dubaï nous offre des surprises stupéfiantes, des moments qui font l’histoire, qui nous y font entrer nous, simples spectateurs, de plain pied par la grande porte. Comme la construction du Louvre d’Abu Dhabi par exemple, ou la récente signature des Accords Abraham, qui ont débuté de façon assez spectaculaire une nouvelle ère de relations diplomatiques entre les Émirats et Israël. Mais parfois l’histoire entre aussi par la petite porte, ou plus exactement par la porte des cuisines : en même temps que se signaient ces accords historiques, s’ouvrait “Elli’s Kitchen”, un traiteur pas tout à fait comme les autres, puisqu’il s’agit du tout premier traiteur casher sur le sol des Émirats. Allons à la rencontre d’Elli donc, une enseignante et mère de famille, qui aimait cuisiner pour ses proches et sa communauté, et qui, l’année de la Tolérance, s’est lancée dans une cuisine… de fraternité.

 

Elli's kitchen

 

Lepetitjournal.com/dubaï : La première question qui vient à l’esprit, c’est qu’est-ce qui vous a poussé à venir vous installer à Dubaï il y a presque dix ans de cela ?

 

Elli Kriel : Nous habitions à Johannesburg, et avions c’est vrai, une vie très confortable au sein d’une communauté de voisinage et d’une communauté de confession juive très active : les fêtes qui rythmaient l’année étaient célébrées ouvertement par tous, l’épicerie du coin était casher, etc. Mais mon mari reçoit cette offre de travail très intéressante et décide d’aller se renseigner sur place.

 

Que découvre-t-il ?

 

Eh bien avant toute chose c’est ce qu’il ne découvre pas qui a capté notre attention (sourire), en quelques semaines d’exploration liée à son futur travail il ne rencontre pas la moindre trace d’antisémitisme, que ce soit insidieusement ou ouvertement, pas la moindre allusion… Ses relations, jour après jour, ne font preuve que de simplicité, d’ouverture, de tolérance.

 

Vous vous décidez alors pour un changement de vie majeur ?

 

Oui, c’est ce qu’on appelle tout de même en anglais un leap of faith, un saut dans le vide ! Nous quittons l’Afrique du Sud qui est un pays magnifique et que j’adore mais qui n’est pas dépourvu de problèmes, d’insécurité ou de violence et nous décidons de nous installer à Dubaï avec nos enfants, où immédiatement nous nous sommes sentis en sécurité. Nous savions que ce serait un endroit où ils grandiraient en paix.

 

Concrètement, comment se passent ces premières années : il n’y a pas de lieu de culte officiel mais vous célébrez le Shabbat en privé à la maison, et cuisinez casher pour les vôtres ?

 

Oui, dès les premiers jours nous avons adhéré au climat de transparence et de modestie : nous avons très bien compris que nous étions acceptés comme nous étions, avec notre foi et nos coutumes, à la simple condition de faire preuve de modestie dans l’exercice de ces dernières. Cela correspondait aussi à ce que nous voulions transmettre à nos enfants.

 

C’est-à-dire ?


Eh bien tout ce qui est en somme l’opposé des stéréotypes. Nous voulions qu’ils grandissent dans l’infini respect des autres cultures, et qu’ils accueillent ce nouveau pays en y remarquant jour après jour ce qui nous rassemble et nous rapproche, et non ce qui nous divise. Nous avons toujours été accueillis avec beaucoup de soutien, de compréhension, il y avait de toutes parts une vraie volonté d’accueil. La société des Émirats est une société fondée sur la diversité, il n’y a pas de culture dominante, ou présentée come telle. Ici personne ne se sent une minorité, ni ne ressent le besoin de défendre ses caractéristiques culturelles, ou à l’opposé d’aller vers l’acculturation. Cette société multiculturelle nous a donc accueilli à bras ouverts à chaque étape ou détails de notre vie. J’ai tissé des liens d’amitiés et des affinités très fortes avec des femmes Émiraties, nous avons passé des années à découvrir ensemble justement combien de points communs avaient nos cultures… J’ai découvert à quel point la vision de Sheikh Zayed, de construire une société dont personne n’est exclu, est profondément ancrée dans le cœur de tous les Émiratis, au même titre que l’ouverture d’esprit ancestrale des bédouins.

 

C’est dans cet esprit au fond que naît Elli’s Kitchen ?

 

Tout à fait. Je cuisine pour ma famille depuis toujours, et également pour notre petite communauté qui se réunissait chez nous pour les prières du samedi. Petit à petit cette communauté a grandit, mes heures en cuisines aussi (rires) ! Et surtout, je dirais que le point de bascule arrive au moment de la grande Interfaith Conference (en février 2019, se réunissaient à Abu Dhabi 700 leaders des grandes religions pour la « Global Conference for Human Fraternity »). Comme chacun le sait le Pape y participe, mais entre autres aussi un groupe de rabbins... Peu de temps après leur arrivée mon mari reçoit un coup de fil un peu sur le mode « Houston we have a problem » (rires), et on lui dit en substance « nous avons un problème, ces rabbins sont arrivés pour la conférence, et… on ne sait pas comment les nourrir ! »… Ce à quoi mon mari a tout simplement répondu « peut être que ma femme peut aider ?»…

elli's kitchen

 

Et c’est ainsi que vous avez commencé votre activité de traiteur ?

 

Oui, en cuisinant de façon assez folle et frénétique (rires) des plateaux repas les uns après les autres, que je devais déposer à Abu Dhabi tous les jours durant cette fameuse conférence ! Rien de spécial en vérité, une simple cuisine familiale mais préparée en respectant les règles de la Cacherout, et qui garantissait à ces rabbins de respecter les règles de notre religion. Ce n’est pas vraiment quelque chose que j’avais prévu dans ma vie, j’ai un PHD en sociologie, j’enseigne… mais bon, cela rendait beaucoup de gens heureux (rires) !

 

Vous continuez ensuite à titre privé, mais avec l’envie de vous développer ?

 

Oui, je rencontre un succès de bouche à oreille immédiat dans notre communauté, et parmi les gens de passage, mais je vois aussi 2019, cette « année de la Tolérance » comme une porte ouverte, une main tendue… que je décide de saisir. Je décide donc de prendre les mesures pour devenir officielle, travailler avec une licence professionnelle et pouvoir me développer.

 

Qu’est-ce que vous proposez, qui sont vos clients ?

 

Eh bien avec l’ouverture amenée par les accords Abraham nous avons vu immédiatement affluer énormément de voyageurs de confession juive venus tant pour le travail, les opportunités, que des voyageurs de tourisme. Des touristes ou des entrepreneurs je dois l’avouer, d’un enthousiasme sidérant : on sent une grande joie de venir à la découverte du Moyen Orient et de Dubaï. Un enthousiasme définitivement partagé par les Émiratis : je ne compte plus les rencontres où l’on nous salue, mon équipe et moi, du magnifique « ma sœur, mes frères », ou « chers cousins »... Donc bien entendu ma clientèle de base est constituée de personnes qui souhaitent manger casher tout simplement, c’est-à-dire des personnes qui en respectent la règle pour des raisons religieuses. Mais ce n’est pas tout bien sûr.

 

C’est-à-dire ?

 

Eh bien si vous avez pu naviguer un peu sur mon site vous aurez remarqué un onglet intitulé « Kosherati » ?

 

Oui, tout à fait ! Est ce que cela désigne une fusion entre la cuisine Casher et la cuisine Émiratie ?

 

Exactement ! Je me suis rendue compte que beaucoup d’Émiratis ont une curiosité pour notre cuisine, et qu’il y a énormément de points communs entre ces dernières, par les épices, les préparations... Et puis, un fait amusant, il y a une dizaine ou une vingtaine d’années beaucoup de jeunes Émiratis sont allés faire leurs études à l’étranger, en particulier aux USA, au Canada, à Londres… À l’époque il était compliqué, voire impossible, de trouver des restaurants ou des traiteurs Halal. Ces jeunes se sont alors tournés vers les fameux deli à l’américaine, qui servaient de la nourriture casher.

 

Mais pour quelle raison ?

 

Tout simplement parce-que la nourriture casher… est aussi hallal. Du fait de la préparation et du respect de certaines règles, ce qui est casher est par essence hallal. Ce qui a permis donc à ces étudiants en exil de respecter tout de même les règles de leur religion, et, par un effet collatéral, leur a permis d’entrouvrir une porte vers une autre communauté.

 

Une communauté avec laquelle ils ont crée des liens ?

 

Oui, parfois des liens d’amitié, d’affinités, mais en tout cas des liens du « goût ». La cuisine casher est devenue ce que vous appelleriez leur « madeleine de Proust », un goût, des recettes, des plats qui vont entrer dans leur cœur et y tenir une place particulière… des plats qu’ils sont ravis aujourd’hui de pouvoir commander chez Elli’s kitchen ! Et puis en absolu, j’aimerais que n’importe qui ait la curiosité de venir goûter : j’aimerais bien proposer bientôt quelques petites tables simplement sur le trottoir pour pouvoir grignoter sur le pouce, pourquoi pas ?

 

Dans quelle direction souhaitez-vous aller, maintenant que toutes les portes vous semblent ouvertes ?

 

Je viens de réaliser que je me trouve à un moment de ma vie professionnelle où j’ai dit « oui » à tout, tant les opportunités me semblaient fantastiques… et parce-que pour l’instant je suis concrètement …la seule (rires) ! Par exemple on me demande beaucoup de travailler sur des mariages ou des Bar-mitzvah, la communauté française en particulier adore venir célébrer leurs fêtes ici à Dubaï, profiter de ce cadre incroyable... et moi j’adore travailler sur des mariages (rires), c’est toujours l’occasion de se surpasser, de travailler dans le beau, la fête… Mais mon espoir c’est que la cuisine casher devienne un marché comme un autre, et qu’Elli’s kitchen puisse y grandir de façon organique, en conservant cette touche personnelle, cette touche du « fait maison » auquel je tiens. Et peut-être un jour devenir la référence de tout ce qui est casher dans la région du Golfe, qui sait ?!

 

Aujourd’hui vous vous sentez chez vous à Dubaï, qu’est-ce que vous y aimez le plus ?

 

La tolérance qui y règne bien sûr, et la nature sauvage qui n’est pas si loin des buildings : le désert, le camping, le grand air, la plage en sortant du travail… C’est un endroit exceptionnel, unique.

 

Pour plus d'informations sur Elli's Kitchen 

 

Rediffusion de notre article du 12 décembre 2020

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Publié le 14 août 2021, mis à jour le 14 août 2021

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