

Encore une aventure d’expat aux idées un peu folles, l’illustration de l’adage “qui ne tente rien n’a rien” qui semble si bien s’appliquer à ceux qui viennent justement tenter la chance et l’aventure aux Emirats. Cette fois-ci Le Petit Journal vous emmène sur les traces de Daniel Hutmacher, un chocolatier de pure tradition Suisse qui, parti de ses montagnes et après un certain nombre de tours et détours de l’Indonésie jusqu’en Nouvelle Guinée, s’est lancé dans la chocolaterie artisanale - dans les règles de l’art, mais avec une sacré dose de fantaisie et d’imagination !
Attention, il ne se contente pas d’importer ses produits de Suisse et de les distribuer aux Emirats, non : tout est fabriqué par ses soins dans leur atelier de… Ras al Khaima, une vraie aventure débutée sur un coin de cuisine il y a plus de dix ans, et qui aujourd’hui propose des chocolats incroyables 100% « made in the EAU ». Préparez-vous à céder à la tentation, rien qu’en lisant ses recettes!
Lepetitjournal.com/dubai : Du chocolat en plein désert, il faut être un peu fou tout de même pour se lancer dans un tel projet non?
Daniel Hutmacher von Gysenstein : (Rires) ah ça oui, on peut le dire!
D’où vous est venue cette idée, et combien de temps vous a-t-il fallu pour vous lancer?
Alors si l’on remonte aux origines, j’ai suivi une formation classique de confiseur, pâtissier, glacier et chocolatier, en Suisse, à l’ancienne. J’ai appris par exemple à faire de la glace vanille comme plus personne ne sait la faire : en cuisant - dans un chaudron en cuivre s’il vous plaît - la crème “à la rose”, c’est à dire que lorsqu’on plonge une cuillère dans l’appareil et que l’on souffle dessus il se forme des pétales … c’est poétique non?! (rires) J’ai attrapé le virus de la pâtisserie vraiment jeune, grâce à ma soeur ainée, mais je ne voulais pas rester en production pour devenir “un rat de laboratoire” enfermé avec des horaires de fous. Donc je me suis lancé dans la cuisine afin de faire l’école hôtelière de Lausanne.
Et avec le premier poste arrive la première expatriation j’imagine ?
Oui, une offre en Nouvelle Guinée, dix jours d’interviews, un contrat signé dans le vol du retour Singapour-Zurich, et l’ouverture d’un Sheraton en pleine zone de paludisme : nous expérimentons la “théorie du Gin Tonic”, et encore aujourd’hui je sais tout sur la vitesse en vol de ces bestioles (rires)!!! : le moustique peut voler 20 mètres et jusqu’à 200m porté par le vent! Deux ans de vie en pleine jungle, des randonnées à la machette, du ski nautique attaché à un pont en surfant sur le courant de la rivière en crue, et à côté de ça un hôtel comme un bijou, ultra luxe avec des ascenseurs Schindler pour un seul étage!
C’est un choc après une vie en Suisse non?!
Oui! Mais ça ouvre aussi des portes et déclenche des envies : on enchaîne avec un poste à Yogyakarta, en peine éruption volcanique, où l’ambassade nous appelait pour nous conseiller de remplir la baignoire d’eau potable (rires)!.... En 1998 c’est le retour en Suisse pour de bon, d’autres expériences professionnelles, toujours dans l’hôtellerie de luxe, avec des défis de taille, comme par exemple cette mission où il s’agit de moderniser le célèbre Mövenpick de Lausanne - comprenez faire des travaux de rénovation très importants - tout en simultanément augmentant le GOP (Gross Operating Profit : les bénéfices nets, ndlr)… Il n’est déjà pas simple de ne pas fâcher la clientèle existante lorsqu’on est en travaux, mais augmenter le GOP tout en échappant aux plaintes pour nuisances sonores, c’est une sacrée acrobatie! Mais c’est une réussite, et c’est à la suite de ce succès qu’on vient me proposer un poste au Moyen Orient.
Vous arrivez donc à Dubaï en quelle année?
En… Avril 2005 : J’ai vraiment vu la ville changer, muer, grandir, traverser des fièvres de croissance par trois fois… Mais nous n’en sommes pas encore là. En arrivant nous prenons tout de suite une maison aux Lakes, choisie sur plan car elle est à 6’ de mon bureau. Je suis responsable de la zone Moyen Orient, Afrique et Asie, c’est-à-dire plus de 150 restaurants répartis dans environ 12 pays différents, 32 hôtels et 35 en voie d’ouverture… Un travail de titan, passionnant mais chronophage, je cours partout, tout le temps dans l’urgence, les hôtesses des avions me connaissent mieux que mes amis et m’accueillent d’un “welcome back Sir !”, quant à mes enfants je ne les vois que dormir, et encore, pas souvent…
Vous commencez à caresser l’idée de sortir de ce système?
Oui, j’en ai assez de ces rythmes, et j’ai une idée très précise en fait : je veux être le seul à faire du chocolat suisse au Moyen Orient. Ma soeur Ginette est chocolatière, l’idée lui plaît, et mon frère investit aussi : nous commençons sans attendre.
Mais comment vous démarrez : vous changez complètement de métier au fond, même si c’est votre premier coup de coeur, comment allez-vous vous lancer?
Sur un coin de ma table de cuisine (rires)! Littéralement! Je transforme la maid’s room en stockage, avec la clim à 18 degrés en permanence, et nous voilà à faire nos petites expériences, le nappage sur la table de la cuisine, les essais sur le comptoir… c’est du « chocolat en condition de brousse » on peut dire (rires)! Quand mes essais sont concluants, que j’arrive au degré de qualité, de goût, de texture qui m’intéresse, mais aussi que je suis capable de répéter à l’identique (et non sur un coup de chance) l’équilibre parfait que je recherche, je pars avec ma valise d’échantillons faire du porte à porte, tout simplement… et en parlant de portes, je vais frapper en priorité auprès des grands noms de l’hôtellerie, parce-que c’est mon réseau, nous nous connaissons, il y a une vraie relation de confiance, ils savent que je suis un professionnel sérieux - avec des idées farfelues, certes, mais un pro tout de même (rires)!
Techniquement il faut bien tout de même sortir de votre cuisine, comment abordez-vous l’étape suivante?
Nous décidons de nous installer à RAK. Pourquoi ? Mille raisons pratiques : c’est une vie plus simple, un “one stop shop” idéal pour la mise en place de la société, pour la construction de l’entrepôt, la mise en place de l’atelier, tout va vite, les personnes que je rencontre sont aidantes et accueillantes, c’est relativement simple et rapide puisque dès janvier 2009 on va démarrer la production et y faire déménager toute la famille.
Votre atelier est donc dans un entrepôt que vous avez aménagé?
Plus que simplement aménagé. En réalité dès le départ je suis presque obsédé par les économies d’énergie, par le respect de l’environnement, je veux un atelier qui “fasse du sens” à tous les niveaux, ce qui veut dire que je veux pouvoir contrôler les dépenses d’énergie et la production à tout moment, je veux aussi que l’atelier résiste aux fortes chaleurs de façon efficace et intelligente. Pour cela je construis en fait une sorte de maison dans la maison, un atelier dans l’entrepôt, pour diminuer l’espace à refroidir, une unité recouverte de panneaux isolants. Le résultat est qu’aujourd’hui on est quasiment en Minergie (un label de performance énergétique très répandu en Suisse et qui qualifie les consommations de l’habitat en chauffage, eau chaude, ventilation, rafraîchissement, à un niveau inférieur ou égal à 42 kWh/m²/an - ndlr). Pour vous donner une idée, en plein été notre facture DEWA ne dépasse pas 3800 drh. On parle d’un entrepôt, pas d’une villa… C’est quelque chose dont je suis assez fier!
Comment vous faites-vous connaître, quels sont vos clients?
Je vends au départ surtout aux grands hôtels, aux entreprises, aux palais… C’est un des avantages de m’être installe à RAK il y longtemps, les rapports avec la famille régnante y sont tout à fait différents, nous sommes loin de Dubaï. Aujourd’hui il y a une barrière autour du palais, mais pendant longtemps il était de plain-pied, il suffisait de s’annoncer pour obtenir une audience, et depuis ma première audience justement - qui n’aurait dû durer que 30’ et qui a fini par durer presque deux heures - j’ai construit des rapports de confiance et d’amitié : je fais presque partie des meubles, et je rentre par la cuisine (rires)!
Après toutes ces aventures, parlons choses sérieuses, parlons chocolat! Racontez-nous un peu ce qui fait votre spécialité?
Alors nous démarrons avec des lignes de chocolat 100% artisanales, à l’origine de chaque recette il y a la passion, le plaisir, l’aventure, les voyages, les souvenir, et je paye de ma personne (rires) : par exemple au début nous extrapolons sur des recettes suisses, on crée une vanille à 60%, un framboise et piment, un dulce de leche (caramel au lait, ou confiture de lait à l’espagnole ndlr)… tout est fait de façon extrêmement respectueuse des ingrédients, le but est d’obtenir un goût intense, des saveurs incomparables, mais de se passer des adjuvants chimiques et des excès de sucre.
Un exemple de recette ?
Eh bien notre dulce de leche justement, il est fabriqué avec deux kilos de chocolat blanc que l’on fait caraméliser au four, à basse température, pendant 12 heures d’affilée : c’est ce qui fait que vous allez avoir un goût de caramel très riche et très profond. Mais aucune amertume, aucun arrière-goût de brûlé. Sur le chocolat terminé, on va saupoudrer quelques grains de sel, de chaque côté de la bouchée (et pas uniquement au milieu: il faut que à chaque bouchée justement vous y goûtiez) pour casser la sensation très sucrée du caramel, et pour mettre tous les parfums en valeur.
Nous mettons au point ainsi plusieurs lignes, qui chacune ont une histoire, des pralinés, des chocolats aux fruits, mais aussi des expériences vraiment amusantes avec des épices ou des parfums typiques du Moyen Orient.
Vous avez fait des chocolats au bois de Oud???
Mais exactement : pour les premiers essais je me suis fabriqué un fumoir car je voulais fumer le chocolat au bois de santal, mais évidemment l’outil idéal n’existait pas, donc j’ai utilisé une de ces lunch box typiques de trois étages en métal, que l’on trouve dans toutes les épiceries indiennes, j’ai percé des trous dedans pour créer un tirage, installé un foyer en bas et une coupelle au dernière étage, et voilà, j’ai fait un chocolat fumé au Oud (rires)!!! Bon, c’était plus au niveau de l’expérimentation, l’arôme était assez incroyable, très intéressant, mais le fumage ne tenait que deux semaines, donc on était plutôt sur un produit sur mesure. Après nous avons aussi la ligne “1001 désirs” qui sont des chocolats travaillés dans le même esprit, du sur-mesure, sur commande, ce sont des chocolats aux parfums de l’orient, le safran, le musc blanc, l’ambre…
Vous avez vraiment une palette de parfums et de goûts uniques ! Il faut une bonne dose de curiosité pour se lancer dans de telles expériences, non?
Mais on ne fait pas que de l’insolite, on fait aussi de l’incroyable (rires) : j’ai un chocolat issu d’une plantation sauvage, et là ce sont des notes qui se suffisent à elles-mêmes, absolument dingues, florales, il développe un bouquet comparable à celui d’un grand vin rouge par exemple… ce sont des arbres sauvages qui poussent dans la pampa bolivienne, c’est vraiment magique! Mais oui, la curiosité est indéniablement un moteur, ce qui nous permet d’aller voir au delà des sentiers battus et des traditions, tout en les respectant et en respectant le produit : par exemple nous avons aussi développé une ganache à base d’eau et de lait de chamelle en poudre, elle est beaucoup plus légère que la ganache traditionnelle à base de crème fraîche de lait de vache, sans sacrifier ni au goût ni à la texture, et en plus elle résiste beaucoup mieux aux fortes températures. On travaille aussi beaucoup avec des infusions, du café que nous torréfions nous même, de la rose, des fèves de cardamome… Ce qui fait que nous avons développé presque sans le faire exprès des chocolats totalement vegan (végétariens) quand ce mot n’était pas encore sur toutes les lèvres. Aujourd’hui je pense que nous avons des chocolats pour tous les goûts, du plus simple (ce qui ne veux pas dire ennuyeux) au plus exclusif, avec toute une gamme de prix correspondants, et en revanche un niveau de qualité et de fraîcheur constant et assez unique.
Des projets pour l’avenir?
Toujours avancer et progresser, et puis beaucoup de rêves, toujours: pourquoi pas un jour une ligne bean to bar to bonbons ! (de la fève à la tablette et au chocolat : une ligne de production complète, de la plantation - les fèves - jusqu’au au chocolat en plaque et aux chocolats individuels - ndlr), des visites ou des ateliers scolaires… ce ne sont ni les idées ni les envies qui manquent !
Après toutes ces années, quelle est “votre Dubaï”, ou “votre Ras Al Khaiman”, un endroit, une habitude, ce qui fait que vous vous y sentez vraiment chez vous ?
Eh bien, le désert, le sable entre les orteils, le calme, se ressourcer à deux pas d’établissement bling-bling. …La campagne, quoi ! Redécouvrir les vieilles traditions, rencontrer des habitants locaux « vrais » qui n’ont pas encore acheté leur Ferrari (rires)…. ! Se perdre dans des villages typiques, s’asseoir au bord de l’eau et apprécier le travail des pêcheurs au départ ou au retour des bateaux… Le coucher du soleil, toujours magique !!
Où peut-on trouver vos chocolats aujourd’hui?
Sur commande en ligne chez Les Gastronomes, et dans certaines boutiques comme Milk & Honey, Candylicious, OCocoon mais aussi chez Pascal Tepper à Dubaï et Abu Dhabi. Je suis extrêmement sélectif sur les boutiques, toujours pour des questions de fraîcheur et de contrôle de qualité : il est hors de question que mes chocolats soient oubliés en vitrine pendant des semaines, donc on ne me trouve pas partout, c’est un choix. En ce moment, nous étoffons notre offre dans ces magasins avec une palette renouvelée, plus large et plus attrayante en présentation. Et bien sûr toujours disponibles pour toutes sortes d’évènements d’entreprises, mariages, anniversaires, célébrations, lignes privées de chocolats, etc…
Pour en savoir plus et commander cliquez-ICI ou sur Facebook.
ou bien disponible sur www.lesgastronomes.ae