

Il est des mots intraduisibles en d'autres langues, sinon par approximation : ils expriment au fond ce qu'on pourrait appeler l'âme d'un peuple. Ainsi pour les Français, certains mots réservés à l'amour et la cuisine, pour les Anglais et Allemands au " home sweet home ", pour les Italiens à l'art et à la chanson, pour les Espagnols à l'honneur ou au lendemain, pour les Russes ou les Yiddish au petit peuple des livres de Gogol et de Isaac Bashevis Singer
La Quiche Lorraine
D'autres plats régionaux ou nationaux sont intraduisibles, en particuliers les mille et une variations des pâtes italiennes. Mais la Quiche Lorraine garde un statut spécial à l'étranger où on la prononce avec un accent qui en fait déjà pressentir des délices. Elle fut même, voilà vingt ans, le sujet d'une chronique du Boston Globe à l'époque où les Français exigeaient que l'on parlât leur langue dans les colloques internationaux. Si l'on se mettait à tout traduire, disait l'éditorialiste, qu'adviendrait-il de la quiche lorraine ?
Marivaudage et Gemütlichkeit
Les Français se prévalent aussi du marivaudage, mot littéraire pour " flirt " - à l'origine français et anglicisé avant de nous revenir. Les Anglais, eux, gardent la notion de privacy (sphère presque métaphysique de la vie de chacun) mais aussi de serendipity héritage de Horace Walpole - l'art de découvrir des merveilles en cherchant autre chose.
Les Allemands cultivent la Gemütlichkeit, qui évoque l'accueil et le confort de leur maison. Les Italiens célèbrent le Quattrocento des peintres et architectes et chantent la canzonetta qui fait fondre le c?ur des dames. Les Espagnols ont leurs hidalgos mais aussi leur manana qui ne signifie pas toujours demain mais " à la saint glin-glin ", les Russes leurs pochemuchka (questionneurs intarissables), les Yiddish leurs meshuggeneh ou " zinzins ".
" Triste, triste était mon âme ... "
Loin de leur pays ou étrangers à ce qui les entoure, les Français parlent de " nostalgie " transmis du grec et d'un souvenir de l'Odyssée : nostos le retour et algos la douleur. Les Portugais chantent dans leurs fados la saudade, proche du mot roumain dor - souvenir des joies passées, fugacité du bonheur et délices de la tristesse, et l'exil et le retour, chez des peuples qui durent souvent s'exiler pour survivre.
Le spleen, cher à Baudelaire (" Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle "), vient du mot grec qui signifie la " rate ", siège pour les Anciens de la bile noire - " mélancolie " au sens propre, illustrée par Dürer dans une gravure célèbre.
Quant à la Sehnsucht, recherche inconsolable et aspiration à quelque chose d'obscur, d'aimé, de perdu, c'est un sentiment très allemand que chanta Schiller (" Bin wie ein Blinder, der das Sehen sucht " .. Je suis comme un aveugle qui cherche la vue ") et qui est devenu le nom ... d'un groupe rock Metal !
De quoi sourire un peu.
Elizabeth Antébi (www.lepetitjournal.com/cologne) Mardi 31 mai 2011








