

Si vous saviez le nombre de"paillard" qu'on trouve sur un moteur de recherche ! Une entreprise pour "attaches à inertie, tête d'attelage, flèche de remorque" [si, si !] ; une joaillerie ; du champagne ; et une estimation : 5.358 personnes portent ce nom en France. Révérence gardée, le mot est en perte de vitesse, du moins au sens qui tous nous enchantent. Pourquoi ?
Le paillard, c'est celui qui couche sur la paille, le vaurien, le fripon. La paille n'eut jamais bonne réputation : on dit en allemand Strohkopf pour traiter quelqu'un d'andouille. Et l'égrillard fut à l'origine un malfaiteur, le" polisson", un voleur ou vagabond comme d'ailleurs le" coquin".
Mais notre paillard, lui, il fait mieux : en se prélassant il se délasse avec des gourgandines et le voilà paillard. Mot dont le poète François Villon, créa le verbe "paillardiser". C'est qu'entre temps - 1470 - un ouvrage peu convenable, Quinze Joyes du mariage, avait étendu l'acception de paillard à "débauché", "luxurieux", amoureux de la bagatelle. Bagatelle ! encore un mot disparu en ces temps si lourd : c'était le tour de passe-passe du bateleur, quelque chose de joyeux et de léger.
Comme au fond la paillardise, qualité française s'il en est. A l'heure où le journaliste André Bercoff a collaboré à un DVD avec poèmes paillards accommodés en rap, Brassens n'est plus guère chanté et Pierre Perret cité à comparaître. Quant au De profundis morpionibus de notre poète Théophile Gautier, est-il encore chanté ailleurs que chez les étudiants en médecine ?
Synonymes
Les synonymes ou variantes nous en disent plus long.
Comment se montrer grivois, ou s'abattre comme grives sur l'amour et le vin à l'heure ou l'amour a "la chair triste hélas" et le vin doit être "consommé avec modération" ? Comment manier la plaisanterie gauloise, rabelaisienne, libertine ou cochonne, quand "gaulois" devient une injure de banlieue, Rabelais un vague souvenir littéraire, le libertin un résidu de classe, le cochon un animal impur ou soumis à l'élevage en batterie.
La paillardise suppose l'esprit, l'humour, la joie ( viveur, fêtard, licencieux, gaudriole - avec le verbe désuet "gaudir", se réjouir). Elle s'apparente à la cuisine puisque les plaisanteries des "dessalés" sont précisément salées, poivrées, pimentées, grasses, croustillantes ou encore crues. Mais attention : l'obscène qu'elles titillent peut se révéler de mauvais présage (étymologie du mot) et le graveleux, entraîner les tourments de la gravelle !
Las, en ces temps de recuit, le cru a-t-il encore sa place ? Et en ces temps de "poutres", rappelons pour la détourner la phrase de l'Evangile de Saint-Luc : " Hypocrite, ôte premièrement la poutre de ton ?il, et alors tu verras comment ôter la paille qui est dans l'?il de ton frère."
Elizabeth Antébi (www.lepetitjournal.com/cologne) Mardi 8 novembre 2011
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