

Alors que l'adresse d'une première salle de shoot à Paris vient d'être dévoilée provoquant de nouveau de nombreux débats, Francfort peut témoigner que cette aide d'urgence pour toxicomanes a permis de réduire les nuisances. La ville compte quatre centres d'injections supervisées depuis presque vingt ans.
104.300 haricots avec seringue stérile et matériel de désinfection distribués dans la plus importante salle de shoot francfortoise, la première créée en Allemagne en 1995 (credit: Idh)
Devant le rideau baissé de la salle de shoot de l'association integrative Drogenhilfe (Idh), une dizaine de personnes patiente sous la pluie. Des hommes et deux femmes qui bavardent sous la surveillance de deux policiers devant cet immeuble quelconque. D'ici quelques minutes ce centre d'injections supervisées (CIS) à proximité de la gare centrale de Francfort ouvrira? comme six jours sur sept. " Sans cet endroit, je ne sais pas si je serai toujours vivant, explique l'un deux. Ici on nous écoute, on nous conseille de diminuer les doses? " Des personnes dépendantes à l'héroïne, plus rarement au crack (drogue plutôt fumée) ou à la Benzodiazépine.
Si l'accès à la salle d'injections est gratuit et anonyme, les usagers doivent se faire connaître à l'accueil. " Si c'est leur première visite, on vérifie qu'ils sont majeurs, explique Robert Hartl, un des responsables. Puis on leur pose quelques questions pour connaître leur situation : domicile, travail, type de drogue qu'ils consomment et avec quelle régularité, leur état de santé général? ".
147 morts par overdose en 1991
Les travailleurs sociaux peuvent ainsi effectuer un suivi personnalisé de chaque utilisateur. Une fois cette étape passée, l'usager qui apporte sa dose se voit remettre du matériel d'injection propre et du désinfectant. Dans la salle, douze places surveillées en permanence, de 11h à 23h. Après l'injection, la personne doit quitter cette pièce. Le règlement lui permet de rester une demi-heure dans le hall ou la salle fumeurs. 104 300 passages en 2012, la salle de la Niddastrasse est la plus fréquentée de la ville.
" Le centre d'injection, c'est avant tout un lieu médical sous surveillance qui aide les personnes à sortir du statut de délinquant et empêche leur mort par overdose, insiste le responsable. Le risque majeur, c'est l'arrêt respiratoire, mais nous n'avons jamais eu aucun cas de décès depuis l'ouverture de la salle en 1995. " A l'époque plusieurs centaines de toxicomanes vivaient en quasi-permanence autour de la gare et dans le parc de la Taunusanlage. Francfort comptait une overdose tous les trois jours en moyenne.
" En 1991, nous avions eu 147 morts par overdose, se souvient Regina Ernst de la direction Drogues à la ville. La police, les travailleurs sociaux, les élus étaient convaincu de l'urgence d'agir, mais les discussions ont parfois été très tendues. " Mais depuis le milieu des années 1990, la police a renoncé à considérer les usagers comme des délinquants et a renforcé son action répressive contre le deal. Les associations ont accepté la présence policière et sont en contact direct avec des agents en cas de violences. Résultat : une baisse régulière des cas d'overdoses (21 cas l'an dernier) et un recul de la propagation du virus HIV ou de l'hépatite par l'usage de seringues souillées.
Salles de shoot illégales au départ
Cette concertation des partenaires francfortois a d'abord fonctionné dans l'illégalité jusqu'à la modification de la loi sur les stupéfiants en 2000 qui autorise dorénavant les Länder à mettre en place des centres d'injection. Actuellement six Länder disposent de ce type de dispositif qui a un coût. Francfort dépense 9 millions d'euros par an pour la lutte contre la toxicomanie (prévention comprise). Car, au-delà de l'aide à une consommation sécurisée, la possibilité d'entretiens psychologiques, de visites médicales dans les CIS, la relation de confiance nouée avec les équipes sont souvent un premier pas vers une démarche de traitement par substitution, voire un placement en centre de désintoxication et une réinsertion progressive qu'Idh propose également dans différents endroits de la capitale financière allemande.
Anne Le Troquer (www.lepetitjournal.com/francfort) lundi 3 juin 2013