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LIVRE - Le camp de concentration de Redl-Zipf mis en lumière par Cyril Mallet

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Photo du camp de Mauthausen, dont dépendait le camp de Redl-Zipf (KZ Gendkstätte Mauthausen)
Écrit par Lepetitjournal Cologne
Publié le 18 octobre 2018

Cyril Mallet, ancien attaché parlementaire de Pierre Yves Le Borgn’ nous présente son livre, nouvellement paru et consacré au camp de concentration de Redl-Zipf (1943-1945). Partant d’un travail de recherche sur ce camp annexe de Mauthausen, Le doctorant en Histoire met en lumière le rôle méconnu de ces camps secondaires, oubliés des récits officiels.

 

Lepetitjournal.com/cologne : Comment en êtes-vous venu à vous consacrer à ce thème ?

Cyril Mallet : Cela a commencé quand j’étais en Autriche, où j’ai commencé mon master de recherche en études germaniques. Il fallait que je trouve un sujet et j’ai habité une ville à 10 kilomètres de Redl-Zipf. Quand on parle des camps, on a tendance à parler des gros camps de concentration, Dachau, Buchenwald etc. Et on ne sait pas forcément que de ces camps-là dépendaient des petits camps. Zipf notamment, pour le camp de Mauthausen en Autriche. (…) J’y ai donc consacré mes recherches de master.

Alors, en résumé, de quoi traite le livre ?

C’est une monographie consacrée à un camp oublié (…). Il avait été caché dans les caves d’une brasserie. Parce qu’en 1942, l’Allemagne perd du terrain et toutes les usines d’armement sont détruites. Pour éviter d’être à court, les nazis décident de tout enterrer dans différents endroits comme des grottes ou des caves de brasseries. C’est donc très difficile d’aller sur les lieux. En plus, vient s’ajouter une mentalité autrichienne très difficile quand on travaille sur le sujet, car eux n’ont jamais accepté leur histoire. Quand j’ai commencé l’étude de ce camp, on s’est mis à me graver des croix gammées sur ma boite aux lettres…c’est une période qui dérange encore en Autriche.

C’est donc un livre de recherche ?

Oui, c’est vraiment un livre de recherche à partir d’archives, de témoignages et d’interviews de personnes ayant vécu à proximité du camp, dans les années 1940. En soi, le camp n’a été ouvert que dix-neuf mois : d’octobre 1943 à mai 1945. Mais s’ils décident d’ouvrir le camp, c’est parce que l’Allemagne est en train de perdre beaucoup de terrain notamment dans les airs et donc un des aspects de la possible victoire nazie, c’était les armes de représailles, ce qu’on appelait les V1 et les V2. Il faut donc les produire en grand nombre. C’est là qu’on décide de les faire produire par les déportés, puisque c’est une main d’œuvre gratuite.

Quelle a été votre démarche pour mener vos recherches ?

Je suis parti des témoignages d’abord puisqu’il y avait un déporté, Paul Le Caër, qui avait écrit plusieurs livres sur le camp. C’était quelque chose de très personnel empreint de sentiments, car il avait vécu les événements. Il était Français et je voulais une vision européenne, je suis allé voir du côté italien, du côté français, du côté espagnol et allemand. J’ai vraiment comparé les archives avec les témoignages. Cela permettait de replacer le camp de Zipf dans l’univers concentrationnaire, parce qu’on remarquait que Zipf n’était pas le seul camp à produire les V2.

Ce n’était pas trop compliqué de trouver des témoignages de cette période de l'Histoire ?

L’université de Salzbourg collecte des témoignages d’anciens déportés de langue romane. J’ai passé une après-midi là-bas à chercher des témoignages en rapport avec Zipf. Le problème d’aujourd’hui quand on a un témoignage, c’est qu’on ne sait pas si le déporté a vraiment vécu la chose, ou alors il croit l’avoir vécue mais il cite quelque chose qu’il a entendu auparavant. L’avantage avec Paul, c’est qu’il avait une place assez intéressante dans le camp, puisqu’il travaillait à l’infirmerie. II avait 21 ans quand il est arrivé à Zipf. Il a pu voir certaines choses, comme des meurtres commis par les SS. Il a eu accès à des informations et des faits que d’autres déportés n’avaient pas.

C’est donc un livre universitaire, mais à qui le conseilleriez-vous ? A ceux qui ont envie de commencer avec cette thématique ou ceux qui veulent aller plus loin ?

C’est un peu les deux, je n’ai pas voulu écrire dans un langage trop universitaire, afin que ce soit fait aussi pour les familles de déportés (…). Je me suis rendu compte que dans le cadre d’un master, on manquait de temps pour tout étudier. Le but de cette monographie c’est aussi de montrer aux chercheurs ce qui a été fait, pour les futurs chercheurs de Zipf.

Qu’est-ce que l’étude de Zipf apporte à l’étude plus générale des camps de concentration ?

Cela montre le rôle de camps annexes par rapport aux camps centraux, qu'ils ont servi à l’industrie de l’armement. Zipf permet aussi de montrer qu’il y avait un univers “interconcentrationnaire“. On disait que chaque camp annexe dépendait du camp principal. Zipf dépendait bien du camp central puisque les déportés venaient de là. Mais pour sa mission des V2, il dépendait plutôt de Dora-Mittelbau, qui était spécialisé dans la construction des V2.

On peut donc tracer des lignes de dépendances entre les camps ?

Oui, le dernier chapitre du livre rejoint ma thèse, qui est de travailler sur le programme 14F13 (ndlr : programme d’euthanasie des déportés), puisqu’on remarque que des déportés ont quitté le camp de Zipf et ont été transférés au camp central. On remarque deux catégories, ceux qui retournent dans un autre camp annexe, ou alors ceux qui étaient envoyés dans la chambre à gaz d’un camp d’euthanasie sur le sol autrichien. C’est intéressant, car on n’a jamais vu ou étudié le fait que les camps annexes étaient des “pourvoyeurs“ du programme 14F13.

Et c'est vers ce programme nazi F13 que vous avez dirigé votre thèse ?

C'est exactement ça. Cela permet aussi d’avoir des hypothèses, c’est ce que je veux prouver dans ma thèse actuellement. Le programme 14F13, c’est vu comme l’euthanasie des déportés les plus faibles. Sauf que c’est la raison officielle. Officieusement, je voudrais savoir si le programme n’est pas d’éliminer tous les témoins des V2, pour éviter que les secrets ne soient divulgués notamment aux alliés. On remarque que certains déportés ont été envoyés à la chambre à gaz, ce qui n’est pas très logique. (…) L’Hypothèse c’est qu’on ait voulu gazer en priorité les déportés en rapport avec les V1 et les V2.

Emotionnellement, comment gérez-vous les recherches sur ce sujet difficile ?

Beaucoup de mes amis ne comprennent pas que je travaille sur ce sujet. Au début, c'était un peu difficile. Après on acquiert une sorte de carapace et on n'est plus touché par ce qu’on lit. Je pense qu'on doit garder une certaine distance par rapport à ce qu’on lit, et pourtant on lit des témoignages horribles. Par exemple, pour faire parler un déporté qui avait aidé un autre à s’enfuir, les SS ont mis le déporté dans une grosse cuve et l’ont fait bouillir. C’est vraiment horrible, mais on est obligé d’accepter les informations comme elles viennent.  En lisant cela, on se pose beaucoup de questions sur le genre humain. Il faut déjà avoir l’idée de faire bouillir un être humain…

Qu’est-ce qu’un lecteur du petitjournal.com peut trouver dans ce livre ?

Savoir qu’il y a eu des camps annexes, c'est important. Il y a vraiment une différence entre camp annexe et camp principal. Quand on parle d’un camp, on parle d’un univers concentrationnaire, voire d’une "nébuleuse concentrationnaire" dans le jargon des historiens. Pour Mauthausen, il y avait 49 camps annexes. (…) Les camps centraux étaient cachés, mais les camps annexes étaient au milieu des villages, dans les villes et on ne pouvait pas ne pas les voir. Un camp de concentration ce n’est pas juste un nom, mais c’est tout un univers autour du camp central. Ensuite, les gens ne savent pas toujours faire la différence entre un camp de concertation et un camp d’extermination. Quand j’ai dit que j’allais travailler sur un camp de concentration, on m’a dit “ah sur Auschwitz!“. Mais non ! Le camp de concentration a la même finalité qu’un camp d’extermination mais avant il faut que le détenu ait donné toutes ses forces dans le travail. Ce livre met en lumière ce qu’on vécu les déportés. J’ai connu Paul Le Caër pendant 10 ans. On s’attache beaucoup aux personnes et on ne peut qu’être admiratif du parcours vécu dans le camp et le parcours vécu après. La vie de Paul après 1945 a été de faire reconnaître le camp et notamment pour que les déportés morts là-bas ne soit pas oubliés. C’est lui qui a fait un mémorial, qui a aidé la justice à retrouver d’anciens criminels. Il aura été toute sa vie durant un militant de la mémoire.

Propos recueillis par Jeanne Meyer (www.lepetitjournal/cologne.com) Jeudi 13 juillet 2017

 

 

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Publié le 17 juillet 2017, mis à jour le 18 octobre 2018

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