Après plus de vingt ans passés dans l'industrie en France et en Allemagne, Gunnar Meister a rejoint en 2009 Atreus Interim Management, spécialisé dans la délégation de managers pour des missions d'urgence. Basé sur Düsseldorf et Munich, il gère entre autres les missions d'Atreus en France. Lepetitjournal.com Cologne lui a demandé ce qu'un représentant commercial aussi bien qu'un chasseur de têtes doivent avoir dans leur mallette lorsqu'ils sillonnent la France et l'Allemagne.
Lepetitjournal.com/cologne : Monsieur Meister, qu'est-ce qui vous a amené à travailler en France?
Gunnar Meister : Jeune diplômé, j'avais l'option de rejoindre l'Oréal. On m'a dit : ici, c'est la vente. Vous devrez prendre la mallette pendant six mois et d'abord prouver que vous êtes bon vendeur avant de diriger des équipes. Cela m'a convaincu.
Racontez-nous votre première journée de représentant?
Je me suis présenté à Asnières dans un laboratoire récemment racheté par l'Oréal. Ils étaient pour le moins sceptiques, je n'avais pas de formation pharmaceutique. On m'a quand même donné une mallette et une liste de pharmacies à démarcher. Le lendemain, je me trouvais à Beauvais, sur la Grand-Place, cinq minutes avant l'ouverture. J'aimais bien le chiffre « douze douzaines », c'est très français. Et c'est ce que j'ai vendu. Pendant 30 semaines, j'ai ainsi été envoyé chaque semaine dans un autre endroit en France. Après ce stage de vente, j'ai rejoint le positionnement de marque en parfumerie.
C'est toujours avec l'Oréal que vous êtes retourné en Allemagne ?
En 1991, l'Oréal via Garnier a racheté Dr. Dralle, un producteur hambourgeois de parfumerie et cosmétique. Je faisais partie de l'équipe orchestrant l'acquisition. L'Oréal venait de déménager sa centrale allemande pour Düsseldorf, où je me suis installé avec ma famille.
Comment s'est passé la fusion avec Dr. Dralle?
Très mal. Les employés de Dralle étaient évidemment déstabilisés et l'Oréal attisait les doutes en leur déclarant qu'il allait falloir passer par des candidatures internes aux exigences élevées. Jusque-là, cette entreprise familiale de tradition s'était plutôt bien défendue sur un marché dominé par les gros poissons. La démarche était tout sauf valorisante, moi et mon équipe étions consternés.
J'ai retrouvé cette arrogance lorsqu'il s'est agi de lancer le soin Synergie de Garnier en Allemagne, basé sur des actifs naturels. En France, on vendait la « synergie » entre science et nature avec tout un panel d'agents actifs. Or en Allemagne, les plantes et la peau suggèrent douceur, pureté, nature. Les Français, qui ne l'entendaient pas ainsi, ont tourné et retourné les résultats d'analyses de marché pour valider le maintien de la même stratégie marketing. Et on s'est planté en beauté. Pour comble, le résultat négatif de ce lancement n'a pas été interprété comme une erreur et un manque d'écoute, mais la conclusion a été de dire que « le marché n'était pas assez mûr » !
Aujourd'hui, vous êtes devenu partenaire de Atreus Interim Management. Pourquoi avoir quitté l'industrie ?
Jusque-là, j'avais été spécialisé dans deux types de produits à forte valeur ajoutée : fondée sur des efforts marketing colossaux d'une part et sur des services et du conseil d'autre part. La seule suite logique pour moi était d'évoluer vers le produit le plus complexe qui soit : le capital humain. Notre valeur ajoutée, c'est de devenir le partenaire conseiller de nos clients sur tous les plans, de l'analyse des situations et besoins à l'aiguillage vers les bonnes personnes.
Quelle est la part d'humilité qu'il faut savoir garder pour diriger, pour être au service de l'entreprise qui vous choisit?
L'écoute active est impossible sans humilité. Comprendre le problème n'est pas très difficile en soi, mais pour comprendre la perception qu'un client a de son problème, il faut un certain flair, le bon ton et de l'intuition. Il y a un grand différentiel entre un fait et sa perception. On a souvent tendance à comprendre et proposer des solutions par analogie au propre vécu. Or ce qu'il faut, c'est être capable de se mettre en retrait, de se sentir complémentaire. Il faut un plan d'action, dont la coordination est souvent difficile et fragile. A la fin, il faut aboutir à une résolution à la fois objective, donc mesurable, et subjective du problème.
Quelle est votre activité en France?
Quand j'ai commencé chez Atreus, personne ne se souciait vraiment de prendre et soigner le contact avec des homologues en France. Je l'ai fait et ai rapidement sympathisé avec un confrère chez Valtus. Nos méthodes de travail étant quasi identiques, de fil en aiguille, nous avons fait des affaires ensemble, en cherchant mutuellement des experts en France ou en Allemagne. Un an et demi plus tard, nous avons récemment fêté la fin de notre sixième mission commune. Cette petite success-story me fait très plaisir.
Cela dit, je constate régulièrement de très grosses différences dans la manière de traiter les informations ou les hiérarchies. Une demande avait été adressée une fois à un de mes collègues, ayant encore grandi en Allemagne de l'Est, pour trouver des managers ayant un certain profil. Il a envoyé une liste anonymisée à notre partenaire français. Un soir, tard, j'ai reçu un coup de fil furieux du patron français, indigné d'avoir reçu une liste qui pour lui ne valait rien et d'avoir été traité de la sorte. C'était un malentendu culturel, rapidement clarifié.
Votre palmarès de méthodes de travail optimales pour des équipes coopérant avec la France ?
En France, si les gens ne veulent pas déjeuner ou dîner avec vous, ils ne voudront pas non plus faire d'affaires. Encore une fois, il faut savoir être à l'écoute. Prendre le temps. Ne pas croire qu'avec un meeting on peut tout résoudre. Mon modèle de la vérité, c'est celui de l'oignon. On voit l'ensemble et on dit : j'ai tout compris. On enlève une couche et on découvre autre chose, et d'autres couches suivent.
Un jour, j'ai envoyé sur une mission en France un manager qui ne parlait pas le français et mal l'anglais, mais c'était un excellent professionnel, qui avait envie de comprendre. C'est ce qui lui a ouvert les portes. L'essentiel, ce n'est pas la langue, c'est de se donner la peine.
Propos recueillis par Astrid Nierhoff (www.lepetitjournal.com/cologne) Lundi 10 février 2014
A relire : LES RENDEZ-VOUS DE L'ÉCO - Dominique Cherpin, cofondateur de la Villafrance à Cologne