"Le combat politique est un combat sans fin" dit un candidat à la Présidentielle, se dépeignant comme un Sisyphe roulant un rocher de plus en plus lourd. Déjà, quelques jours auparavant, un ancien Premier ministre se faisait photographier de dos et poussant une cheminée sans issue pour s'illustrer en ... Sisyphe. Ce Sisyphe-là n'est-il pas de mauvais présage et ne faut-il pas manipuler la mythologie grecque avec modération ?

 

Seule la femme du Président avait un jour fait allusion à Sisyphe : elle était la seule à se rappeler qu'il s'agissait ... d'un supplice.

Fils du Dieu des Vents
Sisyphe est fils d'Eole, qui a pour "filles" les éoliennes brassant le Vent. Fort astucieux, notre Sisyphe savait naviguer et croyait pouvoir changer le cours des choses : ainsi enchaîna-t-il la Mort venue le chercher. Le roi des Dieux voyant que plus personne ne mourait envoya son frère, roi des Enfers, libérer Thanatos (la Mort).
Une deuxième fois, Sisyphe voulut tromper la mort : maître des belles paroles,  il supplia qu'on le renvoie sur terre, le temps de régler ses propres funérailles. Une fois là-haut, il manqua comme d'habitude à sa parole et refusa de retourner sous terre. Il fut alors condamné, pour avoir osé défier les dieux, à rouler sa fameuse pierre au sommet d'une colline dont elle retombait toujours - et ainsi de suite jusqu'à la fin des temps.  
"Infatigable, inépuisable" Sisyphe, selon le candidat qui l'invoquait, mais surtout condamné à tourner en rond pour l'éternité !
D'ailleurs le poème des "Fleurs du Mal" où Baudelaire cite Sisyphe s'intitule "Le Guignon". Drôle de référence vraiment !

"Quand on a beaucoup médité sur l'homme, il arrive qu'on éprouve de la nostalgie pour les primates" Camus
Alors bien sûr, d'aucuns croient rendre hommage à Albert Camus, auteur d'un livre sur Le Mythe de Sisyphe (1942) qui voulait  "imaginer Sisyphe heureux". Mais le Sisyphe de Camus, reconnaissant l'absurde de la condition humaine, l'accepte comme telle sans y rien changer. C'est le sens de la fameuse phrase citée par le candidat : "La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un c?ur d'homme."
Faut-il rappeler  une autre parole antique et que "La roche tarpéienne [d'où l'on précipite les condamnés] est proche du Capitole"?
Pour sourire de tout cela, lire sans tarder les parodies délicieuses de Jean Dutourd dans "Les perles et les cochons" où Sisyphe se prend d'amitié pour son rocher ... qui se met à marcher et  l'aide à gravir la pente, avant de rouler à nouveau tout en bas.

Elizabeth Antébi (www.lepetitjournal.com/cologne) Mardi 27 mars 2012

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