

Le film Même pas mal de la réalisatrice franco-tunisienne, Nadia El Fani, a été présenté en première mondiale samedi soir à Cologne dans le cadre du festival de film africain « Jenseits von Europe ? Au-delà de l'Europe ». Très émue par l'accueil chaleureux du public qui s'est levé à la fin de la projection pour l'applaudir, la cinéaste a répondu aux nombreuses questions des spectateurs avant de nous accorder une longue entrevue dans laquelle elle est revenue sur la situation en Tunisie et sur sa lutte contre les extrémistes
Lepetitjournal.com : Comment est venue l'idée de faire Laïcité Inch'allah, votre précédent documentaire ?
Nadia El Fani : Au départ je voulais faire un film sur les athées dans l'Islam mais je me suis rendue compte que cela était impossible car personne n'aurait osé parler de cela face à la caméra. Alors j'ai eu l'idée d'aborder la place de la religion dans la société tunisienne à travers la période du Ramadan car c'était la plus significative de l'hypocrisie sociale et de la manipulation du pouvoir. Je suis partie en août 2010 en mentant sur le vrai sujet du film et j'ai fait un film axé sur l'hypocrisie et tout ce que je sentais monter à travers la religion. La Révolution est arrivée pendant le montage et je suis repartie tourner en Tunisie après le départ de Ben Ali où les premiers débats portaient sur la laïcité. Je me suis dit : c'est incroyable, mon sujet est rattrapé par l'Histoire ! On a montré le film en avril 2011, mais entre temps, les salafistes avaient commencé leurs violences?
Ce documentaire vous a valu des menaces de mort de la part des islamistes. Que vous reproche-t-on ?
Je pense que les islamistes ont vite compris que la laïcité allait être un enjeu pour la nouvelle constituante et que le courant « Gauche-démocrates » voulait modifier la Constitution pour la laïcité. Pour eux, la laïcité c'est l'athéisme imposé à tous. Alors quand j'ai déclaré à la télévision que j'étais athée, j'ai reçu dès le lendemain des menaces de mort sur Internet. Quand le film est passé à Tunis fin juin 2011, ils ont attaqué et saccagé le cinéma. Maintenant je fais très attention.
Depuis l'arrivée au pouvoir des islamistes, des centres d'exposition ont aussi été la cible d'attaques. Les artistes sont-ils en danger aujourd'hui ?
Oui, et je crois qu'ils le sont encore plus s'ils acceptent de se taire. Moi je suis non-violente et je continue à me battre avec mes armes à moi, avec mes paroles, mes films, etc.
La Tunisie n'a donc pas encore fait sa révolution culturelle ?
Je crois que ce qui est acquis à jamais, c'est la prise de parole. Mais maintenant il faut apprendre à crier de plus en plus fort et surtout ne pas avoir peur d'affronter ces gens-là.
Votre documentaire Même pas mal est-il une réponse aux attaques ?
Absolument ! C'est ma réponse et c'est une mise au point sur la réalité des choses. Je rétablis la vérité en montrant de quel côté est le mensonge, la calomnie, la violence et l'insulte. Je pose la question : qui a le plus de morale ?
Dans ce film très intime, vous abordez également votre cancer ?
Je n'ai pas souhaité en parler mais j'ai été attaquée sur ma maladie et sur le fait que j'étais chauve? Je suis plutôt pudique mais je voulais raconter la vérité.
Qu'est-ce que la Révolution a changé à vos yeux ?
La prise de parole et la prise de conscience d'une partie de la société qu'il y avait une autre partie de la société qui pense et vit autrement. Il y a aujourd'hui une Tunisie conservatrice et une Tunisie moderniste et c'est pourquoi il va falloir dialoguer.
Les droits accordés par le passé aux femmes tunisiennes sont-ils aujourd'hui menacés ?
C'est très dur ce qui se passe aujourd'hui. Sous Ben Ali, on se battait pour plus de droits, on demandait l'égalité totale et aujourd'hui, ce qui est grave c'est qu'on se bat pour préserver les acquis !
Vous attendiez-vous à ce que ce pays suive cette voie de l'islamisme ?
En fait, je sentais depuis longtemps la montée de l'islamisme. Mais comme pendant la Révolution, on n'a entendu aucun slogan comme « Allah Akbar ! », on était convaincu que la Révolution était laïque. Avec les élections, on s'est pris une grosse claque dans la figure.
Quel est votre regard sur les récents mouvements de révolte suscités par la vidéo anti-islam ?
Comme par hasard, ce sont les pays avec un gouvernement islamiste où on a vu le plus de violences. Des pays comme l'Algérie ou la Jordanie ne se sont pas enflammés, mais partout où les islamistes sont au pouvoir, on a brûlé les ambassades, on a tué un ambassadeur en Libye. Ce n'est pas un peuple qui s'est levé mais quelques énergumènes? Nous les démocrates dans les pays arabes, cela fait longtemps que l'on dit : un islamiste modéré, ça n'existe pas, un islamiste est un islamiste. Et encore une fois, musulman ça ne veut pas dire islamiste.
Vous avez reçu le Prix international de la Laïcité 2011. Que vous inspire cette récompense ?
Cela m'a fait très plaisir. C'est drôle car je n'avais jamais reçu de prix du fait que j'étais trop militante et radicale, et aujourd'hui je reçois un prix parce que je suis militante et radicale ! C'est triste de voir que mes films sont diffusés partout, sauf dans le monde arabe. C'est une preuve qu'il n'y a pas de démocratie en Tunisie.
Depuis les menaces, êtes-vous retournée en Tunisie ?
Je ne peux pas y retourner car je ne suis pas du tout rassurée par rapport à la justice et à la police.
Propos recueillis par Magali Hamon (www.lepetitjournal.com/cologne) Lundi 24 septembre 2012










