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EDOUARD LOUIS - "La littérature est un outil subversif"

Écrit par Lepetitjournal Cologne
Publié le 9 octobre 2025

 

Edouard Louis est un jeune auteur et étudiant en sociologie de 22 ans qui a publié son premier roman l'an dernier. "En finir avec Eddy Bellegueule" est un livre autobiographique où il met en avant la violence qu'il a subi dans sa jeunesse à cause de son homosexualité ainsi que des difficultés pour s'extirper de son milieu ouvrier d'origine qui le rejetait.

Le retentissement de ce livre a conduit à sa traduction en plusieurs langues dont l'allemand. L'auteur était présent à Cologne dans le cadre du festival lit.cologne, mais aussi de sa tournée pour promouvoir son livre, paru en Allemagne au mois de février dernier.

Lepetitjournal.com Cologne : Qu'est ce qui vous a poussé vers la littérature ?

Edouard Louis : Le point de départ a été la lecture de Retour à Reims de Didier Eribon. Notre histoire est la même, celle d'un enfant issu d'un milieu ouvrier qui souffre des déterminismes de sa classe sociale et son cheminement pour la quitter. Je me suis très fortement identifié au personnage, même si au final la raison du "départ" est différente entre son histoire et la mienne. J'ai été bouleversé par cette lecture, et ce pour la première fois. En effet, j'étais réticent par rapport aux livres.  J'ai du me défaire du déterminisme sociologique qui veut que les classes les plus populaires se voient dépossédées de la possibilité de lire des livres et ainsi de produire de la volonté.

Comment vous est venue l'envie d'écrire votre livre ?

Je voulais avant tout travailler sur la violence de notre société, qui s'exprime en particulier au travers du langage. Raconter mon histoire en passant par la littérature et non pas la publication technique était un moyen de me défaire de la théorie. J'avais tâtonné pour trouver un nouveau moyen d'expression, en faisant le cheminement de passer par l'expression corporelle (par le théâtre en ce qui me concerne) pouvant ainsi exprimer mes sentiments sans pouvoir en faire de même de mes pensées. In fine, c'est la littérature qui m'a aidé à les exprimer.
Pour moi la littérature est un outil subversif, à savoir qui "déplace le regard vers ce qui n'est pas vu en temps normal", ce qui dans mon cas rend visible cette violence invisible pour beaucoup.

L'accueil réservé à votre livre a été excellent, et ce des deux côtés du Rhin. Ce succès vous motive t-il pour écrire d'autres livres ?

Oui, j'ai d'ailleurs commencé la rédaction du deuxième roman depuis un moment, dès que j'ai fini celle d' "Eddy" en fait. Il est presque achevé et traite également du thème de la violence. En effet, mon motif d'écriture littéraire et la violence de notre monde sous toutes ses formes, qu'il s'agisse des violences physiques ou verbales, mais également sociologiques, que l'on rencontre chez ces enfants de 14 ans quittant le milieu scolaire et qui se figurent le faire en toute liberté, peu conscient de leurs déterminismes.

Quel rapport entretenez-vous avec l'Allemagne ?

J'avais pris espagnol au collège, ce qui m'a permis de voir que le choix de la langue au collège était également un marqueur social fort, car les enfants d'ouvriers prenaient rarement allemand. J'ai découvert l'Allemagne grâce à sa littérature, où j'ai pu constater un rapport avec la violence, en particulier historique ou dans les rapports sociaux, que les auteurs expriment dans leur écriture, comme chez Christa Wolf par exemple.

C'est la fin de votre tournée en Allemagne. Vos impressions ?

Je ne pensais pas que mon livre allait être aussi bien reçu, c'était inespéré.  J'y vois l'expression de l'importance de la littérature comme arme subversive, qui exprime et dénonce la violence. D'ailleurs tous les types de violence que l'on peut voir dans mon livre sont abordés dans la littérature allemande contemporaine, comme tout récemment par Herta Müller, prix Nobel allemand de littérature en 2009.

Avez-vous un message à adresser aux autres "Eddy Bellegueule", qui souffrent de la différence et des déterminismes sociaux ?

J'ai voulu exprimer dans mon livre que la fuite était un acte subversif et radical et non pas un acte lâche. Je montre également les difficultés pour le faire, ainsi que le fort potentiel politique d'un tel acte, notions que l'on trouve dans le cinéma de Xavier Nolan. La fuite est une stratégie d'évitement de la confrontation, confrontation qui mène nécessaire vers un rapport violent à l'autre. Pour finir, la fuite reste le choix le moins violent et le plus libérateur à mes yeux.

Propos recueillis par Loic Henry (www.lepetitjournal.com/cologne) Lundi 16 mars 2015

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Publié le 16 mars 2015, mis à jour le 9 octobre 2025
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