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LOUIS WITTER - "J'ai pour ambition de ne travailler qu'à l'international"

Écrit par Parler Darija
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 24 juin 2014

Avec déjà 8 expositions à son actif, le jeune Louis Witter est un militant de la photographie. Après s'être fait connaître par son travail d'investigation dans les manifestations parisiennes de 2013, il s'attaque maintenant aux mouvements Casablancais. Zoom.

Lepetitjournal.com : Vous êtes en première année d'école de journalisme à Paris, en France, et vous rêvez de devenir photoreporter de guerre. Pourquoi ce choix de vie ?

(crédit photo: Louis Witter)
Louis Witter : Mon père était militaire : il ne m'a jamais vraiment parlé de son métier, alors j'ai décidé que j'allais me rendre compte de cette réalité par moi-même ! A la guerre, on n'a pas vraiment le choix, pas de compromis financier : on témoigne d'une réalité et d'une situation indépendamment des commanditaires et des relations pseudos-politiques. Ce qui m'intéresse, c'est toucher, soulever le débat. En France, je suis déjà un militant politique de gauche, un peu extrémiste, et au fil de mon investissement politique, j'ai pu découvrir que les photos étaient de bien meilleures armes que les équipements de combat. Par exemple, la fameuse photo de la fillette au Viet-Nam courant sous un jet de napalm a été primordiale dans la décision des États-Unis afin d'avorter la guerre... Moi-même, c'est en regardant la télévision et en découvrant ainsi les innombrables clichés sur les militants de la "Manif Pour Tous" que l'on décriait alors comme d'affreux fascistes que j'ai voulu les suivre afin d'avoir ma propre opinion à leur sujet. Par le biais de mon objectif, je voulais proposer au monde un regard différent, professionnel, quelle que soit mon opinion politique.

Vous avez réalisé une première expérience photographique en Chine. Pourquoi avoir choisi le Maroc pour votre seconde expérience à l'étranger ?
J'ai pour ambition de ne travailler qu'à l'international : Par exemple, j'ai des opportunités de travail en Ukraine, mais pour l'instant il faut aussi que je me concentre sur mes études. En effet, quand bien même la reconnaissance professionnelle au Maroc se fait au mérite et à l'expérience, en France et dans de nombreux autres pays, elle se fait sur le papier et le diplôme. Ce stage au Maroc était à la base uniquement une opportunité qui s'est présentée, et ainsi s'est faite l'occasion d'avoir une première approche du monde Arabe, lieu de conflit qui intéresse le monde entier. Tel quel est un média intéressant car il touche un public large. Cela fait prendre conscience des inégalités qui sont malgré tout bien plus fortes et bien plus visibles qu'en France. Au final, en France, on n'assume pas bien ce pendant-ci de la société. Dès que j'entre dans mon habit de journaliste, je pose mes avis de militant politique. On est obligé de prendre du recul ; mais je ne suis pas d'ici, je n'ai pas vécu ni grandi au Maroc, je ne connais pas leurs problèmes ni l'entièreté de leur situation. Cela m'amène à un dilemme de passivité : Parfois, j'ai envie de poser mon appareil photo et de me retrousser les manches. Si je me retrouve impuissant, alors j'essaie de changer les choses avec mes photographies.

Par vos photographies, on comprend que vous vous investissez physiquement dans l'action afin d'en saisir l'essence. N'est-ce pas un peu risqué ?
Je pense qu'il faut vivre dans l'extrême pour faire bouger les choses. On met toujours un peu de soi dans son travail, et particulièrement dans la photographie. Vous savez, la photographie animalière ne m'intéresse pas. J'ai de l'admiration pour ce travail qui nécessite énormément de patience et de savoir-faire, mais en plus du budget que je ne suis pas prêt à investir, avoir un télé-objectif et rester en dehors de l'action comme un voyeur ne m'intéresse pas. Pour moi, c'est très excitant d'être à l'intérieur d'une manifestation, bien plus que de la regarder se dérouler comme beaucoup d'autres journalistes, à 500 mètres des évènements. Je pense que cet état d'esprit ne permet pas une bonne compréhension de l'action, et empêche un travail journalistique d'intégration. Qui plus est, si on a peur des manifestants, ils auront peur de nous : se rapprocher physiquement et s'investir corporellement est le meilleur moyen d'apprivoiser un sujet : il faut se fondre dans la masse. Par ailleurs, dans les manifestations, on voit souvent les journalistes porter des casques, des gilets par balle et autre matériel de défense personnelle. La seule fois où j'ai eu un problème physique dans une manifestation était celle où je portais un casque !

Pouvez-vous nous parler de votre travail sur le quartier de Hay Mohammedi ?
On rase un quartier, mais qu'est-ce que cela signifie ? On ne supprime pas la pauvreté, on la cache seulement pour des investisseurs. Alors que le bidonville est dans un système d'autogestion indépendant des institutions urbaines standardisées, on essaie de les faire rentrer dans des cases visuellement acceptables sans se soucier de leurs besoins et de leurs fonctionnements. Ces gens se battent pour sauver tout ce qu'ils possèdent. On ne peut pas être aussi manichéens et partir de statistiques de recensements plus ou moins erronées pour en arriver à de telles conclusions drastiques. Qui plus est, c'est un quartier historique : c'est là que furent concentrées la majorité des forces contestataires qui se soulevèrent contre le protectorat français. Cela dit, c'est un peu comme construire une Basilique sur le lieu d'où partirent les Communards à Paris... Je comprends que ce genre de facteurs ne soit pas primordial dans les décisions de gestion urbaines des grandes villes, mais cela reste éradiquer aussi un pan de l'histoire de ces lieux.

Comment avez-vous fait pour approcher si facilement les habitants de ce quartier? 
Au Maroc, les gens sont beaucoup plus souriants, abordables, indifféremment de leur vie, aussi pauvre soit-elle. D'une manière générale, dès que les gens voient l'appareil photographique, ils savent que l'on porte l'attention sur eux. C'est donner de la voix à ceux qui n'en ont pas. Qui plus est, dans ce genre d'endroits, les gens ne sont pas nécessairement lettrés, ce qui implique que demain, s'ils doivent se soulever, ce sera avec des pierres. Je veux leur donner la possibilité de se faire entendre autrement. Qui plus est, ce n'est pas un métier à sens unique : il y a beaucoup de réciprocité dans le photojournalisme, et par là beaucoup d'humanité qui se crée. Tout est une question de manières. Il ne faut pas être agressif, mais humain, voire humaniste. Je regarde beaucoup le travail des autres, des grands. Robert Cappa, Henri Cartier-Bresson, Elliot Erwitt - de qui je tire mon pseudonyme -, Camille Lapage. Je m'inspire de leur travail et j'essaie de m'approprier leurs techniques. Il faut d'abord s'adresser aux enfants. Ce sont les plus vulnérables, alors une fois qu'ils sont en confiance et qu'ils jouent avec vous, on dégote alors des sourires des parents, des regards complices. Il faut aussi rappeler que l'on a tout à fait le droit d'être empathique sur le terrain, quand on doit être objectif sur le papier. Ce n'est pas incompatible !

Vous n'avez passé que quelques jours à Hay Mohammedi. Pensez-vous que cela soit suffisant pour rendre compte d'une situation ?
On peut avoir un aperçu de la situation en une journée dans un bidonville. Bien sûr cela demande de l'investissement et du temps, mais ce n'est pas le même travail que des investigations sur le long terme. De tels reportages nécessitent beaucoup d'expérience, de temps, de profondeur, de savoir : ce n'est plus uniquement un travail journalistique mais aussi humain. Je considère que je ne suis pas encore assez expérimenté pour pouvoir gérer de tels paramètres, alors j'attends encore d'acquérir des connaissances, et notamment à gérer la couleur !

D'ailleurs, vous alternez aléatoirement entre couleur et noir et blanc. Pourquoi ce choix ?
J'utilise majoritairement le noir et blanc pour l'instant tout simplement parce que j'ai commencé le noir et blanc avec un appareil photo argentique. C'est ce que je maîtrise le mieux, mais j'essaie de plus en plus de découvrir cet aspect de la photographie qu'est la couleur. Le noir et blanc, en plus d'être parfois une solution de facilité esthétique permet à mon sens de mieux se concentrer sur le sujet. La couleur ramène beaucoup à la réalité. Mais je suis actuellement en voie de remédier à ce souci de cohérence.

On ne voit jamais de noms dans vos photographies. Que pensez-vous alors du droit à l'image lors de la publication de vos travaux ?
Le droit à l'image pour moi c'est des âneries de la légalité occidentale qui s'exportent bien trop facilement. Dans mon travail, je ne pense pas forcément en premier lieu à demander l'autorisation pour publier une photographie. Mais bien sûr, si l'on me demande de l'enlever d'internet ou d'un quelconque média, je le ferai après argumentation, sachant que ma conscience déontologique m'interdit de publier des gens dans des situations préjudiciables. D'après moi, les gens doivent assumer leurs actes et par là leur image. Par exemple, dans une manifestation, ils font partie des faces de la contestation, et ils en sont bien conscients. Une publication de leur image via un média est une manière d'appuyer leur cohérence, lorsque cohérence il y a...

Vous pouvez retrouver Louis Witter dans ses pérégrinations internet : sur Twitter, et Instagram . Mais aussi Facebook et son site !


Manon Kole (www.lepetitjournal.com/casablanca) Mardi 24 juin 2014  

parler darija
Publié le 23 juin 2014, mis à jour le 24 juin 2014

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