Édition internationale

CHRISTIANISME AU MAROC - Un institut oecuménique de théologie à Rabat

Écrit par Parler Darija
Publié le 25 septembre 2023

Nous avons rencontré le Père Nourissat qui revient pour nous sur la présence chrétienne au Maroc et nous explique la création du premier institut ?cuménique de théologie d'Afrique, à laquelle il a participé: Al Mowafaqaqui réunit l'Eglise catholique et l'Eglise évangélique du Maroc.

 

Lepetitjournal.com: Pouvez vous revenir sur le statut des chrétiens au Maroc et à Casablanca ? Leur influence ?

Père Daniel Nourissat: Tout d'abord, si on est marocain, on est juif ou musulman. Les chrétiens sont des étrangers, notre statut ici est d'être accueilli dans le cadre de la liberté de culte prôné par la constitution marocaine, à distinguer de la liberté de religion. La liberté de culte permet aux gens qui ont une religion de la pratiquer. Elle est respectée depuis très longtemps au Maroc, il y a d'ailleurs des pères franciscains depuis la fondation de cet ordre parce que les sultans souhaitaient que leurs artisans ou leurs prisonniers chrétiens puissent exercer leur religion, prier. Cela permet donc à nos églises d'exister au Maroc, d'y être accueillies. Par contre il y a un sens dans lequel la liberté de religion ne fonctionne pas: les marocains ne sont pas libres de changer de religion. Tout étranger peut devenir musulman mais ça ne peut pas marcher dans l'autre sens. Les églises sont donc libres d'exercer leur culte tant qu'elles ne font aucun prosélytisme. Nous avons toujours respecté cela, ce n'est pas notre vocation.

Nos églises actuelles ont été florissantes lors du protectorat et datent de cette époque. Il y avait sans doute 150 000 chrétiens à Casablanca en 1970. Après la marocanisation des terres et le départ de beaucoup de Français, Italiens, Espagnols du Maroc, la communauté s'est beaucoup réduite. Elle est cependant bien vivante aujourd'hui.

 

De qui est alors constituée cette communauté chrétienne au Maroc?

La communauté catholique mais aussi protestante est composée d'anciens du Maroc, autrement appelés les pieds noirs, mais aussi de femmes chrétiennes qui ont épousé des marocains. Elles peuvent rester chrétiennes à l'inverse d'un chrétien qui épouse une marocaine, il doit devenir musulman car les enfants qu'ils peuvent avoir devront eux aussi être musulmans compte tenu du fait que l'Islam est transmis par la paternité. La communauté chrétienne est aussi faite de religieuses qui sont nombreuses, mais aussi d'expatriés. Il y en a pas mal au Maroc, surtout dans les grandes villes: Rabat, Casablanca, Marrakech, Agadir. Particulièrement à Casablanca, qui est la capitale économique, car c'est le domaine privilégié d'activité des expatriés. Et puis depuis une quinzaine d'années, cette communauté s'est enrichie de nombreux étudiants venus de pays d'Afrique. Cela est dû à la difficulté depuis quelques années d'accéder à l'Europe, mais aussi parce que la situation est stable au Maroc et l'enseignement plutôt bon. Mais c'est aussi dû au fait que le Maroc a conclu des accords avec des pays d'Afrique du sud du Sahara dans une perspective d'échange économique entre le Maghreb et le sud du Sahara. Car ces accords sont aussi mis en place en Tunisie ainsi qu'en Algérie. De plus les études supérieures ici s'effectuent en français, ce qui facilite les choses pour pas mal de pays d'Afrique noire. Malgré cela, on constate l'arrivée de plus en plus d'Africains lusophones (où l'on parle Portugais): de Guinée Bissao, d'Angola, du Mozambique. Il y a aussi beaucoup de migrants qui sont chrétiens, dont le royaume se propose aujourd'hui de régulariser la situation. La communauté chrétienne au Maroc est donc très jeune et très dynamique. Lors de la messe du dimanche il n'est pas rare de compter 400 personnes, ce qui n'arrive plus en France. Cette communauté est catholique en grande majorité et elle est donc, très diversifiée. Et nous sommes amenés à ré-ouvrir des églises partout où le royaume ouvre de nouvelles universités, écoles.

 

C'est ce manque de personnel qui vous a amené à ouvrir l'institut ?cuménique de théologie?

En effet, la question se pose alors pour nos églises d'avoir du personnel pour servir ces paroisses. Catholiques et protestants avons de bonnes relations ?cuméniques ici. Pour l'archevêque de Rabat et le président de l'Eglise évangélique au Maroc, il est difficile de faire venir de l'extérieur des prêtres et pasteurs. Sur la suggestion du pasteur Amedro, nous avons décidé de former nous-mêmes, notre propre personnel d'Eglise. En particulier avec les étudiants qui sont très engagés dans la vie paroissiale. L'institut est donc pour nous un moyen de former des assistants.

 

Pourquoi ne pas décider de former des prêtres si vous dîtes que la communauté catholique est plus importante que celle protestante?

Cela nécessite des engagements qui sont plus grands. Les prêtres connaissent une plus grande précarité, nous ne sommes pas sûrs de pouvoir assurer leur emploi. Etre engagé comme prêtre nécessite deux engagements très différents : un engagement économique du diocèse de faire vivre les prêtres jusqu'à la fin de leurs jours et un engagement de célibat et c'est un petit peu compliqué de proposer ça à des subsahariens dont ça ne correspond pas à la culture.

En quoi consiste exactement cet institut ? A quand remonte le projet ?

Il s'agit de proposer à des adultes, jeunes ou moins jeunes de consacrer 4 ans de leur vie, à mi-temps, à des études de théologie, et à mi-temps un service dans la vie de l'Eglise. Ils obtiennent un diplôme qui correspond à une licence de théologie qu'ils pourront faire valoir à l'étranger s'ils décident de quitter le Maroc. Chacune de nos églises (sous entendu protestante et catholique) est trop pauvre pour faire ça toute seule, c'est pourquoi nous avons choisi de monter ce projet ensemble. Et ça sent assez bon l'évangile de se dire que la pauvreté nous pousse et nous conduit à agir ensemble! Tout un chacun peut s'initier à la théologie, exceptés les musulmans marocains. En revanche, au delà de ça, nous avons tout un programme de conférences, de cours sur le débat inter-religieux qui sont accessibles à tous: par exemple sur les sources de l'Islam, les grands débats de l'Islam contemporain...Le siège de l'Institut est à Rabat, à La Source, dans une grande maison qui appartient à l'Eglise catholique, où une grande bibliothèque siégeait, qui a été longtemps la plus grande du Maroc. Les diplômes délivrés le sont en partenariat avec la faculté de théologie de Strasbourg ainsi qu'avec l'institut catholique de Paris. Cela est une garantie pour les étudiants du crédit de leurs études. Les professeurs: docteurs en théologie, sciences sociales, bible, philosophie islamique...ont été choisis selon une parité absolue: Nord/Sud, hommes/femmes, catholiques/protestants et quelques musulmans. Nous avons 40 étudiants, ce qui est colossal. Onze personnes ont accepté de consacrer leur temps à la vie de l'Eglise et à l'étude théologique : 4 catholiques: un européen, trois africains ainsi que 7 protestants dont seulement une femme. Nous en aurions espéré plus mais inch'allah, peut-être que ça viendra! Il y a beaucoup de différences dans la façon dont un congolais et un français pratiquent leur foi et c'est très intéressant de devoir se confronter aux autres, un travail théologique est d'abord décapant, et l'on apprend à remettre en question ce que l'on croyait certain.

Le projet remonte à juin 2012, Al Mowafaqa veut dire "s'accorder à la volonté de dieu". Il s'agit de servir la vie des croyants, la vie spirituelle en Afrique. Nul part au monde, catholiques et protestants ne se forment ensemble à la théologie. Cela se fait dans le contexte du Maghreb, donc musulman et de la culture de l'Islam, dans ce grand melting-pot culturel qu'est le Maroc. Nous ne faisons pas de théologie hors sol, mais dans ce contexte-là, singulier. Cela nous aide dans le dialogue interculturel.

 

Quels sont les différents aspects de l'Institut ? 

Il y a un volet théologique et un autre de dialogue des cultures et des religions qui est ouvert à tout le monde et porté par le pôle culturel de l'Institut et que nous venons de mettre en place, avec la conviction que c'est ce dialogue qui permet le mieux de se rencontrer. Nous prévoyons d'ailleurs une conférence le 24 février animée par Rachid Benzine "Le Coran entre tradition sacrée et histoire". Le lieu reste à définir. Nous prévoyons aussi une exposition sur un artiste orientaliste qui s'appelle Edy Legrand en septembre à La Source, mais aussi des résidences d'artistes, ainsi que de faire venir des musiciens. Nous pensons que l'art peut ouvrir au dialogue.

 

Est-ce que ça change quelque chose de constituer une minorité dans un pays essentiellement musulman pour vous qui avez officié en France auparavant ?

Comme si nous n'étions pas une minorité en France! Le drame de l'Eglise de France, c'est de ne pas accepter qu'elle est minoritaire et d'adopter des m?urs de minoritaires. Ici nous sommes une Eglise accueillie, c'est déjà beaucoup! La communauté est plus forte du fait d'être minoritaire. Je pense à ces étudiants dont la famille est loin et le billet d'avion souvent très cher; l'Eglise constitue alors une famille pour eux. L'Eglise ne peut pas vivre sans être fraternelle ici: "aimez-vous les uns les autres", on ne peut pas ne pas le vivre. C'est une Eglise universelle, lorsque je célèbre la messe le dimanche, j'ai 60 nationalités devant moi, je ne peux donc pas parler qu'avec ma mentalité de français et c'est passionnant! C'est une mondialisation humanisante et pas toujours que déshumanisante. Nous avons été convoqués récemment dans une réunion concernant les migrants, en tant que société civile, parce que nous sommes concernés par cela, et c'est appréciable que le royaume nous prenne en compte dans ces débats.


Trouvez-vous que les migrants chrétiens sont bien accueillis au Maroc ? Y a-t-il une rencontre ? 

Il y a une politique d'accueil des migrants au Maroc, c'est le seul pays du sud de la Méditerranée qui ait décidé cela. Dans notre association Caritas, il y a des marocains qui participent. Les migrants sont soignés dans les hôpitaux, sont scolarisés dans les écoles marocaines. Le racisme provient beaucoup de l'ignorance, on travaille dans nos églises à faire se rencontrer les gens. C'est pas gagné mais on progresse ! Nous aimons à nous penser comme une église de la rencontre. La plupart des membres de nos églises passent trois ou quatre ans ici et s'en vont: les expatriés ne restent pas et les migrants tentent de passer en Europe. Nos églises sont des corridors mais si on peut s'y rencontrer et repartir en ayant appris à avoir un regard plus universel ça me paraît important. Il s'agit vraiment de vivre ensemble, plus que sous le protectorat où cela se résumait à un rapport de pouvoir.

 Louise Favel (www.lepetitjournal.com/casablanca) Vendredi 7 février 2014

Si vous voulez en savoir plus sur l'institut et ses activités culturelles

 

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Publié le 6 février 2014, mis à jour le 25 septembre 2023