Édition internationale

Littérature : l'exil d'un adolescent dans les dictatures d'Amérique latine

Alfredo Pena-Vega, franco-chilien est enseignant-chercheur à l’EHESS à Paris. Le 11 septembre 1973 le président démocratiquement élu Allende est renversé et tué par les militaires chiliens. Comme des milliers de militants de gauche, le narrateur Fredo (inspiré de l’auteur) se lance dans l’inconnu et traverse les Andes pour échapper à la prison, à la torture, à la mort ? Il dort au pied de l’obélisque de Buenos Aires, dans un monastère à Sao Paulo et traverse tant bien que mal un continent sud-américain alors gangréné par les dictatures.

Littérature Mes Nuits d'Exil Alfredo Pena-VegaLittérature Mes Nuits d'Exil Alfredo Pena-Vega
Alfredo Pena-Vega avec l'exemplaire en français de "Mes Nuits d'Exil"
Écrit par Alice Dubernet
Publié le 14 novembre 2025, mis à jour le 15 novembre 2025

Le Petit Journal : Pourquoi et comment avez-vous décidé d’écrire ce livre ?

Alfredo Pena-Vega : Dans mon cas, je suis partie très jeune. C’est quelque chose qui m’est toujours resté en mémoire. J’ai mis longtemps à pouvoir reconstruire tous ces moments. Ce qui m’a marqué pour toujours, c’est la disparition de mes amis, alors adolescents, militants et qui sont toujours disparus aujourd’hui. Il y a énormément d’adolescents militants disparus au Chili mais on a jamais jamais écrit quoi que ce soit sur eux. Il y a beaucoup de choses sur les militants adultes, mais pas sur les adolescents. Et en 2021 j’ai eu dans mes mains un rapport qui racontait la disparition de ces enfants et adolescents, mais c’était uniquement des témoignages très factuels. Et c’est à ce moment-là que j’ai pris la décision d’écrire ce livre. Je me suis reconnecté à cette période pour raconter une histoire qui a été racontée mille fois mais avec un fil conducteur différent.

 

Fredo, le personnage principal, c’est vous ?

La période du récit du livre était une période pour moi dans laquelle j’étais confrontée à des rêves, je rêvais énormément. Je ressentais aussi un état de mélancolie permanente. Donc je me suis dit que j’allais faire une histoire qui collait véritablement à la réalité de ce moment. De faire une sorte de récit où le personnage principal va vivre une réalité ancrée dans le présent. C’était un défi, je veux redevenir le personnage de l’époque et écrire l’ambiance, la manière dont ça s’est déroulé, les rêves qui marquaient mon existence. C’est un mélange entre réalité et fiction. S’il faut quantifier, je dirais qu’il y a 70% de moi et 30% de fiction. Lorsque Fredo dort au pied de l’obélisque, par exemple, ça c’est vrai.

 

Quelle a été votre réaction à l’arrivée de la dictature en Argentine, pays qui pour vous, a été la première terre d’accueil après votre fuite du Chili ?

Moi, je serais restée en Argentine si ce n’était pas pour ça. Il y avait beaucoup de choses qui me poussaient à ça, déjà la distance entre le Chili et l’Argentine, c’est tout proche. Il y avait la possibilité que mes parents me rejoignent, c’était même ça le plan de départ. Puis l’accueil aussi, un chef cuisinier a été adorable avec moi. Les gens étaient solidaires en fait, donc, moi encore adolescent, je me sentais protégé. Il était impensable d’aller ailleurs. L’arrivée de la dictature en Argentine, c’était horrible. Le soir du jour où l’on a appris ça, je me rappelle très bien la tête de tout le monde. Et puis dans mon esprit, le soulagement d’avoir réussi à partir avant (ndlr: Alfredo Pena-Vega passe au Brésil quelques mois avant le coup d’État des militaires argentins du 24 mars 1976). Et à ce moment-là, ça y est, tout le continent était rempli de dictateurs. Pour beaucoup de gens, l’Argentine c’était le seul endroit  jusque-là où ils pouvaient être tranquilles et attendre de rentrer chez eux, là c’était fini.

 

Qu’ont en commun le Chili, l’Argentine, le Brésil et la France ? À l’époque et aujourd’hui ?

À l’époque, s'il y avait quelque chose qui liait le Chili, l’Argentine et la France, c’était la culture française. À Buenos Aires, par exemple, moi j’ai trouvé beaucoup de choses qui "appartiennent" à la France. Ne serait-ce que l’architecture, la littérature… Et c’était pareil au Chili pour l’époque. Aujourd’hui, ce qui lie le Chili, l’Argentine, le Brésil et la France, aujourd’hui, je ne sais pas jusqu’à quand : c’est la démocratie. Ce sont des pays qui se sont battus pour une démocratie. Et parfois même avec l’aide de la France, surtout du point de vue de la solidarité, je pense beaucoup à l’époque des mères de la Place de Mai, aux prisonniers politiques qui ont été sortis du Chili à l’époque de Mitterand. Ça a créé des liens forts entre ces pays.

 

D’après vous qui avez vécu cette période de l’histoire, des dictatures pourraient-elles revenir en Amérique latine ?

Je vais vous donner mon point de vue, même si je ne lis pas le futur… Mais je peux dire que, aussi bien au Chili, qu’en Argentine, et avec ce qu’il s’est passé au Brésil, sur le plan politique le livre résonne en quelque sorte avec la réalité d’aujourd’hui. C’est comme une sorte d’investissement face à des dérives autoritaires, je pèse mes mots, qui peuvent menacer la démocratie. Je pense qu’on n'est pas à l’abri. Bien sûr qu’une dictature à la sauce de l’époque, c’est plus difficile, les choses sont plus subtiles maintenant. Mais elles peuvent également être redoutables. Il suffit de se rappeler les quatre ans qu’ont vécus les Brésiliens avec Bolsonaro. Ce qui m’inquiète actuellement, c’est la dérive qui peut amener l’extrême droite au pouvoir au Chili (ndlr: le 16 novembre aura lieu l’élection présidentielle dans le pays).

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