A l'aide de plusieurs réformes, le gouvernement néo-libéral de Milei facilite l'accès aux armes semi-automatiques pour les civils. Dans un pays, l'Argentine, où le taux de mortalité par armes à feu est supérieur à la moyenne, ce virage politique interroge.


Un reportage de Chloé Roulet et Clara Monteiro.
Le semaine dernière, le 18 juin, un décret facilitant la vente et la passation des armes semi-automatiques est publié au Boletín Oficial - le Journal Officiel d’Argentine. Avant cette réforme, seules les forces armées pouvaient utiliser ces calibres classées comme armes de guerre. En décembre dernier, Javier Milei avait déjà baissé l'âge légal pour obtenir une arme à feu à 18 ans. Lors de sa campagne présidentielle, le président argentin s'était dit « favorable au port libre des armes » . Avec un virage éco-libéraliste, la politique argentine ne cesse de prendre exemple sur les Etats-Unis de Trump.
Un contrôle allégé d’accès aux armes
Près de la célèbre avenue Santa Fe, dans le quartier Microcentro, Martin, qui souhaite garder son nom de famille anonyme, tient son commerce. Stores baissés et portes fermées, il faut d’abord sonner pour avoir accès au magasin. Pour cause, Martin n’est pas un simple commerçant, il est vendeur d’armes. Pistolets, fusils, mitraillettes et couteaux sont exposés derrière le comptoir. Pour lui, la loi ne changera rien en termes de volume d’achat de ces armes. “Pour acheter des armes, il faut un DNI (document d’identité argentin), une preuve de contrat de travail ou d’une rentrée d’argent déclarée, un casier judiciaire vierge, un examen médical psychologique et un examen de tir. La loi ne change rien de ce côté.” En effet, pour le moment, l’accès des armes aux civils reste conditionné par ces examens, gérés par l’ANMAC (Agence Nationale de Matériels Contrôlés). Concrètement, l'ANMAC est une agence gouvernementale qui a pour mission de contrôler, surveiller et appliquer la loi nationale sur les armes et les explosifs. Cependant, cette dernière vient d'être réformé par le gouvernement de Milei, depuis 1er juillet. Au lieu d'être une agence décentralisée, l'ANMAC passe sous l'autorité du ministère de la Sécurité et devient le registre national des armes. Cette mesure pourrait affaiblir la prévention de la violence armée, en retirant des outils spécifiques et des fonds propres à un organisme qui avait été créé (en 2015) précisément pour remplir cette fonction. A la suite de cette annonce, le Réseau argentin pour le désarmement a déclaré dans un communiqué : "le gouvernement lui-même s'est félicité du fait qu'en 2024 l'Argentine ait été le pays avec le taux d'homicides le plus bas d'Amérique du Sud. Mais maintenant, il démantèle l'un des piliers qui ont rendu possible cette réalisation : une politique d'État restrictive en matière d'armes à feu." Martin, le gérant de son commerce, lui, ne s’inquiète pas : “Cela ne représente pas de risques pour moi. Effectivement, il est possible que certaines armes sortent de l’armurerie un peu plus facilement. Cela ne signifie pas non plus qu’il y en aura énormément. L’Argentine en est un exemple classique : il y a énormément de gens qui possèdent une arme enregistrée, mais les indices de délinquance ne concernent absolument pas ces personnes.” La délinquance à main armée est en effet en baisse depuis 2019, selon Infobae. Martin est donc optimiste sur la réforme, qu’il perçoit comme une simplification administrative. “Cette loi encadre le système d’enregistrement des armes. Avant, le registre d’armes distribuées était divisé entre celui des armureries et celui du ministère. C’est une simple unification de ces enregistrements.”
Une inquiétude grandissante dans une société touchée par la violence
De son côté, Martin Angerosa, cofondateur de la Red Argentina para el Desarme (le réseau argentin pour le désarmement) ne voit pas ce nouveau décret d’un bon œil. Pour lui, le gouvernement de Milei libéralise le marché des armes afin d’en faire un “business“ comme un autre : “Il y a quelques mois, l’âge légal pour acheter des armes à feu en Argentine a été abaissé de 21 à 18 ans. Cela a fait entrer dans le marché environ un million et demi de nouveaux acheteurs potentiels”. Pour le militant, le contrôle des armes à feu est trop superficiel et les usages ne sont pas assez surveillés. “ l’Agence de Contrôle des Armes (ANMaC) ne compte que 9 inspecteurs pour tout le territoire national. Nous sommes 45 millions d’habitants, sur un territoire de 2 millions de kilomètres carrés, et il y a 1,2 million d’utilisateurs d’armes enregistrés dans tout le pays” explique t-il. "Sans encadrement, les armes peuvent arriver entre les mauvaises mains et alimenter le crime organisé tels que des “bandes de narcotrafiquants et trafiquants d’êtres humains”. Chaque jour en Argentine, on compte 7 morts par arme à feu. Pourtant, en 2013, l’Argentine a reçu le prix international du meilleur plan de désarmement au monde - le Future Policy Award. “Le gouvernement de Milei est en train de démolir vingt années de travail mené conjointement par la société civile et l’État.” Martin poursuit “Dans une société aussi violente que la nôtre, si l’on injecte davantage d’armes, il est inévitable qu’on aboutisse à plus de morts par armes à feu, plus de violence, plus d’insécurité, et moins de paix pour vivre en Argentine.”
Port d’arme citoyen : un horizon pas si lointain ?
Agustin (prénom d’emprunt) est policier et professeur de tir sportif à Buenos Aires. “Nous avons effectivement une certaine tradition liée aux armes. Il y a des chasseurs, des gens qui pratiquent le tir sportif, d’autres qui font du tir de précision… On a des professionnel·les, des avocat·es, des médecins, des enseignant·es, des employé·es de commerce… C’est vraiment très vaste.” Concernant le tir sportif, Agustin est satisfait de la réforme de Javier Milei sur le plan international : “Une grande partie de la communauté de tireurs sportifs attendait de pouvoir utiliser ces semi-automatiques. Ce changement pourrait aussi permettre à des athlètes argentins de participer à des compétitions à l’étranger, et de renforcer la présence sportive de l’Argentine dans d’autres pays d’Amérique latine.” Agustin est autorisé, dans le cadre de son activité de tireur sportif, à posséder plusieurs armes, ainsi que les transporter dans l’espace public. Il montre ses différentes licences délivrées par le gouvernement, une pour chaque arme. “Je peux les transporter, tant que je n’y ai pas un accès immédiat, que l’arme est déchargée et non portée contre le corps. Et elle ne doit pas être visible. C’est clair : elle doit être rangée, dissimulée.” C’est ce que la plupart des adeptes du club de tir peuvent faire : garder l’arme chez eux, la transporter jusqu’au stand de tir, puis la décharger, la rapporter chez eux et la stocker à nouveau. Agustin possède également un permis de port d'armes de poing, enregistré au registre national. “Presque exclusivement, ce droit est réservé aux agents de l’État : policiers, gendarmes, militaires, juges et procureurs… Donc, cela constitue une exception. En règle générale, les civils ne peuvent pas obtenir cette extension. Ils ne peuvent donc pas porter d’armes chargées dans la rue. Je suis confiant sur ce point : le port d’armes est maîtrisé et accessible à une très petite minorité.” La ligne du gouvernement d’ultra-droite reste cependant à surveiller sur ce point, d’autant plus après la réforme autour de l'ANMAC, l’organisme qui s’occupait du contrôle de l’accès aux armes en Argentine.
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