Le Ministre Carrasquilla au cœur d’un scandale de corruption

L’affaire a éclaté peu après la nomination d’Alberto Carrasquilla au poste de ministre des Finances le 11 juillet dernier. Celui qui avait déjà été ministre des Finances sous la présidence d’Alvaro Uribe de 2003 à 2007 est mis en cause pour avoir initié une réforme qui a endetté plus d’une centaine de municipios lors de ce premier mandat ministériel; on lui reproche de plus d’en avoir personnellement bénéficié.
Un homme politique controversé
Économiste et néolibéral très proche du parti conservateur Centro Democratico, Carrasquilla avait déjà été pointé du doigt pour ses déclarations controversées. En 2008, par exemple, l’ex-ministre avait déclaré que « Le salaire minimum colombien est ridiculement haut ».
Mais ce qui lui est aujourd’hui reproché, c’est la création durant son premier mandat des « bonos del agua » ou « bonos Carrasquilla », c'est-à-dire la possibilité pour les communes colombiennes d’emprunter à des entreprises pour réaliser des projets d’infrastructures dans le domaine de l’eau, si le montant de leur dotation ne suffisait pas. Une solution au demeurant intéressante pour permettre aux communes d’effectuer des travaux importants et coûteux.
Une centaine de communes endettées
Le problème est que les réformes constitutionnelles et législatives menées par Carrasquilla pour permettre l’endettement des communes ne prévoyaient comme condition à l’obtention d’un prêt ni l’obligation pour la commune de présenter un projet d’urbanisme structuré, ni des garanties de transparence dans la gestion des fonds par les élus locaux.
Le résultat ? Sur les 117 communes qui ont contracté des prêts, seules 30 bénéficient des infrastructures prévues. Pour 41 de ces communes, les infrastructures ont été terminées mais ne fonctionnent pas et quant aux 46 restantes, les travaux n’ont même pas été terminés... La faute en est à des projets d’urbanisme sommaires réalisés sans étude préalable, et à la corruption qui gangrène ce type de marché public, permettant le détournement de l’argent prêté par les politiciens locaux. Pire, la majorité de ces communes sont maintenant durablement endettées, du fait des taux d’intérêts exorbitants fixés par les usuriers (entre 11% et 17%). L’endettement total des communes colombiennes ayant bénéficié de ces prêts s’élève à plus de 440 000 millions de pesos (125 millions d’euros).
La question de l’enrichissement personnel
Aux accusations d’être l’instigateur d’une réforme catastrophique pour les communes, s’ajoutent contre le ministre des finances les accusations de corruption et d’enrichissement personnel. En effet, après avoir mis en place le cadre légal de la réforme, Carrasquilla a fondé une société, Konfigura Capital, spécialisée dans le conseil aux entreprises accordant ces prêts, les bonos Carraquilla, aux communes.
Le ministre des finances s’en défend en arguant que sa société, Konfigura Capital, n’a jamais ni vendu ni acheté de bonos Carraquilla. Cependant, il a évidemment bénéficié de l’argent perçu en tant que conseiller, et également permis à de nombreuses entreprises de profiter, via des taux d’intérêt très élevés, de l’argent des communes.
Une démission prochaine ?
C’est La question qui agite la politique colombienne, et qui était au centre du débat au Sénat hier. Nombre de personnalités politiques et médiatiques, dont le sénateur et ex-candidat présidentiel Gustavo Petro, et le sénateur du parti de gauche et centre gauche Polo Democratico Alternativo Jorge Robledo, réclament sa démission. Celui-ci a posté une vidéo via son compte instagram pour dénoncer la politique menée par le ministre des finances durant son dernier mandat et réclamer sa démission. Il a également menacé le gouvernement du président Duque de déposer une motion de censure pour destituer Carrasquilla si celui-ci ne démissionnait pas.
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Les questions que soulèvent cette affaire sur la politique colombienne
Cette affaire soulève plusieurs questions. Tout d’abord, une question éthique : les élus doivent-ils être autorisés à exercer des fonctions de conseil sur les réformes qu’ils ont eux-mêmes menées lors de leur mandat ? Voilà qui concerne également les citoyens européens puisque cette pratique est particulièrement répandue auprès des députés européens, autorisés à se faire embaucher par les entreprises et lobbies à la fin de leur mandat.
Deuxièmement, un ministre présentant un bilan aussi discutable devrait-il vraiment être renommé au gouvernement ? En effet, même si la culpabilité de Carrasquilla n’était pas avérée, il n'en reste pas moins que sa politique a occasionné une perte de plus d’un milliard de pesos à l’Etat (soit le total des intérêts perçus au détriment des communes) et l'endettement de très nombreuses municipalités.