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JEAN-MARC LAFORÊT - "La Colombie a d’énormes atouts"

Écrit par Lepetitjournal Bogota
Publié le 18 avril 2017, mis à jour le 28 avril 2017

 

Dans le cadre de l'ouverture de notre édition, Lepetitjournal.com de Bogotá a rencontré Monsieur Jean-Marc Laforêt, Ambassadeur de France en Colombie. En poste depuis le 13 octobre 2013. monsieur l'Ambassadeur est coutumier des missions de représentation du ministère français des Affaires étrangères, notamment sur la région Latino-Américaine. Après l'Argentine, la Russie, le Brésil, Monsieur Jean-Marc Laforêt rejoint le Venezuela, puis la Colombie. 


Lepetitjournal.com Bogotá : monsieur l'Ambassadeur, pouvez-vous nous parler du parcours qui vous a conduit aux fonctions que vous exercez aujourd'hui ?

Jean-Marc Laforêt : J'ai consacré l'essentiel de ma carrière à l'Amérique Latine, que ce soit en région ou à Paris. Dans le cadre de cette orientation, j'ai eu l'opportunité de venir en Colombie, après le Venezuela. C'est un souhait, mais aussi des circonstances : au moment où vous êtes disponible, il faut que le poste le soit également.

Connaissiez-vous la Colombie avant de vous y installer ?

J'étais venu brièvement dans le cadre de mes fonctions antérieures, quand je travaillais à Paris en tant que sous-directeur d'Amérique du Sud, puis comme directeur adjoint des Amériques. Je suis venu la première fois à Bogota en Août 1998, lors de l'investiture du Président Andrés Pastrana Arango, puis à Medellin. De ce passage, je retiens le fort contraste entre l'insécurité ressentie (nous n'avions pas pu rejoindre en voiture la ville depuis l'aéroport et avons dû nous y rendre en hélicoptère militaire) et les festivités de la Fête des Fleurs. Je suis revenu en 2000 et en 2006 pour un évènement sur la commercialisation des cultures alternatives à la coca. Je ne suis donc pas arrivé ignorant de ce qu'était la Colombie. Ceci dit, rien ne remplace un séjour de plusieurs années dans un pays.

Avez-vous observé une évolution dans les relations Franco-colombiennes depuis la prise de vos fonctions ?

Sur ces dernières années, nous avons eu plusieurs visites officielles : celle du Premier ministre français en 2015 ? aucun Premier ministre n'était jamais venu en Colombie ? puis du ministre des Affaires étrangères en Décembre 2016. Enfin, le Président de la République est venu en Janvier dernier, 28 ans après la dernière visite. Le président Santos s'est rendu trois fois à Paris, la dernière fois pour l'inauguration de la COP 21, et sera de nouveau en France en Juin 2017. Cet indicateur de visites de très haut niveau démontre une évolution assez exceptionnelle. L'année France-Colombie a aussi son importance : la Colombie est le deuxième pays d'Amérique Latine après le Brésil à participer à ce programme, et le premier pays hispanophone. Nous avons ouvert un quatrième Lycée français à Medellin en 2015. Le dernier était celui de Pereira qui a fêté ses 35 ans l'année dernière, et il est possible qu'un autre ouvre dans les prochaines années. Sur le plan économique, nous avons aujourd'hui 200 filiales d'entreprises françaises contre 120 à mon arrivée. La Chambre de Commerce et d'Industrie France-Colombia comptait 120 membres contre 250 actuellement. Enfin, nous avons environ 500 étudiants français dans les universités colombiennes. Nous n'avons pas les chiffres précédents, mais il sera intéressant de les comparer dans les prochaines années.

Selon vous, quels sont les principaux freins à la croissance économique et sociale de la Colombie ?

Je pense d'abord au caractère très inégalitaire de la société colombienne. Selon des derniers chiffres du PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement), la Colombie est le 11ème pays le plus inégalitaire au monde, et le second d'Amérique Latine, devancé dans ce triste classement Haïti. À Bogotá, le taux de pauvreté de l'ordre de 10% tandis que dans le département de Chocó, ce taux avoisine les 70%. C'est une autre Colombie, et un pays qui maintient trop longtemps de fortes inégalités ne peut devenir une grande puissance. Un autre frein serait l'extrême concentration des exportations sur les matières premières. Nous l'avons bien vu avec la baisse brutale du prix du pétrole, bien que la Colombie ait beaucoup mieux résisté que d'autres pays de la région, en maintenant une croissance de 3% en 2015 et 2% en 2016.

Et ses principales forces ?

La grande capacité d'adaptation du pays est un atout. Les Colombiens sont très travailleurs et très bien formés dans un certain nombre de secteurs. Les mieux formés disposent d'une grande capacité à s'intéresser aux innovations, et ceux qui le sont moins ont à chaque fois cette volonté de s'en sortir. Beaucoup prennent des cours du soir par exemple. La démographie, même si elle baisse, reste relativement importante puisqu'elle place la Colombie au rang du 2eme pays hispanophone au monde, devant l'Espagne et l'Argentine. Une autre force du pays serait paradoxalement la conséquence de ses faiblesses : certains retards génèrent des activités comme la construction d'un grand réseau d'autoroutes. Dans une période de baisse du prix du pétrole et des matières premières, ce programme d'infrastructure permet un relai de croissance capable d'accroitre le potentiel du pays. Enfin, la priorité donnée par le ministère de l'Education - avec un budget supérieur à celui de la défense depuis deux ans - va incontestablement contribuer à la croissance du pays.

Quels ont été vos principaux défis rencontrés dans l'exercice de vos fonctions pendant ces 3,5 dernières années ?

Pour coopérer, il faut être deux. Il se peut que les choses avancent moins vite que prévu, mais le résultat est plutôt encourageant ! Le problème pour un ambassadeur est que vous restez généralement entre trois et quatre ans dans un pays, avec parfois l'illusion que vous allez tout changer, alors qu'aucun pays ne se transforme en si peu de temps. Ici par exemple, le processus de paix ne va pas se régler en 4 ans. Il en viendra encore 4, 5 ou plus avant que nous passions vraiment dans un pays totalement en paix. Cela s'applique à toute sorte de programme. La Colombie veut notamment devenir le pays le plus éduqué d'Amérique Latine en 2025. Ce sera peut-être le cas, mais cela ne change pas en 10 ans, parce qu'il faut reformer les professeurs, c'est un énorme travail. Mais dans l'ensemble, je trouve que les choses avancent à un rythme régulier. De tous les accords qui ont été signés lors des dernières visites officielles, entre 80 et 90% sont en cours de réalisation.

Quelles sont vos principaux objectifs pour 2017 ?

L'année France-Colombie est évidement une priorité. Notre objectif est de réussir les 450 évènements qui la compose (250 en Colombie jusqu'en Juillet 2017 ; 200 en France à partir du 23 Juin 2017). C'est donc beaucoup de travail, d'autant que nous avons dès à présent des discussions pour préparer la suite.

Je souhaite aussi développer la coopération décentralisée, c'est-à-dire des coopérations directes entre régions françaises et départements colombiens, jusqu'à présent pratiquement inexistantes. Grâce à l'année France-Colombie, un certain nombre d'institutions françaises font des évènements en Colombie et je crois cela va donner naissance à des coopérations. Le retard de la Colombie dans ce domaine s'explique par son histoire, lorsqu'on ne voyait la Colombie qu'au travers du terrorisme, des enlèvements, de la violence. Cette page est en train de se tourner. Tout n'arrive pas du jour au lendemain, d'autant plus que la France s'organise suite à la réorganisation administrative, la baisse du nombre de régions.

Quels sont vos projets pour les années à venir ?

L'Ambassade va consolider les actions en cours. La coopération universitaire et scientifique est un point fort des relations entre les deux pays puisque l'on compte 4.000 étudiants colombiens en France. Les colombiens étudiants en France sont plus nombreux que les mexicains, alors que la Colombie compte moins de 50 millions d'habitants contre plus de 120 millions au Mexique ! Il faut maintenir cette tendance. L'Alliance Française en Colombie, qui est une des plus importantes au monde, fait face à une forte augmentation de la demande de cours de français dans un environnement de plus en plus concurrentiel. Il faut donc conforter le développement de cette organisation et étendre le réseau des établissements scolaires français. Quant à la croissance de la présence économique, elle vient tout naturellement avec le développement du pays. Les entreprises françaises s'intéressent à ce marché, commencent à en faire leur centre régional en Amérique du Sud.

France24 va d'ailleurs s'installer à Bogotá...

France24 va arriver fin Septembre et gérer sa chaine en espagnol depuis la Colombie. C'est un signe important, puisque d'autres capitales Latino-Américaines pouvaient prétendre à accueillir la chaine.

Il faut aussi que nous essayons de faire venir plus de jeunes volontaires français ici (volontariat international, volontariat civil). La situation post conflit et l'amélioration de la sécurité vont intéresser beaucoup de gens et réduire certaines réticences, des parents notamment.

Le nombre de touristes en Colombie est passé de 2,6 millions en 2010 à 4,4 millions en 2015, soit une croissance de 70%. Beaucoup de professionnels du secteur citent la Colombie comme une des destinations phares des prochaines années. Au-delà de la baisse significative de l'insécurité (le nombre d'homicides est passé de 65/100.000 habitants en 2000 à 25/100.000 en 2015), l'image positive du pays sur la scène internationale joue un rôle important (accords de paix, prix Nobel de la paix).

Quels sont selon vous les autres facteurs d'influence de cette évolution positive ?

La dévaluation du peso à hauteur de 40 à 50% a rendu le pays plus attractif. A mon arrivée, l'Euro valait 1.800 Pesos colombien contre 3.000 aujourd'hui. Le nombre de touristes a également augmenté suite à la baisse de fréquentation de certaines destinations comme la Turquie ou la Tunisie. Le pays a également d'énormes atouts : une nature très diversifiée, des villes coloniales magnifiques comme Carthagène ou Popayán, une population dotée d'une grande gentillesse. Combiné avec une amélioration des infrastructures et de la professionnalisation de la filière du tourisme, cela permettra de fidéliser les touristes.

 

Rendez-vous la semaine prochaine pour la suite de l'entretien !

Propos recueillis par Delphine Thébaud (www.lepetitjournal.com/bogota), le lundi 10 avril 2017

 

Photo : Ambassade de France en Colombie

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Publié le 18 avril 2017, mis à jour le 28 avril 2017

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