Édition internationale

INTERVIEW - Yannick Rascouët, nouveau directeur de l’Institut français de Barcelone

Écrit par Lepetitjournal Barcelone
Publié le 4 octobre 2023

Arrivé à Barcelone à la rentrée 2011, Yannick Rascouët est un habitué du réseau culturel français à l'étranger. Après avoir fait ses armes dans divers pays, il a déjà travaillé, il y a quelques années, au service culturel de l'Ambassade de France en Espagne, avant de rejoindre Paris et le ministère des Affaires étrangères et européennes. Il revient pour nous sur les projets qu'il souhaite mettre en place au sein de l'IFB. Rencontre

(Yannick Rascouët / Photo DR)
Lepetitjournal.com : Pouvez vous revenir sur votre parcours professionnel avant de prendre la direction de l'IFB ?
Yannick Rascouët :
Je suis entré dans le Réseau culturel français à l'étranger en 1976. Je n'en suis pratiquement jamais sorti. Une succession d'affectations qui sont autant d'étapes, de tranches de vie et qui ont commencé par 15 ans au service de l'Alliance française en tant que directeur des cours (Colombie, Emirats Arabes Unis, Zaïre, Brésil). J'ai ensuite passé 3 ans à la direction de l'Education de la région des Pays de la Loire, puis 7 au service culturel des Ambassades de France en Argentine et en Espagne, en qualité d'attaché de coopération éducative. Enfin, j'ai passé 7 ans au ministère des Affaires étrangères et européennes, à la direction générale de la coopération et du développement d'abord, puis en tant qu'adjoint au sous-directeur du français, responsable du pôle de la politique éducative à la direction générale de la Mondialisation, du Développement et des Partenariats, sur le site de Convention.

Après ces expériences, que représente pour vous Barcelone ?
C'est une chance que je mesure d'avoir été choisi pour assurer la direction de l'Institut français à Barcelone, ville-capitale à plus d'un titre. C'est aussi un défi à relever car les attentes de la ville, celles de nos étudiants, sont grandes en matière de diffusion culturelle et linguistique. Barcelone n'a cessé au cours de son histoire de porter des projets, d'innover, d'être à la pointe du progrès industriel, d'occuper les devants de la scène européenne et mondiale dans de nombreux domaines: expositions universelles, Jeux olympiques, football. Les créateurs qui en sont issus sont nombreux et souvent célèbres : architectes, artistes, écrivains, éditeurs, hommes d'affaires... La ville est un phare pour la Méditerranée. En ce qui me concerne, il y a longtemps que j'ai succombé à ses charmes. C'est pour cela que j'ai formé le v?u de venir y travailler.

Quels sont vos projets pour l'IFB et quels seront les moments forts cette saison ?
L'IFB est d'abord une école de langue française. Plus de 60 % de notre effectif d'apprenants se situe entre 16 et 34 ans : scolaires, étudiants et jeunes professionnels. Les cours que nous assurons constituent la plus grande part de nos recettes. En ces temps de crise économique et financière profonde qui affecte individus et institutions, il s'agit de veiller particulièrement à la qualité de ces cours mais il convient aussi de les accompagner d'une offre culturelle, d'un contexte francophone qui donne envie d'apprendre et facilite l'apprentissage du français. La médiathèque est pour ce faire l'outil principal dont dispose  l'IFB : livres, BD, DVD, CD, postes Internet? Nous allons sur fonds propres et avec le concours de l'IF (Paris) renforcer nos rayons, notamment la bibliothèque de l'apprenant (un large éventail de documents pour chaque niveau) et la collection de BD et de romans graphiques.
Pour animer cette médiathèque, répondre aux souhaits des lecteurs, en attirer de nouveaux, sera programmée au moins une fois par mois, le jeudi à 19h30, une "Rencontre avec un auteur". En mars et mai 2012, nous présenterons deux cycles, l'un autour "Des jeunes filles très modernes : la princesse de Clèves et autres héroïnes d'aujourd'hui" et le second centré sur "Le récit et l'image : le roman graphique contemporain". Pour chaque cycle, il y aura des écrivains invités et des films en écho.
Nous allons par ailleurs développer les cycles de cinéma patrimonial le lundi. L'IFB se doit aussi d'être un lieu de réflexion autour de penseurs et de décideurs qui font l'actualité d'aujourd'hui et celle de demain. Pour cela des débats d'idées portant notamment sur les suites des révolutions arabes et sur la ville durable sont prévus respectivement au premier semestre 2012 et au mois de novembre.
Après l'exposition "Jacques Léonard", reportage photographique consacré au pèlerinage annuel des gitans de Barcelone aux Saintes-Maries-de-la-Mer, la galerie de l'IFB accueillera à partir de la mi-janvier, des expositions consacrées à Albert Camus, à Georges Brassens puis, à partir d'avril, les travaux de jeunes photographes.
Enfin, nous recevrons des auteurs, compositeurs, interprètes pour des récitals et concerts : après Francis Cabrel, le 9 octobre dernier, Nilda Fernandez viendra chanter en français et en espagnol le 21 décembre.
Nous poursuivrons le développement de l'offre de séjours linguistiques en France mais aussi dans d'autres pays francophones. Et de la même manière, dans une sorte d'échange croisé, nous espérons accueillir en 2012 un nombre plus important de classes du patrimoine pour leur faire découvrir à travers des itinéraires et des visites thématiques de la ville de Barcelone ce riche patrimoine qui nous entoure.

Une touche personnelle que vous souhaitez particulièrement apporter ?
Je souhaite que l'IFB soit le plus accueillant possible : les personnes qui y travaillent savent combien le public apprécie que nous soyons à l'écoute, que nous répondions d'une façon très professionnelle à ses attentes et sollicitations. Un sourire ouvre toutes nos portes. Sur un plan matériel, nous devons faire un effort pour que nos étudiants, les usagers de la médiathèque, le public qui vient nous rendre visite se sentent bien dans nos murs : un peu plus de confort pour les lecteurs (le réaménagement de la médiathèque est en voie d'achèvement), pour les étudiants en classe (renouvellement du matériel) est toujours bienvenu. Nous allons aussi mettre à profit l'adoption d'une nouvelle charte graphique pour redessiner notre signalétique externe et interne. L'objectif est de gagner en visibilité, d'accroître l'attractivité  de l'IFB. Nous entendons également renforcer notre communication que celle-ci soit institutionnelle, événementielle ou qu'elle porte sur la promotion de nos cours intra-muros et à l'extérieur, notamment auprès des entreprises.

La centralisation des divers instituts et leur "chapeautage" depuis les services de l'Ambassade, à Madrid, est-elle achevée au niveau de l'IFB ? Pour l'IFB, qu'est ce que ça signifie exactement ? La fin de l'autonomie ?
Nos autorités à Madrid sont mieux placées que moi pour répondre à cette question. Le terme "chapeautage" me semble connoté négativement et mal traduire la nouvelle organisation. Cette réforme se fait parce qu'elle est nécessaire. Elles est liée à la création de l'Institut français résultant de la loi de juillet 2010. L'intelligence doit continuer de présider à la mise en ?uvre de la réforme et elle trouvera à s'exprimer pleinement dans un mode de fonctionnement où chaque établissement culturel conservera sa personnalité et son image. Barcelone n'est pas Madrid qui n'est ni Bilbao, ni Séville, ni Saragosse, ni Valence. Nos maisons ont partout dans le monde les mêmes objectifs, elles ne sont toutefois ni tout à fait les mêmes, ni tout à fait autres. Unies et solidaires oui, nécessairement dans la diversité pour mieux s'inscrire dans des contextes différents. Il me semble que c'est en cela que réside la force du Réseau.

En mai 2011, au cours d'une interview pour Lepetitjournal.com, Xavier Darcos souhaitait mettre en avant la numérisation des fonds, la formation des personnels, et la  mise en avant du débat d'idées pour l'Institut Français. Où en est l'IFB par rapport à ces grands axes ?
Notre médiathèque est informatisée depuis 1994. Le catalogage des documents est aujourd'hui achevé. Tout document entrant est désormais systématiquement informatisé. La  numérisation des fonds qui exige des moyens conséquents et demande du temps n'a pas encore démarré en ce qui concerne l'IFB.
La loi qui a créé l'Institut français lui donne compétence en matière de formation pour les agents du réseau. Un pôle de la formation s'est créé au sein du département "Ressources humaines et réseau". En liaison avec les autres départements (langue française, échanges et coopérations artistiques, livre et promotion des savoirs, cinéma, communication et nouveaux médias, etc), il propose des formations adaptées dont bon nombre sont décentralisées : un établissement culturel (IF ou Alliance française) assure une formation spécifique pour des agents venus d'établissements culturels de la région. Cette formule permet d'être plus efficace en étant plus près des demandes de formation.
Le débat d'idées fait partie des toutes premières priorités de l'Institut français et du MAEE. Il  doit contribuer au rayonnement de la pensée  française illustrée sous diverses formes et dans tous les domaines de l'activité humaine par des penseurs, décideurs, spécialistes dans leur champ. Il s'agit de les inviter pour qu'ils débattent avec des collègues catalans de thèmes de société. J'en ai donné à l'instant deux exemples qui nous occupent pour notre programmation 2012. Je pourrais en formuler d'autres qui sont autant d'interrogations sur notre devenir individuel et collectif tel que  le vieillissement de nos populations, les énergies,  le traitement des déchets,  etc. et qui intéressent le grand public.

Vous étiez dernièrement, au sein du Ministère des Affaires étrangères et européennes, responsable du pôle du multilinguisme et du réseau scolaire. Que pensez vous de l'immersion linguistique à l'école, et de la polémique en Catalogne ?
Je lis avec intérêt les déclarations et commentaires des uns et des autres sur la question de l'immersion linguistique en Catalogne. Je me garderai bien en tant que fonctionnaire français résidant hors de France d'émettre une opinion sur les aspects politiques de cette question. Je soulignerais la chance qui est celle d'élèves maniant parfaitement dès le plus jeune âge deux langues en contexte familial et scolaire. C'est un avantage extraordinaire pour l'apprentissage d'autres langues plus tard au cours de la scolarité.

Concernant l'enseignement du français, êtes vous attaché au développement des nouvelles techniques (TBI, cours à distance, etc.) ou préférez vous un enseignement plus traditionnel ?
C'est l'étudiant et son projet d'apprentissage qui importent avant tout. L'apprenant doit toujours être au centre de l'enseignement. Il revient à l'enseignant de le guider dans son parcours en développant une pédagogie de qualité qui soit la plus appropriée pour l'atteinte des objectifs. Ceci dit, l'enseignement n'est pas hors du  temps. Les technologies modifient en profondeur notre manière de vivre. L'enseignement les intègre naturellement. Elles doivent servir les apprentissages, les faciliter. Elles ne se substituent pas au projet pédagogique qui prime, elles n'en sont qu'une composante. Elles ont du sens dans la classe si elles répondent à la question que se pose légitimement tout enseignant : puis- je améliorer ma prestation pédagogique, la rendre plus interactive, plus efficace grâce au TBI par exemple ? Pour y parvenir, il faut une formation pédagogique (et non technologique) solide et actualisée, de la bonne volonté, un peu de patience et une capacité à s'interroger en permanence sur le sens. Pas davantage cependant que ce que requiert l'utilisation d'un tableau blanc et de feutres de couleur, d'un lecteur de CD-Rom, de DVD . Et puis demain, une nouvelle technologie remplacera l'actuelle et les jeunes apprenants seront là pour le rappeler, sans oublier toutefois que passent les technologies, demeure l'enseignant.

L'IFB est-il suffisamment visité par les Français de Barcelone ? Qu'est ce que vous leur diriez pour les inciter à y venir plus régulièrement ?
Votre première question ne peut appeler qu'une réponse négative. Il n'y a et il n'y aura jamais assez de Français à l'Institut. C'est leur maison et elle a besoin d'eux, de leur soutien. Ils doivent s'y sentir chez eux et nous espérons qu'ils seront toujours plus nombreux à s'inscrire à la médiathèque, à prendre part aux activités culturelles que nous proposons dans nos murs ou en partenariat avec d'autres institutions barcelonaises et catalanes de renom. L'Institut français se veut un lieu de rencontre, un pont tendu entre la ville et la Catalogne dont nous sommes les hôtes ?certains d'entre nous depuis de longues années- et la France que nos compatriotes représentent dans sa diversité et sa richesse.
Alors je dirais volontiers aux Français de Barcelone, venez à l'Institut, amenez-y vos amis catalans et passez ensemble, à la salle de spectacle, à la médiathèque ou à la cafeteria, un agréable moment de culture.

Propos recueillis par Vincent GARNIER (www.lepetitjournal.com - Espagne) jeudi 17 novembre 2011


lepetitjournal.com barcelone espagne
Publié le 17 novembre 2011, mis à jour le 4 octobre 2023
Commentaires

Votre email ne sera jamais publié sur le site.