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Le Français Emmanuel Guigon reconduit à la direction du musée Picasso de Barcelone

Après un "septennat" qui s'achève en apothéose avec l'exposition "Picasso-Miro", le directeur français du musée Picasso de Barcelone est reconduit dans ses fonctions pour au moins deux ans. Rencontre avec cet historien de l'art passionné de poésie et grand expert du surréalisme, qui a su ouvrir sur la ville l'un des plus importants lieux d'exposition de la capitale catalane et d'Espagne.

Emmanuel GuigonEmmanuel Guigon
Emmanuel Guigon/Museu Picasso
Écrit par Francis Mateo
Publié le 17 février 2024, mis à jour le 19 février 2024

Comment définissez-vous votre mission de directeur de musée ?

Peut-être suis-je un peu atypique, mais je pense que mon rôle n'est pas seulement d'organiser des expositions. Je revendique à la fois une dimension scientifique, culturelle et bien sûr publique. Parce qu'un musée sans public, c'est un musée qui n'existe pas. Cela peut sembler un peu rhétorique, mais c'est essentiel pour moi. Et puis il y a une spécificité du musée qui me tient également à cœur : la générosité. En ce sens, nous avons aussi une fonction morale : partager des œuvres d'art bien sûr, mais aussi les doutes, le bonheur, les histoires que nous racontons. En revanche, je ne supporte pas qu'on utilise l'œuvre d'art pour illustrer un discours. J'ajoute qu'il y a également une mission de transmission, y compris le plan académique, qui participe de cette volonté de partage.

Sur le million de visiteurs que nous recevons annuellement, 16% sont de Barcelone, ce qui est énorme en comparaison avec les autres grands musées dans le monde

En quoi le musée Picasso de Barcelone est-il représentatif de ces valeurs ?

Pablo Picasso se révèle en tant qu'artiste à Barcelone, et l'un de ses premiers gestes envers la ville est d'offrir l'Arlequin en 1919, une œuvre qu'il a peinte deux ans plus tôt et qui est aujourd'hui devenue en quelque sorte la première pierre de notre collection permanente. Suivront le don d'un millier d'œuvres à la municipalité en 1958, puis les 800 pièces léguées par son grand ami et secrétaire personnel Jaume Sabartés. C'est dire si ce musée est marqué par cette vertu de générosité ! Comme il est caractérisé par cet ancrage local et ce rapport si particulier à la ville, que j'ai voulu renforcer ces dernières années. D'ailleurs, sur le million de visiteurs que nous recevons annuellement, 16% sont de Barcelone, ce qui est énorme en comparaison avec les autres grands musées dans le monde.

Je n'oublie pas l'hommage rendu par les présidents Emmanuel Macron et Pedro Sanchez lors de leur visite, à l'occasion de la signature de l'accord franco-espagnol.


Quel bilan tirez-vous de l'année Picasso qui s'achève avec l'exposition "Picasso-Miro" ?

Cette exposition "Picasso-Miro" était nécessaire, et il a reçu un très beau succès public et médiatique. Mais l'année a par ailleurs été marquée par de nombreux événements hors des murs du musée de Barcelone, avec notamment lors de PHotoEspaña et une grande exposition consacrée à Picasso et Velázquez à Madrid. Nous avons aussi été présents à travers le monde par des prêts, ou des écrits dans les catalogues, et je n'oublie pas l'hommage rendu par les présidents Emmanuel Macron et Pedro Sanchez lors de leur visite, à l'occasion de la signature de l'accord franco-espagnol. Je veux aussi rappeler l'exposition inaugurale de cette année si spéciale, dédiée à Daniel Henry Kahnweiler, grand marchand et ami de Picasso comme de nombreux artistes au début du XXème siècle. C'est d'ailleurs le collectionneur qui participe au rapprochement de Picasso et des surréalistes, dont André Breton, comme je l'explique dans un livre que j'ai dédié à ce sujet (1). Et nous aurons l'occasion d'y revenir dans un proche avenir dans le cadre des futures expositions.

Emmanuel Guigon
Photo Adrià Cañameras

 

Justement : quel avenir après cette année Picasso ?

Nous allons commencer par des aménagements d'infrastructure, avec une rénovation complète de l'entrée du musée pour faciliter l'accès et rendre le rez-de-chaussée plus accueillant. Je vous annonce aussi que nous aurons bientôt un restaurant. Sur le plan artistique, je veux revoir totalement la muséographie de la collection permanente, en présentant davantage d'œuvres, et en étant plus didactique, tout en mettant davantage en évidence qu'il s'agit d'un lieu voulu et créé par Picasso. Nous allons ainsi donner un coup de jeune à cette collection permanente. Avec bien évidemment des expositions temporaires très attrayantes, marquées notamment par la figure du galeriste Joan Gaspar, et celle de Fernande Olivier, première relation officielle de Pablo Picasso, qui l'accompagne durant sa révolution cubiste. Et à l'automne, nous avons prévu une exposition sur les Catalans à Paris, à travers les générations de 1889 et 1914. Dans le même temps, nous allons renforcer notre collaboration avec le musée Picasso de Paris, et faire une place à la photo à travers le regard du poète-photographe Bernard Plossu sur les paysages catalans de Picasso.

Il s'agit d'un lieu voulu et créé par Picasso

En quoi Picasso, et l'art en général, peuvent-ils aujourd'hui éclairer notre époque ?

J'aime cette belle définition de Robert Filliou : "L'art est ce qui rend la vie plus intéressante que l'art". On pourrait aussi dire, comme pour la poésie au sens rimbaldien, que l'art est "en avant" de la révolution. Et Picasso est l'auteur de nombreuses révolutions artistiques ! L'avant-garde historique et le surréalisme sont d'ailleurs des thèmes qui me tiennent beaucoup à cœur et qui auront une place de choix l'année prochaine, pour le centenaire du manifeste du surréalisme d'André Breton, publié en octobre 1924. À cette occasion, nous organiserons un "Printemps surréaliste"... en automne, avec des colloques, conférences, en plus bien sûr des œuvres exposées. Ce sera l'occasion de découvrir tout ce qui unit ces deux artistes de génie, Breton et Picasso.

 

(1) « Picasso surréaliste », d'Emmanuel Guigon (Jean-Michel Place éditeur)

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