Le journaliste Francis Mateo présente « Cuba... la patrie et la vie », à la librairie Jaimes de Barcelone (le 6 février 2023 à 19h00)*. Un livre-enquête au contact d'une population cubaine qui subit à la fois les pénuries et les brimades d'un régime politique répressif. Un voyage à Cuba pour découvrir l'envers de la carte postale, mais aussi sur les pas de la diaspora cubaine, de La Havane à Barcelone.
Pourquoi avoir choisi de présenter votre livre à la librairie française de Barcelone?
Francis Mateo: Parce que le sort de Cuba et de sa population intéresse l'Espagne et la France. Ou devrait en tout cas intéresser davantage les Français, d'autant que Cuba est une île très francophile. La France a par ailleurs été le premier pays de l'Otan à accueillir officiellement Fidel Castro après l'effondrement de l'Union Soviétique, à l'invitation du président François Mitterrand. Cet événement politique a permis de créer des liens économiques avec l'ouverture au tourisme et l'arrivée à Cuba de grands groupes français comme Accor, Bouygues ou Pernod-Ricard. Sans oublier les relations culturelles très fortes : les deux Alliances françaises implantées à Cuba restent les seuls centres culturels étrangers autorisés sur l'île, où le festival du cinéma français du mois de mai est l'un des grands rendez-vous culturels du pays. Avec l'Espagne, les liens historiques sont évidents, mais c'est aussi le premier pays de résidence de la population cubaine en exil, à l'exception évidemment des États-Unis, puisque près de 125.000 Cubains résident aujourd'hui en Espagne. Les liens culturels et l'attachement à Cuba sont ici également très forts, notamment en Catalogne. C'est aussi depuis l'Espagne, et tout particulièrement depuis Barcelone, que s'est organisée l'opposition internationale après les manifestations sévèrement réprimées du 11 juillet 2021, qui sont le point de départ de mon livre.
Mais que s'est-il passé le 11 juillet 2021 à Cuba?
Ce jour-là, pour la première fois depuis l'avènement du pouvoir castriste en 1959, des milliers de Cubains descendent spontanément dans les rues d’une douzaine de villes de l’île, pour protester pacifiquement contre les abus de la dictature, les privations, les coupures d'électricité récurrentes et tous les tracas d'un pays en banqueroute. Le gouvernement de Miguel Diaz-Canel répond à ces protestations par une violente répression qui va se solder en quelques jours par un millier de personnes emprisonnées pour le simple fait d'avoir manifesté pacifiquement. Beaucoup sont encore derrière les barreaux, condamnés à des peines aberrantes qui vont jusqu'à trente ans de prison sous prétexte de sédition. Et particulièrement à la Guinera, un quartier périphérique de La Havane, où pas une seule famille n'a été épargnée par cette réaction démesurée.
S'il y a bien quelque chose qui caractérise le pouvoir castriste, c'est la faillite économique
Comment expliquez-vous cette explosion de colère?
C'est le résultat d'une situation économique et sociale qui s'est dégradée au fil des décennies, et qui a empiré au cours des dernières années. Parce que s'il y a bien quelque chose qui caractérise le pouvoir castriste, c'est la faillite économique. Les queues sont interminables devant des vitrines de magasins pratiquement vides, les pénuries sont tellement fortes qu'il est extrêmement difficile de se procurer les aliments de base comme la farine ou le sucre. Même l'eau minérale manque aujourd'hui, y compris dans les hôtels de luxe de La Havane! Sans compter les coupures d'électricité à répétition, des logements dans un état de délabrement avancé, et l'absence quasi totale de médicaments, avec des conséquences terribles sur la santé et des épidémies incontrôlables de dengue par exemple, ou même de gale.
Le blocus est en réalité devenu le "cache misère" et le prétexte de se maintenir au pouvoir pour un régime autocratique incapable de gouverner autrement que par le bâton
Mais n'est-ce pas le résultat de l'embargo des États-Unis?
Le blocus américain empêche effectivement une partie des approvisionnements, mais il n'explique pas tout, loin de là! D'ailleurs, la principale source de revenus de Cuba provient aujourd'hui des "remesas", c'est-à-dire l'argent et les biens envoyés par les Cubains expatriés, principalement ceux qui vivent aux États-Unis, et en particulier à Miami. L'embargo imposé par les États-Unis depuis soixante ans ne justifie plus la situation d'extrême précarité; le blocus est en réalité devenu le "cache misère" et le prétexte de se maintenir au pouvoir pour un régime autocratique incapable de gouverner autrement que par le bâton ».
Les femmes sont en première ligne depuis des décennies pour défendre leurs proches de la violence politique, et continuent inlassablement de protester contre l’emprisonnement injustifié de leurs enfants.
Pourquoi ce titre: "Cuba... la patrie et la vie"?
C'est le titre d'une chanson célèbre du rappeur Yotuel Romero, qui est devenue l'hymne de toute une génération, de ces jeunes Cubains qui refusent de se soumettre à la censure et réclament la liberté. Cette chanson, "Patria y vida" (La patrie et la vie), a été reprise en chœur lors des manifestations du 11 juillet 2021. Le titre renverse l'un des vieux slogans révolutionnaires, "la patrie ou la mort". Au-delà de la jeunesse, "Patria y vida" est devenu un véritable cri que l'on entend désormais dans tous les rassemblements de contestation et les mouvements d'exaspération spontanée qui surgissent encore à La Havane ou ailleurs. Cette chanson rend aussi hommage aux femmes, qui sont en première ligne depuis des décennies pour défendre leurs proches de la violence politique, et continuent inlassablement de protester contre l’emprisonnement injustifié de leurs enfants. Ce sont leurs histoires que je raconte dans le livre, car ces femmes incarnent mieux que personne la dynamique de changement à Cuba. Je pense que les Cubaines auront un rôle politique important, et j'espère enfin reconnu, au cours des prochaines années.
"Cuba... la patrie et la vie !", de Francis Mateo (VA Éditions) est disponible sur Amazon et à la librairie française Jaimes de Barcelone.