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EMMANUEL GUIGON - "Une collection permanente c'est comme un poème"

Écrit par Lepetitjournal Barcelone
Publié le 16 avril 2017, mis à jour le 13 avril 2017

Rencontre avec Emmanuel Guigon, qui vient de reprendre les rênes du musée Picasso, le centre culturel comptabilisant le plus d'entrées à Barcelone avec 1,2 million de visiteurs par an. Il nous parle de ses projets pour le musée qui va connaitre un nouveau parcours permanent, de nouveaux espaces, des expositions temporaires mêlant plusieurs disciplines ainsi que des projets de publications et de recherche. 

Le Franco-Suisse Emmanuel Guigon, docteur en histoire de l'art contemporain, est le nouveau directeur du musée Picasso de Barcelone. Fraichement installé dans la ville, la culture espagnole ne lui est pourtant pas étrangère, bien au contraire ; Emmanuel Guigon a en effet travaillé à la Casa Velasquez après son doctorat, a collaboré avec beaucoup de musées espagnols et a été le sous-directeur du l'institut valencien d'art moderne, le IVAM. Il a également été le directeur des musées de Besançon en France. 

Quels sont vos axes de travail pour ce musée?
Emmanuel Guigon : "Au delà du projet scientifique et culturel de médiation que doit avoir tout musée, et qui doit se renouveler sans arrêt, j'ai plusieurs lignes directrices. L'une d'elles est de renforcer la reconnaissance internationale au niveau de la recherche, des publications, au niveau de nos collections. Bien évidemment depuis que ce musée existe il y a eu des collaborations avec d'autres grandes institutions ; là nous sommes par exemple en train de monter une exposition sur le portrait de Picasso avec un grand musée de Londres. Mais je trouve que les publications ne sont pas trop sorties de Barcelone, et comme je suis un homme de livres, je vais renforcer les publications. En plus ici nous avons la chance d'avoir un centre de recherche avec des archives qu'on arrête pas d'enrichir, et on travaille aussi à mettre en ligne ces archives. Nous allons aussi moderniser la page web du musée, qui est bien actuellement, mais qui pourrait être bien meilleure ; pour moi le modèle à suivre est celui de la web du musée du Prado, nous souhaiterions travailler dans ce sens là.
Au niveau de la visibilité internationale, nous sommes en train de signer une convention cadre avec le musée Picasso de Paris ; nous renforçons un réseau des musées Picasso au niveau international, et bien évidemment les deux grandes locomotives sont les musées de Barcelone et de Paris. J'ai décidé aussi de créer ici une revue "d'étude picassienne", en accord avec un comité scientifique de directeurs d'autres musées Picasso."

Quelles sont les expositions prévues?
"Un musée c'est d'abord une collection que l'on doit montrer, que l'on doit restaurer, publier, enrichir, mais c'est aussi un ensemble d'éléments, dont les plus connus sont bien sûr les expositions. Je souhaite des expositions novatrices, interdisciplinaires si possible, mêlant à la fois des expositions très pointues comme des expositions "blockbuster", destinées au grand public.
Cet automne il y aura une exposition sur le dernier grand séjour qu'a fait Picasso à Barcelone en 1917 avec les ballets russes. Ce sera un almanach jour après jour de la vie de Picasso en 1917 à Barcelone et de ses relations avec le ballet russe ; ce fut une période très importante de l'évolution de son oeuvre.

La première grande exposition que nous allons faire sera sur la cuisine, la "Cuina de Picasso". Picasso, depuis sa jeunesse jusqu'à sa mort, dans toute son oeuvre multiple, a toujours été fasciné par les aliments et par la cuisine. Il a peint les cuisines dès sa jeunesse à La Corogne, il a peint des cuisines dans les années 1950/1970, et il a aussi peint beaucoup d'aliments dans la tradition des "bodegón" (les natures mortes). Toute la sculpture de Picasso est souvent faite à partir d'éléments de cuisine, comme une louche par exemple ou une fourchette, qui serviront à faire une main, ou encore un guidon de voiture d'enfant. Picasso a fait beaucoup de menus aussi, il a fait des recettes avec Georges Braque. Tout le monde connait le fameux manifeste de la cuisine futuriste de Marineti, mais on connait beaucoup moins le manifeste de la cuisine cubique d'Apolinaire. Mais Picasso a aussi été un grand poète, plutôt surréaliste. Et dans sa poésie il parle aussi beaucoup de nourriture. Sa pièce de théâtre "Le Désir attrapé par la queue " écrite durant l'hiver 1940/41 est une oeuvre précurseur du théâtre de l'absurde. Les personnages de la pièce sont La tarte à la crème ou encore L'oignon, et il y a un rapport très érotique entre les aliments. Il y a beaucoup de plaisir érotique dans la cuisine de Picasso.

L'exposition suivante fera aussi partie des grosses expositions dites "blockbusters", et sera réalisée en coproduction avec le musée Picasso de Paris : c'est sur la relation d'amitié avec le Français Paul Éluard. Dès 1919, avant l'invention du surréalisme, Éluard s'intéresse au travail de Picasso, et à partir de 1934, il deviennent des amis intimes jusqu'à la mort d'Éluard en 1952. L'exposition sera constituée d'un grand nombre de livres illustrés, de gravures par Picasso, beaucoup de poèmes de Paul Éluard, des portraits d'Éluard et de sa femme par Picasso, ainsi que des photographies."

Certaines personnes qui vivent depuis plusieurs années à Barcelone ne sont jamais retournées au musée Picasso. Qu'allez-vous faire pour attirer le public local?
"Ce qui freine les Barcelonais, c'est que le musée à la réputation d'être un musée de touristes où l'on fait la queue. Seules 2,4% des entrées concernent les Barcelonais. D'abord je rappelle qu'il est très facile de ne pas faire la queue en s'inscrivant et achetant ses entrées en avance sur internet. Ensuite, un musée n'est pas immuable, une exposition permanente n'est pas immuable. Une collection ou une exposition permanente c'est comme un poème :  le premier mot est important, le dernier mot est important et tout découle de cela. L'accrochage doit toujours changer, tous les ans ou tous les deux ans. Car évidemment, si l'on a vu une collection permanente et que lorsque l'on revient trois ans plus tard c'est la même, cela ne donne pas trop envie. Cette année nous allons refaire tout le parcours permanent, en le mettant en contexte visuellement avec des films de l'époque, des photographies, ou des revues humoristiques de l'époque entre autres. Il y a une partie du musée en bas, qui n'était pas utilisée pour les expositions et qui va être ouverte au public ; il y aura beaucoup d'interventions d'art contemporain, il y aura de nombreuses informations sur Picasso, sur l'histoire du musée à travers des vidéos et des interventions, et un nouveau restaurant qui va réouvrir. On va réorganiser également l'entrée du musée calle Montcada, avec les "taquillas" davantage à l'intérieur. Il y aura aussi une nouvelle salle d'exposition temporaire destinée à un art très contemporain, avec des interventions digitales, un art qui pose question, pour intéresser un public plus jeune."

À partir que quand pourront-on visiter cette nouvelle offre du musée?
"Cette année est une année intermédiaire. Cet automne il y aura quatre expositions à la fois : celle sur les ballets russes de 1917 ; une avec le poète pré-dadaïste Arthur Cravan et son combat de boxe ; une exposition très didactique sur les ateliers de gravure de Picasso, avec un atelier de gravure gratuit ouvert au public ; et une exposition sur les photos. L'objectif est d'ouvrir le nouveau parcours permanent en février 2018."

Barcelone souffre des désagréments liés au tourisme de masse et cherche à proposer des nouveaux parcours aux touristes. L'élargissement pluridisciplinaire du musée Picasso peut-il être une passerelle pour organiser ce tourisme?
"Absolument! Il faut renouveler les publics et intéresser de nouveaux publics. Nous allons par exemple préparer des parcours en collaboration avec de grands cuisiniers (pour mai ou juin 2018). Picasso a en effet participé à la célébrité de certains bars et certains cabarets très connus à Barcelone comme Els 4Gats ; dans le nouveau parcours permanent je vais beaucoup insister sur les rapports de Picasso avec les intellectuels locaux du 4Gats, écrivains, musiciens, et autres peintres ; ou comme le restaurant Le Catalan qu'il a présenté durant la seconde guerre mondiale."

Propos recueillis par Perrine LAFFON (www.lepetitjournal.com - Espagne) 
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Publié le 16 avril 2017, mis à jour le 13 avril 2017

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