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Des armées de comptes Twitter anonymes suscitent des craintes en Asie

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Le phénomène a été surnommé par humour “Botmaggedon”. Mais l’explosion du nombre de nouveaux comptes Twitter anonymes dans plusieurs parties de l’Asie de l’Est et du Sud-Est suscite fait craindre que la région ne se trouve en proie à des manipulations de réseaux sociaux similaires à celles qu’ont connues les Etats-Unis.

 Maya Gilliss-Chapman, une entrepreneure cambodgienne travaillant dans la Sillicon Valley, a remarqué début avril quelque chose d’étrange.

Son compte Twitter @MayaGC s’est retrouvé submergé par un déluge quotidien de "followers" issus de nouveaux utilisateurs.

"J’ai acquis bien plus de 1.000 followers depuis le début mars. Cela correspond à quelque chose comme 227% de plus en un seul mois," a-t-elle déclaré à l’AFP.

Même si beaucoup se satisferaient d’une telle hausse de popularité, Maya Gilliss-Chapman, qui a déjà travaillé pour des entreprises à éradiquer le spaming, y a tout de suite vu quelque chose de suspect.

La grande majorité de ces nouveaux comptes ne contenaient aucune photo permettant d’identifier l’utilisateur et n’avaient quasiment jamais twitté depuis leur création. 

Mais il se trouve qu’ils "suivaient" tous des utilisateurs connus au Cambodge parmi lesquels des journalistes, des personnalités des affaires, des intellectuels et autres célébrités. 

Elle a effectué quelques recherches puis a publié ses résultats sur l’Internet, soulignant que la plupart des comptes avaient été créés récemment par paquets par des opérateurs inconnus qui se donnaient apparemment beaucoup de mal pour dissimuler leur vraie identité. 

Elle n’était pas la seule.

Peu après, des utilisateurs Twitter en Thaïlande, au Vietnam, en Birmanie, à Taïwan, Hong Kong, et au Sri Lanka, ont fait le même constat : une augmentation de "follows" de la part de comptes récents, anonymes, au nom à consonance locale, mais sans réelle activité, comme en sommeil dans l’attente d’un ordre pour une action particulière à mener.

Utilisateurs organiques ?

Alors que Facebook a reçu la part du lion de l’opprobre internationale ces derniers mois par rapport aux accusations pour sa lenteur à réagir vis-à-vis des gens et des acteurs gouvernementaux manipulant sa plateforme, Twitter a également été accusé de ne pas faire assez pour éradiquer ses faux utilisateurs. 

La plupart des "bots" sont utilisés pour des spams commerciaux. Mais ils ont déjà été déployés à des fins politiques en Asie.

Pendant les élections présidentielles de 2016 aux Philippines, il y a eu une vague de bots et de trolls organisés mis en œuvre pour soutenir l’homme qui finalement gagna les élections, le sulfureux Rodrigo Duterte.

Et après que les militaires birmans ont entamé leur impitoyable répression contre la minorité musulmane Rohingya, il y a eu une explosion du nombre de comptes exprimant leur soutien au gouvernement sur Twitter, une plateforme qui jusque-là ne comptait que très peu d’utilisateurs en Birmanie.

Avec des élections en vue en Thaïlande, au Cambodge, en Malaisieet en Indonésie sur les deux prochaines années, nombre de ceux qui ont été frappés par la vague de mystérieux abonnés Twitter en Asie se demandent si les géants de la Sillicon Valley font le nécessaire pour bloquer les faux comptes avant que ne leur soient donné l’ordre de marche.

Jusqu’ici, Twitter n’a rien trouvé de gênant.

Un porte-parole de l’entreprise a indiqué que des ingénieurs étaient en train de "vérifier les comptes en question et prendraient des mesures contre tout compte violant les Règles de Twitter".

Une source ayant connaissance de l’investigation a fait savoir que les enquêteurs pensaient que les comptes étaient "des nouveaux utilisateurs organiques" qui s’étaient probablement vus suggérer de suivre des utilisateurs Twitter célèbres en Asie au moment de la création de leur compte.

"C’est quelque chose à laquelle nous faisons attention, mais jusqu’ici, cela ressemble à un phénomène plutôt normal correspondant à la création de compte," a déclaré la source anonyme à l’AFP.

Mais de nombreux experts ne sont pas convaincus par ces explications.

"Y a-t-il vraiment autant de nouveaux et authentiques utilisateurs s’inscrivant à Twitter, tous ayant cette caractéristique grossière du faux compte ?", demande Raymond Serrato, expert pour Democracy Reporting International, qui surveille les comptes suspects.

"Comme un cancer"

La question des faux utilisateurs est très délicate pour Twitter car si des mesures pour les éradiquer devaient être prises, cela risquerait de réduire drastiquement son audience de 330 millions d’utilisateurs, le principal fonds de commerce de l’entreprise.

Dans un rapport à la Securities and Exchange Commission des Etats-Unis daté de 2014, Twitter estimait que 5 à 8.5% des utilisateurs étaient des bots.

Mais Emilio Ferrara, chercheur à l’université Southern California, a publié une étude l’an dernier suggérant que ce chiffre pourrait être doublé, soit 9 à 15%.

La semaine dernière, le Pew Research Center a publié un rapport analysant 1,2 millions de tweets en anglais contenant des liens vers des sites Internet très fréquentés. Les deux tiers des tweets venaient de comptes soupçonnés d’être des bots.

Selon Twitter Audit Report, une société tierce qui scanne les "followers" des gens en utilisant un logiciel pour estimer combien d’entre eux sont faux, pas moins de 16 millions des 51 millions de comptes Twitter qui suivent celui de Donald Trump ne sont pas de vraies personnes.

Pour Jennifer Grygiel, spécialiste des réseaux sociaux à l’Université Syracuse dans l’état de New York, l’élection présidentielle américaine a offert un modèle à suivre.

"Les mauvais éléments un peu partout dans le monde ont vraiment intégré le potentiel des medias sociaux à influencer le processus politique," a-t-elle confié à l’AFP.

Twitter, dit-elle, n’est rien comparé aux plus de 2 milliards d’utilisateurs Facebook. Mais il reste néanmoins un facteur d’influence car de nombreux leaders d’opinion comme les journalistes, les personnalités politiques, les intellectuels, sont très présents sur cette plateforme. 

Raymond Serrato, de Democracy Reporting International, estime que les faux comptes peuvent constituer une menace même s’ils sont en apparence inactifs.

"Les comptes peuvent être utilisés à une date ultérieure pour amplifier certains tweets, pirater des hashtags, ou harceler des gens," dit-il.

Jennifer Grygiel utilise pour sa part une métaphore plus crue : "Le risque est que les comptes sont installés là comme un cancer," dit-elle.
 

lepetitjournal.com bangkok
Publié le 24 avril 2018, mis à jour le 15 avril 2020

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