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DECRYPTAGE - Les drogues de synthèse en Pologne

Écrit par Lepetitjournal.com Varsovie
Publié le 25 octobre 2010, mis à jour le 14 novembre 2012

 

Vendredi dernier, le Sénat a adopté l'amendement controversé d'une loi anti-drogue. Le Petit Journal revient sur une suite d'événements qui a eu un grand retentissement en Pologne.


(Drogues de synthèse- Wikicommons-DEA)

Le gouvernement polonais a lancé début octobre une vaste offensive contre le commerce des drogues de synthèse. Non-interdits, ces stimulants étaient en vente libre dans des boutiques spécialisées. Les 2 et 3 octobre plus de 1.000 établissements distribuant ces substances étaient mis sous scellés. Cette action fait suite à la multiplication de cas d'hospitalisations et de décès liés aux nouvelles drogues de synthèse inondant le marché polonais.

 

Une nouvelle génération de drogues

Une drogue de synthèse est un psychotrope produit en laboratoire  et spécifiquement conçu pour ses effets euphorisants, stimulants et parfois hallucinogènes. L'interdiction de l'ecstasy, la plus diffusée des drogues de synthèse a amené les chimistes à synthétiser d'autres types de molécules aux effets similaires.


Ces stimulants (?dopalacze' en polonais) sont des versions légèrement modifiées de psychotropes interdits mais dont les constituants ne sont pas encore considérés comme illégaux. Les nouvelles drogues, peu testées et parfois mal préparées sont souvent encore plus dangereuses que les originales.  La semaine dernière le Ministère de la Santé a annoncé qu'en 2010 les drogues de synthèse ont fait 18 morts et 304 blessés en Pologne.

Pourtant le déni de leur nocivité, la faible addiction physique qu'elles induisent, la facilité à se procurer ces produits licites, l'effet socialisant et euphorisant qu'elles procurent, font qu'elles restent très recherchées pour un usage "récréatif". Une autre clé du succès des drogues de synthèse est leur intérêt pour les revendeurs et pour le crime organisé. Elles sont faciles à produire, à transporter ou à dissimuler, et ne présentent que peu de risque pénal puisqu'elles sont généralement encore légales. De plus les matières premières nécessaires à leur production sont faciles à trouver et peu coûteuses. Ces drogues génèrent donc des profits considérables.


Le roi des drogues de synthèse

La face la plus visible et la plus médiatique de ces réseaux exploitant les drogues de synthèse s'appelle Dawid Bratko. Surnommé le roi des drogues de synthèse, ce jeune entrepreneur a ouvert en quelques mois plus de 100 magasins franchisés. La vaste opération lancée début octobre a entrainé la mise sous scellés de ses boutiques, puis son arrestation.


Toutefois il a été  très vite relâché, aucune base légale ne justifiant son emprisonnement : les produits qu'il vend ne sont pas encore interdits. Dawid Bratko se présente d'ailleurs comme la victime d'une opération illégale. Il souhaite porter l'affaire en justice pour ré-ouvrir ses boutiques au plus vite et demander compensation pour des pertes qu'il estime à 400.000 zlotys (plus de 100.000 euros) par jour.


Un vide juridique

Même s'il bénéficie du soutien de l'immense majorité de la population, le gouvernement se retrouve dans une situation délicate. Le Premier Ministre Donald Tusk a reconnu lui-même que les autorités avaient agi aux limites de la loi. L'offensive contre les drogues de synthèse a été déclenchée avant que l'amendement anti-drogues de synthèse ne soit voté.

En l'absence de base légale, le gouvernement a alors décidé d'utiliser un argument de santé publique. Les drogues vendues sont sans doute légales mais sont peut-être dangereuses pour les consommateurs : la confiscation des produits suspects et leur analyse approfondie permettra de le vérifier et fermera surtout les points de ventes pendant de longs mois.

 

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Une loi dissuasive

En 2009, le Parlement avait déjà révisé la loi de lutte contre les drogues en interdisant le commerce de 17 substances jugées toxiques. En août 2010, c'est la méphédrone, la plus populaire de ces nouvelles drogues qui est interdite. Mais la loi ne peut s'adapter en temps réel pour interdire les substances en constante évolution qui apparaissent sur le marché.

Plutôt que de proscrire une liste de molécules vouées à être automatiquement obsolètes, l'amendement propose donc de cibler tout produit ayant un impact sur le système nerveux. La nouvelle loi permettra aussi à l'inspection sanitaire de fermer à tout moment un point de production ou de vente de substances psychoactives, de saisir la marchandise et d'imposer immédiatement une amende allant de 20.000 à un millions de zlotys (de 5.000 à 250.000 euros).

"Nous avons préparé un projet très restrictif, extrêmement net et, je pense, efficace", s'est félicité le Premier Ministre. Cet amendement d'urgence adopté le vendredi 22 par le Sénat a déjà été approuvé par les députés (400 pour, 3 contre, 3 abstentions). Mais le sujet n'est pas aussi consensuel qu'il parait. De nombreuses critiques se sont élevées contre cet amendement


Les limites de la loi

Même si l'amendement précise que les substances comme le tabac ou l'alcool sont soumises à une autre réglementation, de trop nombreux produits influencent notre système nerveux et sont donc susceptibles de tomber un jour sous le coup de la loi : café, chocolat, et plus sérieusement de nombreux médicaments. Compte tenu des bases juridiques peu solides de cette large interdiction, M. Tusk a d'ailleurs admis qu'il y avait un faible risque que la Cour Constitutionnelle polonaise rejète l'amendement.


D'autres s'interrogent sur l'urgence qu'il y avait à traiter ce problème. Ils dénoncent la précipitation et l'emballement médiatique et craignent une instrumentalisation de l'affaire. Les drogues de synthèse sont une cible politiquement plus facile que l'alcool, qui fait pourtant des ravages bien plus importants en Pologne.


Les arguments contre la pénalisation reprennent aussi ceux généralement avancés en faveur de la légalisation du cannabis. En interdisant la vente de cette drogue, on ne fait que cacher le symptôme (le trafic continuera clandestinement) sans traiter les raisons (crise sociale, économique...). Les revendeurs soulignent d'ailleurs un intérêt croissant pour leur produits depuis la forte médiatisation de l'offensive contre les drogues de synthèse.


Par ailleurs, selon les défenseurs des drogues de synthèses, les intoxications ont commencé avec les premières interdictions. La clandestinité encourage en effet les revendeurs à trafiquer leur produits puisque personne n'ira se plaindre. Les chiffres du Ministère de la Santé confirment que la majorité des incidents ont eut lieu en octobre, après la fermeture des boutiques incriminées.

Enfin l'illégalité pénalise le consommateur en augmentant le coût des drogues, enrichit le crime organisé et réduit les rentrées fiscales de l'Etat. Les revendeurs de drogues licites affirment d'ailleurs avoir déjà rapporté 600 millions de zlotys (150 millions d'euros) à l'Etat.


A noter que les consommateurs et les réseaux de revente ne sont bien évidemment pas du tout satisfaits. Mi-octobre, le Ministre de la Justice Krzysztof Kwiatkowski a même reçu des menaces de mort, et le gouvernement a dû mettre en place une protection spéciale pour les personnes impliquées dans le dossier.


Le prochain enjeu pour le gouvernement de M. Tusk sera de ne pas donner raison aux contempteurs de cette loi et de réussir à convaincre ses partenaires européens de la justesse de son approche. Le Premier Ministre polonais espère en effet que sa politique volontariste sera suivie par le reste de l'Union Européenne.

 

CQ (www.lepetitjournal.com/Varsovie.html) Lundi 25 octobre 2010

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Publié le 25 octobre 2010, mis à jour le 14 novembre 2012

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