

C'est dans le cadre de Torinodanza en collaboration avec Torino Spiritualità qu'a eu lieu ce vendredi au Teatro Carignano une représentation du dernier spectacle de Koffi Kôkô, "La beauté du diable ". Initiateur de la danse africaine contemporaine de renommée mondiale, il trouve ici un public venu nombreux. Le lendemain, Koffi Kôkô exposait les grandes lignes de sa recherche artistique depuis son enfance passée au Bénin jusqu'à sa découverte de l'occident. Tout comme sa danse signe une écriture unique, sa voix, comme à pas comptés, entraîne le spectateur dans le flot tranquille d'un récit à la fois singulier et universel, celui d'un être à la rencontre de lui-même grâce à la croisée des autres.
(photos ©Viola Berlanda)
Koffi Kôkô, quatre syllabes aux sons de percussions et un corps comme instrument universel
C'est un moment qui n'a pu échapper aux spectateurs, ce silence épais presque religieux qui a accompagné Koffi Kôkô dès son entrée en scène révélant une rare densité d'être. Un silence habité progressivement par les premiers pas du danseur, troublés et troublants, par ses gestes intimes et trattenuti mais pas seulement. Comme à son habitude, Koffi Kôkô démarre au sol et en s'élevant amorce les bribes d'un dialogue dont la trame restera secrète mais où l'on devine la force de certains rituels. En présence de trois percussionnistes, d'une robe d'enfant soyeuse suspendue dans les airs, ce décor minimaliste au pouvoir évocateur a laissé un monde invisible se glisser subrepticement sur la scène.
Point de transe ni de rythmes effrénés à rendre le souffle court mais une forme de présence énigmatique qui amène à imaginer un ballet d'ombres invisibles dans une chorégraphie à réinventer ou à compléter par le spectateur lui-même. Une chorégraphie qui par le jeu d'une lumière crue, accentue les contrastes au point de créer dans un tableau de fin presque irréel, un monde converti au noir et blanc enveloppé dans les retombées d'une poudre céleste.
Originaire du Bénin, imprégné des rites animistes nagots et de la culture des griots comme de la religion vaudou, Koffi Kôkô s'enrichit aussi des formes occidentales de la danse lui permettant ainsi de transformer son héritage spirituel en langage moderne et universel : "La spiritualité n'est pas un travail mais une philosophie de vie, une manière de concevoir les choses, de se rendre compte que l'on est un maillon dans une grande chaîne".
C'est auprès de son plus jeune oncle que lui vient le goût de la danse. Formé par la suite au sein d'une école très rigoureuse et dogmatique où lui sera livré un enseignement théologique important, il fera le choix (thème du Torino Spiritualità de cette année) osé de prendre la danse pour métier. Il fréquente ensuite assidûment des écoles en France et devient un professeur et chorégraphe réputé. Grâce à ses nombreuses collaborations à travers le monde, il fait évoluer sa vision de la danse et son écriture de la danse africaine contemporaine en particulier. Sa participation aux ateliers de Peter Brooke et le travail mené avec Yoshi Oida lui permettent de se déprendre du piège de l'imitation pour mieux rechercher son identité personnelle dans la création : "Au début toutes les créations afro-contemporaines ressemblaient aux créations occidentales. C'était une catastrophe. Nous sommes maintenant plusieurs artistes africains à être capables de prendre de la distance avec notre culture pour la traduire de manière universelle".
Côté du spectateur, Koffi Kôkô parvient de la même manière à nous tirer du piège de nos représentations pour nous ouvrir à un autre monde et recevoir cette forme d'expression singulière et puissante. Si comme il le dit "la danse reste dans le corps, elle évolue selon ce que le corps subit", nous garderons bien en mémoire la beauté et le mystère de ce corps en mouvement. (Pour en savoir plus)
Koffi Kôkô se présente clairement comme un défenseur de la danse africaine contemporaine. Dès 1986, il explique en effet: "Ma démarche puise dans la danse ancestrale mais exprime ce que je respire actuellement. Je suis quelqu'un de contemporain, qui ne vit ni en Afrique ni dans un milieu traditionnel. Je ne veux pas simplement transplanter des danses anciennes, mais forger un langage moderne.?
En 2001, il reçoit le prix du meilleur spectacle à Vienne (Autriche). Au début des années 90, déjà, il était honoré par la reine d'Angleterre et reçu en hôte de marque par la ville de Londres. En hommage à son parcours professionnel et à sa créativité, le gouvernement français lui a accordé le titre du chevalier de l'ordre supérieur des lettres et des arts.
Sophie Julliot (www.lepetitjournal.com Turin) jeudi 3 octobre 2013






