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JapanCraft21 : revitaliser l’artisanat japonais

Revitaliser l’artisanat japonais. C’est le défi que Steve Bemel s’est donné en fondant l’organisation JapanCraft21. Pour ce faire, il a déjà mis en place de nombreuses initiatives. Outre la co-fondation de l’école School of Traditional Building Arts à Kyoto, JapanCraft21 propose un concours; le Japan Traditional Craft Revitalization Contests. L’initiative vise à repérer des talents dans l’objectif de les soutenir financièrement et administrativement. Il est ouvert aux japonais et à toute personne vivant au Japon, parlant la langue et s'engageant à long terme à vivre ici et à contribuer à la culture japonaise.

Steve Beimel_11zonSteve Beimel_11zon
Écrit par Valentine Detournay
Publié le 3 avril 2024, mis à jour le 9 avril 2024

L’association s’est aussi engagée à former de jeunes artisans, notamment sur les techniques de construction telles que la menuiserie, la construction de murs en terre de bambou, l'entretien de jardins japonais ou encore la laque naturelle. Gratuite, la formation a déjà été suivie par 24 personnes, dans le cadre de cours de 18 mois au cours des quatre dernières années. Plusieurs d'entre elles vont bientôt créer leur propre petite entreprise indépendante de construction traditionnelle.

JapanCraft21 se lance dans un grand nombre de projets. N’hésitez pas à consulter leur site pour obtenir des descriptions davantage détaillées sur la portée de l’organisation.

Accompagné de Keiko Kamei, directrice générale de JapanCraft21, Steve Bemel nous livre les ambitions de JapanCraft21 et ses réflexions sur l’état de l’artisanat au Japon.
 

Comment le projet JapanCraft21 a-t-il été créé ? Quel est son principal objectif ? 

Nous avons créé JapanCraft21 en réponse au déclin de l’artisanat au Japon. Nous avons réalisé qu’il n’existait qu’une seule liste des métiers d’artisans présents au Japon. Seulement 250 formes d’arts y figuraient. Mais nous savions qu'il existait d’autres savoir-faire passionnants. Et nous ne comprenions pas pourquoi ils n’étaient pas sur cette liste…

Nous avons donc commencé des recherches et nous avons en réalité trouvé quelque 1950 métiers d’artisanat au Japon. Malheureusement, personne n’est réellement au courant de ce nombre. Pourtant, ce trésor n'appartient pas seulement aux Japonais. Il appartient à nous tous. Cela fait partie de notre monde, de notre civilisation du XXIème siècle.

Fort de cette découverte, j’ai donc décidé de me lancer dans un travail de recherche et de revitalisation de l’artisanat au Japon. Depuis peu, beaucoup de Japonais viennent aider JapanCraft21. C'est très encourageant.

Notre objectif est d'attirer de plus en plus de personnes vers l’artisanat pour qu'elles deviennent des apprentis. C'est pourquoi nous avons lancé un concours annuel afin d'identifier les artisans talentueux et motivés qui ont de bonnes idées pour revitaliser leur métier et transmettre leur savoir-faire.  Nous appelons ce groupe nos "chefs de file de l'artisanat" et nous comptons aujourd'hui 30 membres que nous soutenons de diverses manières, notamment par la promotion, l'aide à la recherche et au maintien d'apprentis, etc.  Nous avons également lancé un programme destiné à les aider à trouver et à conserver des apprentis, dans le cadre duquel nous fournissons des allocations pour couvrir les frais de subsistance, ce qui permet aux apprentis de consacrer toute leur énergie à la formation.  
 

Photo de groupe des chefs d'entreprises (gagnants du concours)
Groupe des chefs de file de l'artisanat (gagnants du concours)

Si nous réussissons cette revitalisation, la culture artisanale japonaise sera si forte que son exemple encouragera les gens du monde entier à restaurer l'artisanat de leur propre pays.
 

Vous parlez du déclin rapide de l'artisanat japonais. Pouvez-vous expliquer la situation actuelle au Japon ? 

Si on regarde le nombre de personnes travaillant dans les métiers de l'artisanat en 1980, on constate qu’il y en avait 300 000. Aujourd'hui, ils ne sont plus que 50 000. Et beaucoup d'entre eux sont âgés de 70 ans ou plus. Si on se penche sur les prochaines années et qu’on effectue quelques calculs, on estime que l’on passera de 300 000 artisans en 1980 à 25 000 en 2028, ce qui correspond à une diminution de 92 %...

De nombreux facteurs contribuent à cette dégénérescence.

Tout d’abord, les artisans ne vendent pas beaucoup. Comme ils n'ont pas d'apprentis, ils ne peuvent pas produire suffisamment. Le problème, c’est qu’ils n’ont pas assez d’argent pour embaucher un apprenti et qu’aucun jeune ne souhaite travailler gratuitement pendant 5 ans. C’est un cercle vicieux. Le système de vente s’effondre. 

Par ailleurs, le style d'objets fabriqués par ces artisans ne correspond pas toujours aux goûts du public et aux modes. Pour vous donner un exemple, nous soutenons une personne qui fabrique des kimonos. Ses créations sont très contemporaines et s'adressent aux personnes ayant une grande sensibilité. De nos jours, les acheteurs ne recherchent pas des styles anciens ce qui explique que les ventes de ce segment du marché soient en baisse. Pour avoir du succès un artisan doit donc maîtriser non seulement son art mais aussi avoir un grand sens du design et savoir se vendre etc...
Aujourd’hui, il est devenu très compliqué de discerner la valeur d’un objet. Les médias et les réseaux sociaux nous bombardent d'informations. De nombreux influenceurs nous disent ce que l’on doit acheter. On finit par perdre notre capacité à expérimenter et à discerner la qualité…et donc la valeur de l’artisanat.

Enfin, il y a aussi la concurrence des grandes marques que vous connaissez. Alors que la société d'un designer français ou italien peut dépenser des millions de dollars en publicité, les artisans des petites boutiques n'ont pas de budget. Une petite entreprise de construction n'a donc aucun moyen de rivaliser avec les grandes entreprises. 

L'artisanat est donc en train de disparaître partout dans le monde. Cependant, il est encore temps de le sauver.
 

Pourquoi la revitalisation de l'artisanat japonais en particulier est-elle si importante pour vous ? 

Je suis Américain et j’aime l'Amérique. Je n'essaie pas de critiquer mon pays. Mais il faut savoir que j’ai grandi dans les années 1950-1960. J’ai été habitué à manger dans des assiettes en plastique, à consommer des produits fabriqués à la chaîne. Il n’y avait alors pas cette notion d’objet qui dure. Le jetable était très à la mode.

Dès mon premier jour au Japon, j’ai donc été surpris de voir que tout était fait à la main. Tous les jours, les japonais utilisaient de belles choses. Ils avaient le sens de ce qui était beau, une conscience de l’héritage et de la culture que je n'avais jamais connue en Amérique. 

Fascinée par toutes ces belles choses, j'ai alors commencé à les collectionner. Non pas en tant que collectionneur d'art mais simplement parce que je les trouvais charmantes et belles. 
 

L'intérêt international pour l'artisanat japonais pourrait-il contribuer à le revitaliser ?

Absolument. Vous savez, 20 millions d’étrangers sont attendus au Japon cette année. La plupart des gens ne savent pas où aller pour acheter quoi que ce soit.

Si nous parvenons à orienter ne serait-ce que 100 000 de ces 20 millions de visiteurs vers des maîtres artisans authentiques, la forte augmentation des ventes donnerait naissance à un “âge d'or".

Au sein de JapanCraft21, nous avons créé une liste d’expositions sur l’artisanat, disponible sur notre site Internet.

 

Exposition Ippodo 2022
Exposition Ippodo 2022


Nous prévoyons d'ajouter également une liste des boutiques de Tokyo et Kyoto où les gens pourraient acheter des objets d'artisanat. 
 

Comment est perçu le métier d’artisan au Japon ?

Steve Bemel: Je pense que les artisans sont respectés et honorés pour leur talent. Mais beaucoup d’entre eux ne sont pas rémunérés à la hauteur du travail fourni. Et pourtant, ils atteignent toujours un haut niveau d'expertise !

Keiko Kamei: Je pense qu’il y a différents niveaux. Tout d'abord, il y a les artisans ou les créateurs d'artisanat qui sont considérés comme de réels artistes, avec leurs propres expositions. Ils vendent leurs propres œuvres et les gens les respectent. Ces personnes semblent être bien payées. D’un autre côté, les artisans qui travaillent dans des espaces comme les ateliers de teintures ou de céramiques sont aussi respectés. Mais ils ne sont pas aussi médiatisés et pas assez payés. 

Nous espérons donc que nos activités et nos discussions avec les gens permettront de faire leur promotion. Nous voulons les aider à se développer, à se vendre et à dépasser leurs limites.

Une fois que ces personnes commenceront à avoir un meilleur revenu, cela attirera de plus en plus les jeunes qu’ils pourront alors embaucher comme apprentis. Pour l'instant, à moins qu'une personne ne soit passionnée par l'artisanat, elle ne choisit pas ce domaine parce qu’elle souhaite un revenu décent et régulier…
 

Comment voyez-vous l'avenir de l'artisanat japonais avec l'arrivée des nouvelles technologies ? 

C'est une très bonne question. J'y pense tous les jours. 

Il y a quelque chose de particulier dans les choses que les êtres humains font avec leur cœur: une valeur supplémentaire. Peut-être que cela n'attire pas toutes les personnes sur la planète mais il y a suffisamment de gens qui apprécient les choses faites à la main. Cela reste quelque chose qui mérite d’être conservé.
 

Apprenti au travail
Apprenti au travail


Je donne souvent l'exemple de la Mona Lisa de Léonard de Vinci. Le tableau est arrivé au Japon en 1980. Les magasins de souvenirs se sont alors mis à vendre des répliques de Mona Lisa avec un cadre en plastique. Ils en ont probablement vendu un million ! Aujourd’hui, je ne pense pas qu'il reste une seule de ces fausses Joconde. Elles sont toutes à la poubelle. De son côté, la vraie Joconde survit.

Nous ne pouvons pas arrêter l'intelligence artificielle, ni les progrès technologiques. Ils se répandent très vite et sont utiles pour beaucoup d’entre nous. Mais notre objectif est de soutenir les personnes qui fabriquent des objets avec leur cœur et leur main avant qu'ils ne disparaissent car eux aussi ont de la valeur.
 

Quels sont vos futurs projets ?

Nous sommes sur le point de lancer une galerie d'exposition en ligne pour montrer les travaux de 30 artisans que nous avons sélectionnés pour leur talent et leur volonté de promouvoir l’artisanat japonais.. Avec cette galerie, notre objectif est désormais de promouvoir les talents auprès de designers, d’architectes, de galeristes et de muséologues du monde entier. 

Nous souhaitons également en apprendre davantage sur les 1950 métiers que nous avons découverts. Nous souhaitons en faire la promotion auprès du grand public mais aussi comprendre leurs besoins. S'agit-il simplement d'une personne âgée de 90 ans qui va cesser son activité l'année prochaine ou s'agit-il d'une entreprise en réelle activité ? Cette entreprise a-t-elle besoin d'une promotion ? Si un de vos lecteurs sait qu’une artisane dans une ville de montagne est la dernière personne à faire un certain type de tissage, je suis sûre qu'ils voudront l'aider à survivre et à prospérer d'une manière ou d'une autre.

Nous ne voulons surtout pas que les gens viennent voir ces artisans et leur travail par pitié, parce qu’ils risquent de disparaître. Au contraire, nous essayons de montrer que leur travail est spectaculaire ! Qu’il mérite l’attention.

 

Encore merci à Steve Bemel et Keiko Kamei pour le temps qu’ils nous ont accordé.

Si vous souhaitez participer à la revitalisation de l’artisanat japonais, il est possible de rejoindre JapanCraft21 et de devenir un membre actif de la communauté de l'artisanat. Vous pouvez faire des dons pour soutenir l’organisation directement, participer à des présentations en ligne sur la culture japonaise qui sont gratuites et renouvelées tous les mois ou vous porter volontaires à l’adresse info@japancraft21.com pour aider à la recherche notamment. 

Si vous souhaitez réellement vous impliquer, JapanCraft21 trouvera chaussure à vos pieds !

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