Alors que la France et la Thaïlande célèbrent 340 ans de relations diplomatiques et commerciales nées sous le règne de Louis XIV, l’ambassadeur de France a reçu lepetitjournal.com pour regarder l’actualité à l’aune de cette histoire.


lepetitjournal.com : Commençons avec l’actualité. Vous êtes l’ambassadeur d’un pays politiquement instable dans un pays politiquement instable, avec de nouveaux Premiers ministres dans chacun d’entre eux. Cela trouble-t-il l’exercice de vos fonctions ?
Jean-Claude Poimbœuf : Je ne voudrais pas vous faire une réponse de Normand mais la réponse est oui et non. Lorsqu’il y a des changements d’autorités au plus haut niveau, il faut bien sûr nouer des contacts avec de nouvelles équipes. Cela prend un peu de temps mais ne remet pas en cause ce qui a été fait précédemment et qui repose sur un socle ancien. Cela peut en revanche impacter des projets de visites ministérielles. Mais à l’ambassade, la vie continue. Si le monde politique est mouvant, au niveau administratif, les choses ne changent pas forcément. Il y a une certaine stabilité dans les mondes économique, scientifique, culturel et de la société civile. Le flux des relations telles que nous les avons bâties n’est pas nécessairement impacté.
Quant à la situation française, elle intéresse, elle questionne, mais la Thaïlande connaît aussi une succession rapide de gouvernements. Cela dit, un visiteur de passage à Bangkok ne perçoit pas vraiment de signe patent de la crise politique. Si vous n’êtes pas au courant de ce qui se passe, vous ne constatez aucun changement majeur. Les choses peuvent être plus visibles chez nous, notamment en cas de mouvement social.
Le nouveau ministre des Affaires étrangères thaïlandais connaît bien la France pour y avoir été ambassadeur. J’imagine que cela peut avoir un intérêt pour notre pays.
C’est une excellente nouvelle. Nous l’avons connu dans plusieurs de ses fonctions précédentes, notamment, comme vous le rappelez, quand il était ambassadeur de Thaïlande en France. Il a également été vice-ministre des Affaires étrangères. C’est un homme doté d’une grande expérience internationale, attaché comme nous au multilatéralisme. Il devrait être aisé de travailler avec lui.
Nous apportons notre aide à des populations migrantes ou réfugiées en Thaïlande
La Thaïlande vit des situations de crise avec ses voisins birmans et cambodgiens. Que peut-on faire et que faisons-nous pour jouer un rôle et tenir notre rang ?
Il s’agit de deux situations bien différentes. Avec la Birmanie, le problème est ancien et a été aggravé par le coup d’Etat de 2021. Ce qui inquiète la Thaïlande, ce sont les retombées de la situation sur son territoire, que ce soit l’immigration sécuritaire ou l’immigration économique. Elle doit avant tout gérer la sécurité de ses frontières. En ce qui nous concerne, nous avons tiré les conséquences du coup d’État. Nous n’entretenons aucun contact avec la junte et à son départ, notre ambassadeur en Birmanie a été remplacé par un chargé d’affaires. Pour marquer notre engagement continu sur le dossier à l’international, et notamment notre soutien à l’Asean, notre ancien ambassadeur, Christian Lechervy, a été désigné « Envoyé spécial du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères pour la Birmanie en appui des efforts internationaux ». En Thaïlande même, notre réponse est plus humanitaire. Nous apportons notre aide à des populations migrantes ou réfugiées ici. C’est un des dossiers prioritaires de notre Conseiller régional en Santé mondiale pour l’Asie du Sud-Est, basé à Bangkok. En Thaïlande, les grandes épidémies sont contrôlées. En ce qui concerne les migrants, le problème est tout autre. Il s’agit de les protéger et de protéger les Thaïlandais. Le Covid nous a appris que les choses pouvaients’étendre très rapidement, notamment à des populations vulnérables. Cette action n’est peut-être pas très visible mais elle est très concrète et protège la Thaïlande de foyers qui pourraient apparaître à ses frontières, et par extension la France.

Tournons-nous à présent vers le Cambodge. Il s’agit là d’une crise d'une autre nature. La différence majeure c’est qu’il s’agit d’un conflit entre la Thaïlande et le Cambodge alors que la Birmanie connaît une situation de guerre civile. Les différends frontaliers entre les deux pays sont très anciens mais, jusqu’à présent, les problèmes étaient restés très localisés, notamment autour du temple de Preah Vihear/ Phra Viharn. La France, qui entretient des relations amicales avec les deux pays, regrette les affrontements et a appelé à un retour au dialogue. Elle leur a proposé de fournir tous les documents d’archives utiles pour autant que les deux pays en fassent la demande formelle, sachant qu’il s’agit de documents que le public peut consulter dans le cadre des règles habituelles des Archives diplomatiques.
Sous le règne de Louis XIV… le royaume de France s’est tourné vers le Siam
Alors que nous célébrons le 340ᵉ anniversaire de la première mission diplomatique française menée en 1685 par le chevalier de Chaumont, envoyé par le roi Louis XIV au Royaume de Siam, sous le règne du roi Narai, rappelez-nous comment sont nées les relations entre nos deux pays.
Nous sommes sous le règne de Louis XIV et l’idée consiste alors à envoyer une ambassade vers la Chine. Les choses se sont compliquées et le royaume de France s’est donc tourné vers le Siam. Le but était de commercer mais aussi, comme des missionnaires étaient déjà là, de convertir le roi de Siam au catholicisme. Du côté du Siam, il y avait la volonté de rééquilibrer les relations avec d’autres pays européens, afin de ne dépendre d’aucun en particulier. Les Français pouvaient être une alternative à l’activisme des autres États européens. Finalement, cette première histoire aura été de courte durée. Après une révolution de palais, la présence française a été rejetée. N’oublions toutefois jamais que ces premiers échanges d’ambassades et ces premières relations commerciales ont donné des résultats historiques. Le représentant du roi du Siam, après avoir été reçu à Versailles, est revenu émerveillé, proposant la réalisation, ici, d’une autre Galerie des Glaces. La Thaïlande a passé une commande à la Manufacture royale des glaces et miroirs, devenue aujourd’hui Saint-Gobain, pour décorer ses palais.
Les Thaïlandais sont toujours restés attachés à une politique d’équilibre
Il y aura ensuite une longue interruption des relations, avant le 15 août 1856 et la signature du Traité d’amitié, de commerce et de navigation entre la France et le Siam, dont nous célébrerons le 170e anniversaire l’année prochaine. À nouveau, les missionnaires ont favorisé la reprise de contact alors que les Anglais avaient signé un traité un an avant nous. Cette reprise des relations avec le Siam s’inscrivait aussi dans le contexte plus large des visées coloniales françaises en Indochine. Comme on le sait, les Siamois ont manœuvré habilement entre les Français et les Anglais et ont réussi à maintenir leur indépendance, ce qui est un motif de grande fierté. Les Thaïlandais sont toujours restés, en politique étrangère, attachés à une politique d’équilibre.
Qu’en est-il aujourd’hui de la présence française en Thaïlande et de nos échanges. Sont-ils à la hauteur de ce qu’on est en droit d’en attendre ?
La présence française en Thaïlande est très significative. Près de trois cents de nos entreprises sont installées ici, avec des « success stories » comme celles de Michelin, d’Accor et d’autres. Cette présence n’est pas toujours perçue à sa juste valeur. On constate toutefois que nos échanges stagnent depuis une dizaine d’années, autour de cinq milliards d’euros d’échanges bilatéraux par an. Il s’agit d’un plateau que nous avons du mal à dépasser et qui dépend souvent des livraisons d’équipements aéronautiques. Le manque d’enthousiasme français n’est pas en cause. La Thaïlande n’est pas un pays à gros contrats. Les processus de décision ici sont lourds et complexes. Et puis le pays entretient des relations privilégiées de longue date avec certains grands partenaires, historiquement le Japon et les Etats-Unis, et plus récemment et massivement la Chine, avec lesquels la concurrence peut être rude. Nos partenaires européens sont également très actifs sur le marché thaïlandais.
Il y a dix-huit mois, vous signiez une tribune intitulée « L’innovation au cœur des relations entre la Thaïlande et la France ». Est-ce toujours la réalité d’aujourd’hui ?
En 2023, nous avions lancé l’Année France-Thaïlande de l’Innovation. Le constat que nous faisions est que les Thaïlandais ont souvent une image réductrice de la France, limitée à la gastronomie, au luxe ou au tourisme. L’objectif consistait à faire évoluer le narratif pour parler davantage de l’industrie, de la technologie et de l’innovation. La France, c’est aussi le pays d’Airbus, du nucléaire ou des satellites. C’est un travail sur la longue durée et nous devons continuer à faire évoluer notre image Alors que la Thaïlande doit moderniser son modèle économique et industriel, la France peut proposer des solutions innovantes, qu’il s’agisse de la transition énergétique, des infrastructures, notamment de transports, ou encore de la pharmacie. J’ai été invité ce matin même à l’inauguration des nouveaux bureaux de l’entreprise pharmaceutique française Servier, dont les atouts reposent sur sa politique d’innovation.
La France est le pays qui fait le plus pour ses ressortissants expatriés
Parlons de ces Français expatriés qui sont nombreux à se sentir, à tort ou à raison, « citoyens de seconde zone ». Ils citent la CFE ou leur situation fiscale. Ont-ils raison ? Et si oui, qu’est-ce qui est en votre pouvoir pour que les choses s’améliorent ?
Évidemment, ils n’ont pas raison. Ce sont des citoyens français à part entière. Toutefois, il faut bien comprendre que, lorsqu’on fait le choix de vivre à l’étranger, on ne peut pas attendre des services publics exactement les mêmes choses que lorsqu’on vit sur le territoire national. La France est le pays qui fait le plus pour ses ressortissants expatriés. On peut citer les services consulaires (délivrance de titres d’identité et de voyage, démarches d’état civil), l’ouverture de bureaux de vote, les prestations sociales, dont les bourses scolaires, ce qu’aucun autre pays ne fait pour ses ressortissants. Rappelez-vous la campagne de vaccination menée par l’ambassade lors de la pandémie de Covid-19. Certes, la carte Vitale ne fonctionne pas en Thaïlande et il faut souscrire une assurance privée. J’entends beaucoup de commentaires sur la Caisse des Français de l’Etranger et c’est la raison pour laquelle l’ambassade a suscité une mission de la CFE ici l’an dernier pour entendre nos compatriotes et tenter de trouver des solutions. C’est aussi pour cette raison qu’il a été décidé de tenir des Assises de la protection sociale à l’étranger, animées par nos élus et qui devraient rendre leurs conclusions dans quelques semaines. Il a beaucoup été question de la CFE mais aussi des bourses scolaires. Il y a maintenant dix établissements scolaires français en Thaïlande, ce qui est remarquable. Les bourses sont réservées aux élèves des établissements agréés par l’AEFE (7 sur les 10 que compte la Thaïlande), ce qui représente un coût d’environ 2 millions d’euros par an.
S’agissant de la réforme fiscale thaïlandaise, qui préoccupe nos compatriotes, il convient de garder à l’esprit qu’elle concerne également un grand nombre de ressortissants d’autres pays ayant signé des conventions de non double imposition avec la Thaïlande. Ce n’est donc pas une question purement franco-thaïlandaise.

Une dernière question pratique pour les Français établis dans diverses régions de Thaïlande. Plusieurs consuls honoraires tardent à être remplacés. La France n’a, bien sûr, pas toutes les cartes en main. Quelles informations pouvez-vous nous donner ?
Un peu partout dans le monde, y compris en Thaïlande, les délais sont longs pour la désignation des consuls honoraires. Sachant cela, nous avons bien sûr anticipé la nomination des nouveaux consuls honoraires quand nous savions que les titulaires étaient atteints par la limite d’âge (70 ans). Les informations qui nous parviennent des autorités thaïlandaises sont encourageantes et j’espère que le nouveau consul honoraire à Chiang Mai pourra prendre ses fonctions avant la fin de l’année. À Samui, nous avions également anticipé la relève mais, malheureusement la personne pressentie a dû renoncer pour ses raisons de santé. Il nous a fallu identifier un nouveau candidat puis recommencer toute la procédure. Là aussi, nous devrions pouvoir rouvrir l’agence consulaire dans les prochains mois, dès l’exequatur des autorités locales obtenu. À Chiang Rai, l’agence consulaire est fermée et il n’y a pas de projet de réouverture. Nous sommes bien conscients des inconvénients de ces longs délais pour nos compatriotes et avons multiplié les tournées consulaires. Il y en aura prochainement dans l’Isan, malgré la présence d’un consul honoraire à Khon Kaen. Je rappelle que la priorité est donnée aux personnes inscrites au consulat. Elles ne sont que 15.700 à ce jour alors que quelque 50.000 Français vivent en Thaïlande. Il n’y a que des avantages à s’inscrire. J’invite tous ceux qui ne l’ont pas encore fait à se faire connaître. Cela peut se faire aujourd’hui en ligne, en quelques clics.
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