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Le pr. GUILLEMIN à l'origine d'un test pour la sclérose en plaques

Gilles Guillemin sclérose en plaque recherches médicales Australie Macquarie UniversityGilles Guillemin sclérose en plaque recherches médicales Australie Macquarie University
Écrit par Lepetitjournal Sydney
Publié le 13 février 2017, mis à jour le 21 janvier 2019

Après douze ans de recherches, le professeur français Gilles GUILLEMIN vient, avec son équipe australienne, de mettre au point un test sanguin qui pourrait changer la vie des nombreux patients atteints de sclérose en plaques. Ce chercheur de renommée internationale n'en est pas à son premier coup d'éclat. Le Petit Journal - Sydney a rencontré ce grand professeur originaire de Bourgogne et arrivé en Australie il y a 20 ans. Une rencontre marquante et passionnante  ! 

 

Le Petit Journal - Sydney : Depuis combien de temps êtes-vous professeur ? Quelle est votre (vos) spécialité(s)?

Pr. Gilles GUILLEMIN : Je suis arrivé en Australie il y a 20 ans, en septembre 1997. J'ai commencé en tant que chercheur post-doctoral à l'hôpital Saint-Vincent, à Sydney. Ensuite, j'ai créé mon laboratoire et mon équipe à l'Université du New South Wales (UNSW) en 2005. Je suis resté 11 ans dans cette université, et quand je suis venu à Macquarie University, je suis devenu professeur de neurosciences en 2012. Je travaille donc sur les pathologies du cerveau. J'étudie les mécanismes dans le cerveau quand il y a une maladie comme la sclérose en plaques, la maladie d'Alzheimer, ou de Parkinson. Ma spécialité, c'est le métabolisme du "tryptophane''. C'est un acide aminé que l'on trouve par exemple dans le lait ou le chocolat. Dans le cerveau, il produit de la sérotonine, molécule qui régule votre humeur, et de la mélatonine, qui régule votre sommeil. Je travaille donc sur le métabolisme du tryptophane dans un grand nombre de maladies, et ça fait plus de 20 ans que je suis un des leaders mondial dans ce domaine.

 

LPJS : Pourquoi vous avez choisi ce domaine de recherche ?

GG : En général, c'est la recherche qui vous choisi et pas l'inverse. J'ai toujours aime la nature et la biologie, ce n'était pas une coïncidence. Quand j'ai fini ma thèse à Paris au CEA (Commissariat à l'énergie atomique) sur l'infection du cerveau par le virus du SIDA, je suis arrivé en Australie. J'avais une expertise particulière, qui était de savoir comment faire pousser des cellules de ce cerveau dans des flasques de culture (flacon plat de petites dimensions). Et il y avait un neurologue qui travaillait justement sur le tryptophane et le SIDA. Je suis venu faire mon post-doc chez lui, et c'est comme ça que j'ai commencé à travailler dans ce domaine.

 

LPJS : Concrètement, qu'est la sclérose en plaques ?

GG : La sclérose en plaques (SEP), qu'on appelle en anglais "Multiple sclerosis'' (MS), est une maladie auto-immunitaire. C'est assez particulier. Votre propre système immunitaire reçoit une mauvaise information et se met a attaquer votre propre corps. Par comparaison, un pourrait dire qu'il s'agit d'une mauvaise, très mauvaise vaccination. Donc votre système immunitaire va attaquer et détruire les cellules de votre cerveau pensant qu'il s'agit de corps étrangers. C'est pourquoi on appelle ça une maladie auto-immunitaire. On attaque notre propre corps, en l'occurrence pour la sclérose en plaques, notre cerveau.

 

LPJS : Quels sont les effets et les conséquences d'une telle maladie ?

GG : Il y a trois formes différentes de sclérose en plaques. La première, qui est la plus fréquente, correspond à une forme rémittente avec des épisodes, un peu comme une sinusoïde, comme des vagues. Vous pouvez avoir une attaque, puis cela peut s'arrêter des années puis recommencer, etc... La seconde forme est une forme progressive. Après avoir fait des épisodes récurrents, le système immunitaire va s'attaquer en permanence le cerveau et détruire les cellules. Et quand ça commence à progresser, ça ne s'arrête plus. Enfin, la troisième forme, qui est la plus sévère, c'est la ''primaire progressive''. Ici, le système immunitaire attaque directement le cerveau et ne s'arrête pas. Il n'y a pas l'effet sinusoïde qui peut durer 10, 20 ans, ça commence directement en détruisant le cerveau. Pour les signes, cela commence souvent par des troubles de la vision. On a l'oeil qui commence à voir un peu trouble. Ça peut être aussi des problèmes moteurs comme des difficultés pour marcher ou encore des problèmes pour parler, pour penser. Les signes sont très différents, car les zones du cerveau touchées sont différentes.

 

LPJS : Vous venez de trouver un nouveau test sanguin qui concerne les patients atteints de scléroses en plaques. En quoi ce nouveau test est-il une avancée pour la médecine ?

GG : Le test que nous avons découvert permet de déterminer de quel type de sclérose en plaques le patient est atteint. Jusqu'ici, le seul moyen de le savoir, c'était de faire plein de tests physiologiques, des tests avec les muscles qui prennent du temps et qui coûtent cher. On a découvert un marqueur dans le sang qui permet de savoir en 24 heures quelle forme de sclérose en plaques vous avez. Comme les traitements sont différents en fonction des trois formes, cela va permettre aux médecins de savoir très vite quelle forme vous avez et donc d'adapter rapidement le traitement. Et plus vite on a un traitement, moins le cerveau sera endommagé par l'attaque immunitaire.

 

LPJS : Combien de temps ont duré vos recherches pour arriver à ce résultat ? Et ce travail, vous l'avez réalisé avec combien de personnes ? 

GG : J'ai commencé ce travail avec un scientifique qui était à l'époque mon étudiant : Dr. Edwin LIM. Il a commencé comme mon étudiant en thèse, puis en post-doc, et maintenant c'est un des scientifiques de mon équipe de recherche. Cela fait douze ans qu'on a commencé ce travail ensemble. Il vient de publier ces douze années de travail dans le journal scientifique Scientific Reports. Cela a prit beaucoup de temps parce qu'on voulait être absolument sûr de notre marqueur. On a travaillé avec deux cliniciens qui ont vérifié chaque détails, dont  le Pr. Bruce BREW qui vient de l'hôpital Saint-Vincent, et le Pr. Bruce TAYLOR de l'Université de Hobart en Tasmanie. On a aussi reçu beaucoup d'échantillons de patients venant de Tasmanie.

 

LPJS : A titre d'information, combien de personnes dans le monde sont concernées par ce nouveau test ?

GG : La sclérose en plaques affecte un peu plus de 23 000 Australiens et environ 2,3 millions de personnes sur la planète.

 

LPJS : Est-ce que ce test va avoir des impacts sur les recherches liées à d'autres maladies ?

GG : Absolument, parce que cette activation du métabolisme du tryptophane, je l'ai déjà décrite pour d'autres maladies comme les maladies d'Alzheimer et de Parkinson. On travaille aussi sur le cancer du sein et du cerveau car les cellules de ces cancers utilisent ce système du tryptophane pour persister et se protéger du système immunitaire. Donc cette recherche va s'appliquer à beaucoup de pathologies différentes. On travaille déjà sur un bio marqueur pour Alzheimer par exemple. Maintenant, on connaît le mécanisme, on sait les molécules à regarder, cela devrait aller beaucoup plus vite en fait.

 

LPJS : Quand est-ce que les patients pourront avoir accès à ce nouveau test ?

GG : Le test, pour l'instant, est très difficile à mettre en place. Il se fait pour l'instant à partir de très grosses machines qui sont avec nous à Macquarie University. Donc ce qu'on essaye de faire maintenant, c'est développer un test simple, que n'importe quel laboratoire ou hôpital dans le monde puisse utiliser. Cela s'appelle un test ELISA. Nous avons une compagnie française qui est en train de développer un test ELISA en ce moment. 

 

LPJS : Mais ça prendra à peu près combien de temps ?

GG : De façon optimiste, deux ans, au mieux. 

 

LPJS : Enfin, plus globalement, que pensez-vous de vos conditions de recherche en Australie ?

GG : (Rires). Bon, je crois que c'est un peu partout dans le monde le même problème : le manque de financement. C'est très difficile. En tant que professeur en neurosciences,  je passe 60 à 70 % de mon temps à chercher de l'argent; les salaires pour mes étudiants, pour mes scientifiques, l'argent pour acheter des machines ou des produits. C'est très difficile et il faut vraiment être motivé pour rester dans ce domaine. C'est la même chose en France et ça devient la même chose aux Etats-Unis. Pour vous donner un exemple en Australie, quand on demande des grosses bourses nationales (NHMRC), le taux de succès est entre 9 et 10%. Ça veut dire que 90 % des bourses vont êtres rejetées. Donc si on a pas ces bourses de trois ou quatre ans, c'est très difficile. On doit survivre. Heureusement, on a beaucoup de petites fondations qui nous donnent de l'argent - nous les remercions - et on récupère aussi des donations à droite et à gauche. Mais je passe mon temps à chercher de l'argent pour faire ce que je dois faire. C'est du sponsoring ! Il y a donc eu sûrement beaucoup de projets scientifiques prometteurs qui ont dû être arrêtés parce qu'ils n'avaient pas assez de fonds pour continuer.

 

Crédit Photographie : ©Carmen Lee, Macquarie University (avec à gauche le Dr. Edwin LIM, et à droite le Pr. Gilles GUILLEMIN).

 

 

Le Petit Journal Sydney
Publié le 13 février 2017, mis à jour le 21 janvier 2019

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