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INSTITUT SUÉDOIS – Immersion dans le séminaire de traduction

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Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 8 janvier 2017

Pour le troisième article de notre série sur l'Institut suédois, nous avons demandé à notre rédactrice Catherine Derieux de nous faire découvrir le séminaire de traduction que proposent les lieux. Plongée galvanisante dans un grand bain de mots.

Nous sommes en mai 2014, dans une salle blanche et lumineuse de l'Institut. Je débarque aujourd'hui dans une réunion un peu particulière : un séminaire de traduction littéraire du suédois au français. C'est l'avant-dernière séance avant la pause estivale, le groupe travaille sur un texte de Magnus Florin (La Pharmacie, publié chez Cambourakis en 2015). Je prends le train en marche. 

 

«?Pas de projet, simplement une image?»

En 2007, grâce au soutien de l'Institut suédois et de Kulturrådet, Elena Balzamo, spécialiste des littératures scandinaves et russe, traductrice et essayiste, crée ce séminaire de traduction plutôt unique en son genre.

«?Je n'avais jamais participé à des ateliers, je n'ai jamais appris où que ce soit, raconte-t-elle. Mais j'ai fait une rencontre importante à un moment de ma vie. C'était à Moscou, à l'époque où j'ai traduit mon premier texte suédois, Bröderna Lejonhjärta (Les Frères C?ur-de-lion), d'Astrid Lindgren. Je savais que ce texte n'aurait jamais été édité en Union soviétique à cause de son caractère pessimiste. Mais j'avais une petite s?ur en âge de le lire, alors j'ai traduit tout le livre (cette traduction n'a jamais été publiée, je ne sais même pas où elle est aujourd'hui). On m'a envoyée chez la traductrice d'Astrid Lindgren, qui en a fait un auteur plus célèbre en Russie qu'en Suède. Elle a jeté un ?il à ma traduction et m'a invitée à son séminaire de traduction du français vers le russe. Le groupe traduisait Boris Vian. À l'époque, je ne connaissais pas encore bien le français, je pouvais plus ou moins le lire. J'y suis allée peut-être quatre ou cinq fois. Il y avait cette ambiance et ces discussions qui duraient et produisaient quelque chose qui n'était pas là au début. C'était très intéressant. Je me suis dit que si je faisais quelque chose dans ce domaine, mon objectif serait de recréer l'ambiance. Je n'avais pas vraiment de projet, simplement une image en tête.?»

Depuis presque 10 ans, traducteurs amateurs et professionnels de tous horizons se retrouvent chaque mois pour se colleter au texte d'un auteur suédois. Après la séance de travail, un professionnel du monde du livre ? traducteur, éditeur, libraire ? intervient auprès du groupe. Une façon d'ouvrir les perspectives. Ils sont environ 60 à s'être succédé rue Payenne depuis 2007. Le catalogue du séminaire, construit au fil des années, se révèle varié et éclectique, changeant d'époque, de genre, de style. Car catalogue il y a, grâce à la volonté d'Elena de sortir chaque année un objet fini. «?Il fallait que tout ce travail aboutisse à un livre imprimé. C'est comme pour un musicien. Il ne peut pas se contenter de faire des gammes pendant quatre ans, il faut quand même faire de la musique. Et pour un traducteur littéraire, ?faire de la musique?, c'est publier un livre. C'était un des objectifs de départ : produire quelque chose qui puisse être publié chez un éditeur professionnel.?»

Entrée en traduction

Retour dans la salle de l'Institut suédois. Vue sur l'agréable cour pavée, ciel bleu et soleil caressant. Je dois raser les murs pour me faufiler jusqu'à une place libre tant la vaste table dévore l'espace. Je suis intimidée, mon suédois est quasi inexistant. Si j'ai souhaité rejoindre ce séminaire, c'est parce que j'imaginais naïvement que cela m'aiderait à progresser dans la langue. Mais comme rien ne se passe jamais comme prévu, depuis deux ans que je participe aux séances, j'ai bien plus appris sur l'art de la traduction et davantage interrogé ma propre langue que celle que je pensais dompter.

Je ne commence vraiment à traduire pour le séminaire qu'à la rentrée suivante. Nous nous attaquons cette année-là aux nouvelles de Jonas Karlsson. Les textes sont répartis entre les participants, qui traduisent de leur côté avant de présenter le fruit de leur travail au groupe selon un calendrier établi à l'avance. Chacun a sa méthode. Certains traduisent seuls, d'autres à deux. Pour pallier mon manque de maîtrise de la langue source, je décide de travailler en binôme avec une Suédoise qui, à l'inverse, a besoin du regard d'un francophone natif sur ses traductions. Nous faisons chacune une version, avant de nous retrouver pour discuter et compiler un texte reprenant le meilleur des propositions de chacune. 

Alors qu'on pense être allé au bout des choses, le texte est passé à la moulinette sous le regard multiple du groupe. Chaque phrase est scrutée, décortiquée, analysée. La richesse incroyable vient justement du fait qu'au lieu d'avoir deux, peut-être trois options pour un fragment un peu retors, le champ des possibles s'ouvre soudain, chacun pouvant y aller de son idée, de sa suggestion. Parfois, on lance une phrase à la volée, outrée au possible, en forme de boutade. Mais quelqu'un la saisit au vol, comme le chaînon manquant qui permet d'aboutir à une solution valable.

Alchimie

Chacun, professionnel ou novice, est une richesse. «?Un savoir commun se transmet?», souligne Elena. Une dynamique se crée, une alchimie. Oserais-je parler de magie?? Ce serait probablement nier l'effort et la suée, le travail d'artisan qui s'opère dans cette salle blanche de l'Institut suédois. Une chose est sûre, l'objectif d'Elena est atteint. L'ambiance si particulière qu'elle cherchait à recréer est bien là. Et ce travail collectif fait ressortir le meilleur chez moi : je cueille quelques eurêka avec délice, égraine des trouvailles qui suscitent l'enthousiasme, mais qui ne me seraient sans doute pas venues dans la solitude de mon appartement. Après ces effusions, ces joutes, cette émulation, comment est-il encore possible de traduire seul?? 

C'est cette question qui me taraude, instillée dans un recoin de mon cerveau à mon insu, alors que désormais installée à Stockholm, j'ai tout le loisir de perfectionner mon suédois, mais nettement moins de facilités pour prendre part aux séances du séminaire? Comment traduire seul encore??

Perspectives

Pour fêter les dix ans du séminaire l'année prochaine, Elena rêve d'une résidence de traducteurs au c?ur des paysages grandioses de l'île de Gotland. Mais à l'heure actuelle, elle se prépare à relire les textes de cette année en vue de leur parution. Cette fois-ci, il s'agit d'un classique de la littérature suédoise, un recueil de contes d'Elsa Beskow, à paraître aux éditions Au nord les étoiles.

Début 2017 paraîtra également le recueil de Jonas Karlsson, Le sens de la file, aux éditions Actes Sud.

Retrouvez notre premier article sur l'Institut suédois de Paris ici et le second .

 

Crédits photos : Page Facebook Institut Suédois, Catherine Derieux

Catherine DERIEUX www.lepetitjournal.com/stockholm Mardi 21 juin 2016

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