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CANNOT BE BO(A)RDERED - Amélie Berrodier, 24 ans, artiste vidéaste

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Écrit par Bertrand Fouquoire
Publié le 29 juin 2017, mis à jour le 2 juillet 2017

Du 21 avril au 7 mai se déroulait à Paris l'exposition « Cannot be Bo(a)rdered ». Amélie Berrodier, artiste vidéaste française de 24 ans, y présentait « Watchers », une installation composée de 7 portraits vidéos projetés sur autant de skateboards, qui mettait en valeur « ceux qui regardent ». Rencontre avec une jeune artiste qui manie la caméra avec une étonnante sobriété pour faire surgir, au delà des images, l'intimité des situations et des personnes.

On a beaucoup aimé découvrir l'univers d'Amélie Berrodier. Dans le cadre de l'exposition « Cannot Be Bo(a)rdered », organisée à Paris avec le support  de l'Ambassade de Singapour en France, Amélie présentait Watchers, une installation vidéo qui jouait avec les codes du skate, renvoyant dans le hors champ les figures exécutées par les skaters pour se concentrer sur « ceux et celles qui regardent ». Dans d'autres travaux, visibles sur son site , elle documente certains moments d'une situation ou d'une routine : la vie ordinaire de Roland ou d'Yvette (Formidable et Toujours Pareil), les « brèves d'intimité » que laisse entrevoir l'embrasure d'une fenêtre (Fenêtres), le dialogue silencieux qui se noue entre la personne filmée, la caméra et celle qui filme? (Portraits filmés). Toujours, l'écriture est sobre et la caméra en situation d'écoute bienveillante, comme tendue vers la captation de sons et d'images qui sont autant de ponts vers d'autres univers.  

Comment êtes-vous devenue artiste vidéaste?

Amélie Berrodier - J'ai étudié pendant 5 ans aux Beaux Arts de Dijon. Je suis diplômée depuis 2 ans. J'ai passé un bac STI Arts appliqués à La Marinière Diderot à Lyon. On y pratique autant le design d'espace, que l'étude de cas et la recherche plastique. Après le Bac, j'avais envie de faire de la photographie. J'avais initialement l'intention d'intégrer l'école de photo d'Arles, qui recrute à Bac +2 et j'ai démarré les Beaux Arts de Dijon dans cette perspective. Aux Beaux Arts, j'ai découvert la vidéo, la sculpture, l'installation? Arrivée à la fin de la troisième année, j'étais tellement passionnée par ce que je faisais, que j'ai choisi de rester jusqu'à la fin du cursus de 5 ans.

Quelles différences y-a-t-il entre la démarche artistique de la vidéo et le court métrage ?

- La vidéo et le court métrage présentent, a priori, un certain nombre de différences. Dans leurs deux espaces de diffusions respectifs, il n'est pas possible de tout montrer. Mais les frontières entre les deux sont perméables. De nombreuses vidéos sont présentées à la fois dans des expositions et en salle lors de festivals. Dans cette perspective, je vois la vidéo et le court métrage comme complémentaires. Je réalise des projets d'une façon qui peut être atypique pour l'univers du cinéma, parfois sans scénario préalable, alors que rien ne m'empêche de les diffuser dans ce milieu. J'aime construire mes pièces de façon à ce qu'elles n'appartiennent pas à une catégorie ou à l'autre, mais soient dans cet entre deux que je trouve fascinant.

Qu'est-ce qui motive votre travail ?

- Au travers d'une approche documentaire, je m'attache à faire ressortir les différents usages d'une communication entre les êtres. Présente lors de ces moments de décrochements où une personne s'accorde d'être elle-même au milieu de ceux qui l'entourent, je teste des principes de distance et de proximité. Je cherche à interroger le territoire de chaque individu et la complexité de ses relations en me positionnant sur la frontière entre le privé et le public. Mon travail puise principalement sa source dans mes rencontres avec des inconnus, que je provoque et cultive.

Lors de mon dernier projet de résidence, à Pollen (Monflanquin), j'ai aussi jouer sur l'ambigüité entre photo et vidéo. Les gens ont l'habitude de se voir en photo. C'est moins le cas de la vidéo. J'ai réalisé une série de portraits filmés des habitants du village, qui ont pour la plupart accepté de jouer le jeu. Je frappais à leur porte pour réaliser leur portrait, sans leur préciser du médium dont il s'agissait. J'installais mon dispositif chez eux et je déclenchait la caméra en leur demandant de concentrer leur regard vers l'objectif. J'arrêtais de tourner quand les personnes se mettaient à parler. C'était de mon point de vue, une manière de les positionner dans une situation semblable à celle des débuts de la photographie, quand la photographie impliquait un long temps de pause.

En ce moment, je me suis concentre sur la relation qui s'instaure entre le filmé et le filmeur du fait de la présence de la caméra.

On imagine que la présence de la caméra n'est pas neutre?

- En situation, la présence de la caméra empêche certaines choses d'arriver et en même temps elle en provoque d'autres. Longtemps, je me suis attachée à faire oublier la caméra. Maintenant, j'aime en jouer pour construire une relation à trois entre la personne filmée, la caméra et moi.

Comment parvenez-vous à construire cette relation?

- C'est très différent en fonction de la situation. Il y a des personnes avec qui c'est très rapide et parfois ça demande plus de temps. Par exemple, je suis en train de monter un film réalisé avec une personne que je filme depuis plus d'un an. Il m'arrive aussi régulièrement de filmer des gens sans utiliser ensuite les images. Des fois ce n'est pas le bon moment, mais ça ne veut pas dire qu'elles ne me serviront pas plus tard.

Quand vous n'obtenez pas tout de suite un résultat que vous jugez intéressant ou exploitable, qu'est-ce qui fait que vous continuez?

- J'ai une forme d'acharnement à vouloir que ça marche. Et puis j'aime questionner les choses dans la répétition. Au début, il n'y a pas de connaissance mutuelle. Entre la personne que je filme et moi s'établit une certaine tension. C'est différent de filmer quelqu'un qu'on connaît. Et puis on apprend l'un de l'autre et quelque chose se transforme dans la durée, qui est tout aussi intéressant.

Comment avez-vous procédé pour la série Fenêtres ?

- J'ai marché dans ma ville de résidence à la recherche de fenêtres ouvertes à filmer. C'était une manière de figurer la frontière de l'espace privé, ici ouvert sur l'espace public. J'en ai filmé plusieurs, parfois il ne se passait rien, et parfois j'avais la chance de voir quelqu'un apparaître. J'ai finalement gardé les sept fenêtres où il y a une présence humaine.

Pourquoi sept ?

- C'est un chiffre avec lequel je travaille souvent, tout comme je travaille souvent sous forme de collection. Dans ce cas, c'est une manière de figurer les sept jours de la semaine, un schéma du quotidien qui implique répétition.

Comment avez-vous été amenée à travailler pour « Cannot be Bo(a)rdered ».?

- Je ne suis pas moi-même une pratiquante du skateboard et ne connaissais pas particulièrement cet univers. Iman Ismail, le commissaire de l'exposition m'a contacté parce qu'il était intéressé par le fait que je fasse de la vidéo, médium qui n'était pas présent dans les deux éditions précédentes.

En me documentant, je me suis aperçue que je voulais travailler sur quelque chose de différent que ce que l'on a l'habitude de visionner dans l'univers du skateboard.
A Lyon et à Dijon, j'ai pris contact avec les skaters. Je suis allée à la découverte des endroits où ils pratiquent leur sport pour les observer. Et j'ai été frappée par le fait qu'ils s?observent beaucoup entre eux. J'ai donc décidé de pointer ma caméra vers les spectateurs de cette pratique, alors qu'ils ne sont habituellement pas le sujet de l'attention. Cette série de portraits met en avant la mécanique de leur regard et leurs réactions enthousiastes traduisent leurs émotions. Eux aussi skateurs, leurs expressions suggèrent l'attention qu'ils portent à leurs pairs et l'importance d'une pratique d'observation dans l'univers du skateboard.

Comment se présente la vie d'une jeune artiste aujourd'hui ?

- Ce n'est pas très différent de la vie d'un jeune actif. A l'exception que j'aimerais consacrer plus de temps (tout mon temps) à mon travail personnel. J'ai beaucoup de projets en tête et je suis très occupée par tout cela. Mais je trouve ça passionnant. Et je dois dire que je suis aussi un peu impatiente vis à vis des prochaines expositions et des prochaines oeuvres en réalisation.

Propos recueillis par Bertrand Fouquoire (www.lepetitjournal.com/singapour) vendredi 30 juin 2017
 

Bertrand Fouquoire
Publié le 29 juin 2017, mis à jour le 2 juillet 2017

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