Comme chaque année, le 10 septembre, les écoliers de la Chine entière remettent un petit cadeau à leurs professeurs, à l’occasion de la fête des enseignants (教师节, jiàoshī jié). Pourtant, le secteur éducatif n’est pas exactement à la fête en cette rentrée scolaire.
Inquiet de voir la natalité du pays chuter, le gouvernement s’est engagé dans un nettoyage radical de l’industrie du soutien scolaire, avec l’objectif de réduire les coûts de l’éducation pour les parents et la pression pesant sur les épaules des enfants.
Des mots du Président Xi Jinping, dont l’idéologie sera désormais enseignée une fois par semaine dès la classe de CE2, cette industrie « chaotique » est une « maladie résistante qui est difficile à traiter ». Selon le ministère de l’Éducation, le secteur a été « gravement détourné par le capital » et s’est « engraissé » sur le dos des parents de 200 millions d’élèves, anxieux d’assurer l’avenir de leur progéniture.
C’est ainsi que le gouvernement a décrété une politique de « double réduction » (双减, shuāng jiǎn), consistant à réduire la masse de devoirs et d’examens, ainsi que le recours à des cours particuliers.
Désormais, les firmes de soutien scolaire devront s’enregistrer comme des entités à but non lucratif et auront l’interdiction d’enseigner toute matière du programme scolaire (maths, chinois, anglais…) le soir, le weekend, et pendant les vacances. Pour compenser, les enseignants des écoles publiques sont priés d’assurer un service de garderie ou de permanence après les heures de cours. Une charge supplémentaire pour ces professeurs souvent mal rémunérés…
Pour cette industrie, estimée à 800 milliards de yuans (105 milliards d’euros) en 2019 et employant plus de 10 millions de personnes, c’est un coup dur. Les établissements mettent la clé sous la porte, et plusieurs dizaines voire centaines de milliers de professeurs (étrangers y compris) se retrouvent soudainement sans emploi. Selon l’ONG hongkongaise China Labour Bulletin, les manifestations de ces enseignants licenciés, réclamant des arriérés de salaire à leurs patrons en fuite, se sont multipliées ces dernières semaines… Même si certaines villes ont organisé des foires à l’emploi pour ces profs au chômage, les places offertes sont loin d’être suffisantes et satisfaisantes pour ces jeunes candidats en grande majorité titulaires d’un diplôme universitaire.
Et les parents dans tout ça ? Même s’ils devraient à priori se réjouir de ces changements, ils sont nombreux à être convaincus que le nouveau système continuera de favoriser ceux qui ont les moyens de payer une école privée à leurs enfants ou de les envoyer étudier à l’étranger… Auparavant, les élèves des écoles publiques considéraient le soutien scolaire comme leur seule chance de pouvoir rivaliser avec ceux des écoles privées. Ce ne sera plus le cas aujourd’hui.
Mais les parents n’ont pas dit leur dernier mot, déterminés à contourner la nouvelle règlementation d’une manière ou d’une autre. Les cours sont donnés clandestinement à domicile, dans des cafés, halls d’hôtels, sur internet… Conséquence : les rares professeurs disponibles s’arrachent et leurs prix flambent sur le marché noir. Ce n’est pas un problème pour les familles les plus fortunées qui ont recours à des tuteurs à domicile – un service facturé jusqu’à 30 000 yuans par mois ! Le groupe New Oriental Education lui, a ouvert une filiale proposant les services de prétendus « agents d’entretien »… Face à cette dissidence, les autorités ont promis des sanctions.
Pour rester dans la légalité, les firmes subsistantes se diversifient. Certaines offrent désormais des cours de pédagogie aux parents afin qu’ils puissent enseigner eux-mêmes à leurs enfants. D’autres proposent des leçons de calligraphie, de cerf-volant, d’origami, de codage informatique, d’arts plastiques, mais surtout de sport puisque la matière ne cesse de prendre de l’importance dans le cursus scolaire. Surfant sur la tendance, pas moins de 33 000 sociétés proposant une éducation artistique et sportive, ont ouvert à travers le pays ces dernières semaines – une hausse de 99%.
« On dirait que les autorités veulent davantage de jeunes virils qui n’ont rien dans le cerveau. Ils feront de parfaits employés d’usine », s’est moqué un internaute. Derrière l’objectif affiché de réduire la pression financière des parents et les inégalités croissantes, l’État envisagerait-il de réformer son système de manière à former moins de cols blancs et plus de cols bleus afin de répondre à la baisse structurelle de sa main-d’œuvre ? L’hypothèse a gagné du terrain sur les réseaux sociaux. « On dirait que les autorités tentent désespérément de transformer « les jeunes qui s’allongent » (ou plongent dans les jeux vidéo) en de bons petits soldats patriotes et productifs », suspecte un utilisateur de Weibo.
En effet, faute de pouvoir bénéficier de soutien scolaire, de nombreux élèves ne pourraient même plus atteindre le lycée, selon certains experts. Actuellement, la moitié des collégiens réussissent à intégrer une université, tandis que les autres sont redirigés vers des lycées professionnels, une voie nettement moins prestigieuse aux yeux de la société, ou vont directement sur le marché du travail…
Sous cette lumière, il devient clair que cette campagne actuelle s’attaque aux symptômes sans traiter les causes de la maladie. Pour que les mesures soient réellement efficaces, il faudrait doter l’école publique de davantage de ressources (instaurer une rotation des meilleurs professeurs entre les différents établissements est un premier pas en ce sens), procéder à une réforme du « gaokao » (高考, gāo