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HOMMAGE - Eduardo Carrasco, fondateur des mythiques "Quilapayun", décoré par la France

Écrit par Lepetitjournal Santiago
Publié le 31 octobre 2007, mis à jour le 13 novembre 2012
Samedi, l'Ambassade de France, a rendu hommage à Eduardo Carrasco, fondateur du mythique groupe chilien, "Quilapayun", en le faisant Chevalier des Arts et des Lettres au nom du Ministère français de la Culture. L'occasion pour ce musicien philosophe de prononcer un discours hommage à la France, nourris de souvenirs touchants. Extraits:

Eduardo Carrasco, à gauche avec certains musiciens du groupe, autour de madame l'Ambassadeur de France au Chili

"(...) Ma mère était d'origine wallonne et, comme cela se produit dans de nombreuses familles belges, elle poussait sa francophilie bien au-delà du chauvinisme commun chez les familles françaises. La France était la principale référence, dans tous les domaines, en même temps qu'un modèle jamais remis en cause. La Maison Muzard, la ville de Nice ou les grands magasins parisiens, n'étaient que des succédanés propres au pays sous-développé où nous vivions, mais, leurs offres restaient à des kilomètres des colis contenant des robes, achetées par correspondance aux Galeries Lafayette elles-mêmes, que mes tantes recevaient dans un concert d'exclamations élogieuses. Lorsque ces grandes boîtes arrivaient enfin, lorsqu'elles étaient ouvertes sous nos regards émerveillés, la surprise s'associait à la sensation d'avoir enfin acquis un bien authentique, magnifique et prestigieux. Le bon goût, l'intelligence et la beauté étaient des exclusivités françaises. Mon père, lui, était le fils d'un militaire qui, représentant l'armée chilienne à la Société des Nations, a été amené à séjourner quelques années à Paris. C'est pour cela que mon père a effectué une partie de ses études au lycée Condorcet. L'expérience l'a si radicalement marqué, qu'il a rêvé d'y revenir toute sa vie durant. Les récits de ses promenades à vélo dans les environs de Paris étaient si vivants et imagés, que, pendant une grande partie de mon enfance, j'ai cru que le soleil qui passait chaque jour au-dessus de nos têtes n'était qu'une pâle copie de celui qui ornait les portes du château de Versailles (...)
J'ai donc grandi dans un monde où la France était une sorte de paradis, lointain et familier à la fois. En réalité, comme il deviendrait évident plus tard, tout cela s'inscrivait dans une planification sage et secrète, une préparation à ce qui m'attendait. De là, de ces préliminaires de mon enfance, qu'arrivant pour la première fois à Paris, je me sois soudainement trouvé dans une ville qui m'attendait depuis toujours. (...)Cette équation est devenue réalité pour la première fois lorsque je suis allé avec les Quilapayun en Europe pour la première fois, en 1967. Je dois dire que cette première rencontre a été extraordinairement prometteuse. Nous avons passé moins d'une semaine à Paris, semaine pendant laquelle nous avons enregistré un disque et chanté pour des assemblées de jeunes universitaires qui se préparaient déjà pour les événements de mai 1968.

L'Amérique latine et les guerillas étaient à la mode
Comme l'Amérique Latine et les guérillas étaient à la mode, nous, barbus interprétant des chansons révolutionnaires, étions considérés comme les représentants directs du Che et de Fidel et nous jouissions de tous les privilèges que supposait ce statut. Nous sommes revenus en 1970, dans le cadre d'une tournée bien mieux organisée. Marchant sur les traces de Violeta Parra, nous avons chanté pendant plusieurs semaines à l'Escale et à La Candelaria. Je me rappelle qu'à cette occasion, nous avons mis à contribution Pablo Neruda, fraîchement nommé ambassadeur du Chili en France. Il a passé toute une matinée au téléphone, joignant les différents théâtres de Paris, pour nous obtenir des contrats. Nous avons même chanté à la télévision, pendant une émission de fin d'année appelée "Le monde en fête."Nous y avons partagé la scène avec Charles Trenet en personne, celui-là même que mon père admirait tant. Nous sommes revenus avec un succès comparable en 1972. Chaque fois que nous foulions le sol Français, le monde semblait soudain tourner autour de nous.

C'est pourtant en 1973 que s'est produit le fait le plus étrange. Depuis déjà longtemps, jouer à l'Olympia était devenu une véritable obsession. Nous y sommes parvenus grâce aux démarches entreprises par notre ami, Guillermo Haschke et une date a enfin été fixée au 15 septembre 1973. Je n'exagère en rien lorsque j'affirme que notre soif de reconnaissance par le public français nous a tous sauvé la vie. Si nous avions été au Chili pendant les jours qui ont suivi le coup d'Etat, nous, qui étions de figures emblématiques de l'Unité Populaire, aurions à coup sûr connu le même sort que Victor Jara et tant et tant de camarades de cette époque.(...)

J'ai été témoin du plus solide et sincère esprit de solidarité envers notre peuple
Heureusement, nous avions la France et c'était avoir beaucoup. Le 12 septembre, une immense manifestation de soutien à la démocratie chilienne est passée devant l'ambassade du Chili. Impressionnés par ces manifestations d'intérêt pour notre peuple, nous saluions la foule depuis les balcons. Je crois que, pendant les quinze années que j'ai passées en France, où certains de mes compagnons sont restés, j'ai été témoin du plus solide et sincère esprit de solidarité envers notre peuple. Nous avons parcouru la France d'est en ouest en chantant pour le Chili et nous sommes devenus les dépositaires de cette volonté solidaire du peuple français et de son soutien à notre lutte pour un retour de notre pays à la démocratie et à la liberté.
Je ne peux pas rater cette occasion de remercier Dominique Frelaut, député-maire de Colombes, qui nous a permis de nous installer dans sa ville, ainsi que tous les Colombiens qui nous ont ouvert les portes de cette nouvelle vie qui s'imposait à nous. L'exil a supposé, dans le même temps, l'expérience la plus douloureuse et la plus fascinante de toute ma vie : il m'a fallu pénétrer un pays qui n'était à l?origine pas le mien, mais dont je pouvais m'approprier au point de m'en sentir vraiment partie.

Ma nostalgie toute entière concernait la France
Je me souviens d'une tournée au Japon au milieu de laquelle j'ai soudain saisi que ma nostalgie tout entière concernait à présent la France. C'était là que se trouvaient ma famille, ma maison, mais aussi un peuple dans les valeurs duquel je me retrouvais entièrement. Mon ami, Matta, me l'a appris : "
La France n'est pas un pays mais une cause", me disait-il. (...)
Il n'est pas de preuve plus tangible de cet esprit d'universalité qui a toujours caractérisé la France que notre expérience. C'est en chantant nos chansons dans notre langue et en restant fidèles à l'esprit de notre peuple que nous avons pu nous faire une place dans le milieu artistique français. Comme beaucoup d'autres artistes chiliens et latino-américains, c'est à Paris que nous avons mené à bout nos plus importantes réalisations : il suffit de citer les saisons à Bobino ou à l'Olympia, l'émission le Grand Échiquier de Jacques Chancel et les centaines de concerts, des années durant, aux quatre coins de la France. Aujourd'hui encore, plus de trente ans après notre arrivée, nous réalisons des tournées et des concerts importants. (...)

Je me sens honoré et j'exprime encore ma reconnaissance
Il m'est impossible de réaliser un inventaire de tout ce que les exilés et, en particulier, nous autres, devons à la France. Il est en revanche plus aisé de comprendre la reconnaissance que j'éprouve en cet après-midi, à l'heure de recevoir cette distinction. Je l'interprète comme une manifestation supplémentaire de l'intérêt de la France pour les cultures de tous les peuples. Je me sens donc honoré et j'exprime exprime encore ma reconnaissance.
Je remercie le Ministère de la Culture et de la Communication, je remercie Madame l'Ambassadrice et toutes les personnes qui ont participé à cet événement, avec une mention spéciale pour François Bonnet, Conseiller de Coopération et d'Action Culturelle.
Je remercie aussi ceux qui ont promu cette reconnaissance et, en premier lieu, mon ami, le grand artiste Daniel Mezguich, qui partage encore la scène avec nous lorsqu'il nous arrive de chanter en France la Cantate Santa María. Je remercie mes propres camarades, qui m'ont accompagné dans cette longue aventure et Pascaline Gomez, la femme de l'un d'eux, qui a fait la promotion de cette initiative et contribué à sa concrétisation.
Merci à vous tous de m'accompagner en ce jour. Maintenant que je suis officiellement Chevalier, je m'engage à partir sur le champ en guerre contre les maléfices pour libérer des princesses emprisonnées et vaincre les terribles géants qui m'ont tenu sur la brèche tout au long de ma vie. Ce faisant une moitié de mon c?ur restera bien sûr au Chili et une autre dans le pays qui m'honore aujourd'hui. Merci."

Recueillis par S.R. (www.lepetitjournal.com - Santiago ) mercredi 31 octobre 2007



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Publié le 31 octobre 2007, mis à jour le 13 novembre 2012

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