Oubliez les santons de Provence et la bûche de Noël chez belle-maman. Bienvenue dans un mois de décembre où l'on patine en talons aiguilles et paillettes, où l'on court en sous-vêtements dans le Castro pour la bonne cause, et où les bébés font la fête au musée sur fond de musique électronique. C'est juste Noël version Bay Area, une célébration aussi démesurée qu'inattendue qui transforme la fin d'année en un spectacle permanent.


Quand la patinoire devient cabaret
Prenons Union Square et sa patinoire éphémère, tradition hivernale depuis 2008. En France, une patinoire de Noël, c'est plutôt plan-plan : on fait trois tours, on tombe sur les fesses, on boit un chocolat chaud, fin de l'histoire. Ici ? On monte le spectacle d'un cran – ou plutôt de plusieurs octaves.
Le 5 décembre dernier, la patinoire The Safeway Holiday Ice Rink a accueilli "Drag Queens on Ice", un événement devenu incontournable depuis plus de dix ans. Le concept : des drag queens et drag kings locaux chaussent les patins pour offrir des performances éblouissantes sur la glace, dans une explosion de paillettes, de plumes et de musique. Les spectateurs peuvent soit payer 30 dollars pour patiner aux côtés de ces artistes, soit profiter gratuitement du spectacle depuis les abords de la patinoire.
"C'est l'événement où la patinoire brille le plus", annonce fièrement l'organisation. Les performers incluent certaines des personnalités drag les plus féroces de la région, qui transforment la glace en scène de cabaret. Pour les oreilles sensibles (et les Français habitués à une certaine retenue), c'est un spectacle qui détonne : costumes extravagants, chorégraphies audacieuses, et une énergie collective qui célèbre l'expression de soi et la diversité.
La patinoire propose d'ailleurs d'autres soirées thématiques tout au long du mois : "Silent Skate" où chacun patine avec des écouteurs sans fil sur trois chaînes différentes (imaginez une boîte de nuit muette sur glace), "Flashback Fridays" avec tubes des années 80, et même un "Polar Bear Skate" le 1er janvier où les patineurs sont encouragés à venir en maillot de bain. Oui, vous avez bien lu. En plein hiver. C'est ça aussi, l'Amérique.
Courir en caleçon pour la solidarité
Si les drag queens sur glace vous semblent déjà surréalistes, attendez de découvrir la Santa Skivvies Run. Le 8 décembre, près de 400 participants ont défilé en sous-vêtements dans les rues du Castro pour lever des fonds au profit de la San Francisco AIDS Foundation. Oui, en décembre. Dehors. En slip ou en culotte.
Cet événement annuel, qui en est à sa 16e édition, incarne parfaitement l'esprit de la ville : body-positive, assumé, et résolument engagé. Les participants s'inscrivent pour 40 dollars, reçoivent un sous-vêtement officiel de l'événement (qu'ils peuvent choisir de porter ou non), et parcourent environ deux kilomètres à travers le quartier emblématique. Certains ajoutent des bonnets de Père Noël, des bois de renne, ou carrément des costumes festifs – mais le principe reste le même : célébrer son corps et soutenir une cause vitale.
"C'est un événement body-positive", précise l'organisation. "Venez avec votre sous-vêtement Santa Skivvies, une tenue de fête, ou ce qui vous fait vous sentir fabuleux dans votre corps." Le parcours démarre et se termine au LOOKOUT, bar emblématique du Castro, et comprend un "Santa's Village" avec spectacle de drag queens, remise de prix, et animations.
Pour les Français habitués à la pudeur républicaine, c'est un concept pour le moins... déroutant. Mais il faut comprendre que la Santa Skivvies Run n'est pas qu'un simple délire festif : elle permet de financer les services gratuits de la San Francisco AIDS Foundation, qui offre dépistage, traitement, accompagnement et soutien aux personnes touchées par le VIH. En 2024, l'événement a mobilisé des centaines de participants et levé des dizaines de milliers de dollars.
Rave ta première dent au musée
Vous pensiez que les musées étaient des lieux de contemplation silencieuse ? Pas au Asian Art Museum, qui a organisé le 7 décembre une "Baby Rave" dans le cadre de son exposition "Rave into the Future: Art in Motion".
Le principe : transformer les galeries du musée en piste de danse pour bébés, tout-petits et leurs parents. DJ Chico Chi, artiste queer et non-binaire dont la musique explore ses racines sino-cubaines, a mixé des sets de 15 minutes tout au long de la journée, avec un volume sonore maintenu sous 85 décibels pour protéger les oreilles sensibles des bambins. Les familles pouvaient danser librement dans les espaces d'exposition, créant ainsi une expérience artistique immersive pour les plus jeunes.
"C'est une opportunité unique pour les familles de s'immerger dans une expérience artistique dynamique, montrant comment les rythmes de la piste de danse peuvent nourrir la communauté à travers tous les âges", explique le musée. Pour ceux qui craignaient le niveau sonore, le conseil était simple : apportez des casques pour protéger les oreilles particulièrement sensibles.
Cette initiative s'inscrit dans l'exposition plus large "Rave into the Future", qui célèbre la culture rave et la musique électronique à travers le prisme d'artistes femmes et queer d'origine ouest-asiatique. L'exposition comprend des installations vidéo immersives, des sculptures, des photographies, et même une piste de danse en cuivre grandeur nature où tous les visiteurs sont invités à se déhancher.
Imaginez expliquer ça à votre grand-mère française : "Oui mamie, j'ai emmené le petit au musée samedi. Non, pas pour voir des tableaux. Pour une rave. Oui, une rave pour bébés. Avec un DJ. Au musée. C'était génial."
Au-delà du folklore et du kitsch assumé, les célébrations de fin d'année dans la Bay Area révèlent quelque chose de plus profond : une capacité à créer de la communauté autour de moments partagés, aussi décalés soient-ils. Qu'on patine aux côtés de drag queens, qu'on coure en sous-vêtements pour la bonne cause, ou qu'on fasse danser son bébé au musée, l'objectif reste le même : célébrer ensemble, dans la joie et l'inclusion.
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