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L'écart générationnel en Nouvelle-Calédonie

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Écrit par Isya Okoué Métogo
Publié le 30 décembre 2020, mis à jour le 31 janvier 2021

La Nouvelle-Calédonie est un pays multiculturel qui, par son histoire particulière, héberge de nombreuses communautés qui grandissent dans des réalités parfois opposées. Alors que la génération dite « Y », des années 1980-2000, entre de plus en plus sur le monde du travail et que la génération précédente grandit, on la compare beaucoup aux générations suivantes. La Nouvelle-Calédonie n’échappe pas à la tendance.

 

« Génération », un terme de moins d’un siècle

Le terme génération est né en 1928, et a pour objectif de base de définir une classe sociale, et de voir comment cette définition est applicable à une génération comme un ensemble spécifique ayant conscience de soi. On identifie aujourd’hui quatre à cinq générations. Il y a d’abord les Vétérans, aussi appelés Génération Traditionaliste, nés dans les années 1920-1945 qui ont connu la seconde guerre mondiale et la grande dépression. Les Baby-Boomers viennent ensuite, entre 1946 et 1964 et représentent la génération qui a inventé la société de consommation et qui croit en la réussite sociale. On appelle la « Génération X » celle qui suit, entre 1965 et 1980, qui a vu la crise économique et le choc technologique, marquée dit-on par un scepticisme vis-à-vis du futur. Leurs enfants sont la « Génération Y », née entre 1981 et 2000. Ils sont la génération de la mondialisation, des technologies et de l’information. On dit que cette dernière se caractérise par un mode de communication innovant et interactif. Pour elle tout est possible et elle est caractérisée par la volonté d’apporter de l’attention aux autres et par le développement durable. Ce sont aussi les rois du court-terme. Les idéologies sont vues comme non-durables et l’incertitude est un quotidien avec lequel il faut composer au fur et à mesure. Enfin, certains qualifient de « Génération Z » les personnes nées à partir des années 2001.

La notion de génération connait des critiques, formées sur le postulat qu’on garde les normes et les valeurs acquises dans la 20ène. La problématique soulevée par la comparaison des générations entre elles viendrait donc surtout d’un dialogue fort entre des personnes ayant grandit dans des contextes économiques, sociaux, politiques et écologiques différents. La définition que l’on ferait d’une génération dépendrait donc finalement du prisme adopté, en fonction de la classe sociale ou de l’héritage culturel.

 

Les générations calédoniennes à l’épreuve du métissage

En Nouvelle-Calédonie, le mélange culturel date de la colonisation avec l’arrivée de déportés français et algériens au XIXe siècle. Vient ensuite les communards, et au début du XXe siècle l’arrivée de paysans français de métropoles et de travailleurs vietnamiens et indonésiens. On retrouve aussi des populations mélanésiennes et polynésiennes des îles voisines, comme Wallis-et-Futuna. Si la société coloniale prend officiellement fin en 1947, les séquelles des ségrégations qu’a connu le territoire sont encore visibles aujourd’hui. A l’heure actuelle, la moitié de la population a moins de 30 ans, et on appelle la « Génération Matignon » les trentenaires nés après les Accords. On dit cette génération dépolitisée, car beaucoup se détourneraient de la politique face aux actions de la classe politique actuelle. En vérité, ce phénomène ne serait pas endémique mais traduirait un des traits majeurs de la Génération Y : une contestation du pouvoir en place et des institutions, aux mains de la génération aînée.

Ce n’est pas la seule différence généralement établie entre les générations : la technologie, la valeur du travail ou encore la relation à l’autorité sont également identifiés comme les points responsables de l’écart générationnel.

 

Entretien : Iris, Suzanne et Wali nous parlent du temps, de l’accès à l’information et de leurs conceptions du monde

Nous avons interrogé des calédoniennes sur deux autres sujets qui font débat entre les générations : le temps, l’accès à l’information, mais aussi sur leur conception du monde. Iris Poma a 20 ans et est métisse : son père est Kanak et sa mère est métropolitaine. Suzanne Ihaoj a 38 ans et est originaire de Lifou ; ses réponses sont associées à celles de sa cousine Wali Wahetra.

 

Selon Iris, il y a clairement une différence de conception du monde entre ses parents et elle:

Ils ont tendance à être beaucoup plus pessimistes sur l’actualité ou l’avenir que mes frères et sœurs et moi.

Pour elle, la génération de ses parents semble plus découragée par rapport aux changements actuels, mais aussi par rapport à sa génération qui serait plus dans l’adaptation.

Suzanne et Wali, de la génération précédente, pensent que la différence de conception se forme également en fonction du vécu, de l’âge, de la situation géographique dans le pays et même parfois de l’appartenance ethnique. Un point primordial pour la Nouvelle-Calédonie, puisque selon le recensement de 2014, la composition ethnique de Nouvelle-Calédonie peut se compter en près de dix catégories. La population Kanak, plus nombreuse, compte pour 39,05% de la population totale.

Pour Iris, Suzanne et Wali, la perception du temps et son rapport ne sont pas les mêmes entre les générations. Les trois femmes s’accordent : les priorités ne sont pas les mêmes. Iris pense qu’il y a un lien avec la responsabilité en grandissant, puisqu’il devient de plus en plus difficile de vivre au jour le jour et de profiter du moment présent.

Enfin, le rapport à l’information varie énormément selon l’époque à laquelle on grandit. Iris pense avoir à peu près le même rapport aux médias mainstream que ses parents, exceptés qu’elle essaie toujours de garder un sens critique et de s’intéresser au contexte à la différence de ses parents qui ont plus de mal. Suzanne confirme :

La génération qui suit, dont la jeunesse, est bien plus impliquée que la mienne.

Pour la calédonienne, les jeunes ont une maîtrise plus développée des réseaux sociaux et des nouvelles technologies d’une manière générale puisqu’ils ont toujours vécu avec. La génération qui la précède est, selon elle, bien moins connectée que sa génération et n’en voit d’ailleurs parfois pas l’intérêt.

Iris soulève un point important, caractéristique de sa génération :

Nous sommes en permanence bombardés d’informations, et personnellement, il y a des moments où je me désabonne de certains médias mainstream parce que je ne vois que ça et que ça devient beaucoup trop.

Suzanne pense aussi que le monde virtuel, les médias et l’image ne sont pas toujours positifs, notamment lorsqu’il y a une absence de cadre. « Un cadre que notre génération, celle de leurs parents, n’est pas toujours en mesure de leur fixer ». Suzanne met aussi l’accent sur la fracture numérique, qui touche beaucoup la population calédonienne, notamment pour elle celle des tribus pour qui l’accès à ces nouveaux outils n’est pas toujours facile. Comme en métropole, les jeunes partent parfois en roue libre et les plus anciens peinent à s’accoutumer à la vie numérique, de plus en plus rapide et parfois pas des plus pratiques.

 

La génération, cette catégorie procédant de processus sociaux et temporels, semble donc être une grille de lecture pour les différences entre nos grands-parents, nos parents et nous-mêmes. Si parfois le terme apparaît incomplet à définir le groupe qu’il tente de classifier, il peut cependant se montrer pratique pour se référer aux membres d’une époque. En Nouvelle-Calédonie comme ailleurs, il apparaît fondamental de partager les ressentis et les réalités de ces générations qui s’entrecroisent, afin d’allier le recul des plus anciens et l’adaptabilité des plus jeunes sur de nombreux sujets. 

 

Isya Okoué Métogo
Publié le 30 décembre 2020, mis à jour le 31 janvier 2021

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