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RADIOS COMMUNAUTAIRES INDIGÈNES – La Fleur de la Parole

Écrit par Lepetitjournal Mexico
Publié le 18 décembre 2012, mis à jour le 23 décembre 2012

Au travers d'expériences radiophoniques, les peuples indigènes tentent de faire entendre leur voix et de défendre leur culture ancestrale.

Photos: Arthur Lorot

Les premières radios communautaires indigènes, Radio Huayacocotla et Radio Teocelo, naissent au Mexique en 1965 sous la forme de radios éducatives liées à l'Église. Elles se développent durant les années 1980 et se multiplient au début des années 1990, soutenue par le mouvement d'autonomie indigène promu par le mouvement zapatiste.

La radio s'est imposée comme le mode de communication le plus efficace car elle dépasse l'isolement géographique et représente une technologie simple et économique pour les utilisateurs comme pour les producteurs. Elle repose sur la communication orale, principal facteur de transmission culturelle dans des régions fortement marquées par l'analphabétisme.

Une explosion dans les années 80
Dans un entretien avec le Petit Journal, le producteur de radio Ricardo Montejano raconte qu'il a créé au milieu des années 1980 des centres de production radiophonique dans une douzaine de communautés indigènes, dont les programmes étaient envoyés aux radios de l'Institut National Indigène (INI). "Ça a fonctionné quelques années mais les fonctionnaires de l'Institut se sont alarmés des contenus politiques des programmes, et m'ont accusé d'en être l'auteur. Ils n'avaient pas idée de ce dont sont capables les indiens" explique-t-il. Peu de temps après, l'INI décida de ne plus diffuser les programmes, mais les communautés se sont organisées pour créer leurs propres réseaux de diffusion.

Un fort ancrage territorial
On compte aujourd'hui près de deux cents radios de ce type, qui se différencient des radios commerciales, pirates ou sociales par le processus d'organisation communautaire qui les soutiennent, et les liens forts qu'elles établissent avec les communautés pour lesquelles elles émettent. Giovanna Gasparello, spécialiste de la communication alternative, explique, dans son entretien avec le Petit Journal, que la notion de territoire est essentielle pour comprendre le phénomène: "Les radios communautaires naissent du territoire physique mais aussi culturel, identitaire, et le renforcent à leur tour".

Gasparello insiste sur le rôle de la participation collective: "Le modèle de ces radios est horizontal et participatif. Il n'y a plus des émetteurs d'un côté et des récepteurs de l'autre, mais des acteurs sociaux qui assument à tour de rôle les deux fonctions".

Défendre une culture millénaire
La création et diffusion radiophoniques en langues indigènes permettent la survivance des cultures ancestrales, en récupérant des histoires collectives qui ont été effacées du roman national. Elles permettent également de les réinventer grâce notamment à des programmes de promotion des droits de la femme, comme c'est le cas dans La Voz del Pueblo, radio des montagnes de Guerrero.

Giovanna Gasparello assure que « d'un point de vue linguistique, la transmission au travers d'une langue indigène maintient son dynamisme et oblige la langue à se renouveler en communiquant des concepts modernes et des évènements actuels ».

Radio Jën Poj, qui transmet depuis Tlahuitoltepec, dans l'État de Oaxaca, insiste: "Jën Poj signifie 'l'énergie du vent'. Au travers de ce projet, nous cherchons à recréer notre langue en nommant notre réalité avec nos propres mots".

Face à la volonté historique de l'État mexicain d'intégrer les cultures indigènes sans en reconnaître les spécificités, la radio communautaire est un moyen efficace de promotion culturelle à l'intérieur des communautés mais aussi à l'extérieur. Antoni Castells i Talens, de l'Université de Veracruz, rappelle que "les médias de masse tendent à déshumaniser les indiens, en les présentant comme des victimes passives ou comme des guerriers nobles et courageux. Balayer les stéréotypes constitue alors une stratégie de résistance culturelle".

"Les ondes aussi font partie du territoire"
Ces radios se situent dans un vide juridique, entre les concessions commerciales et les permis délivrés aux universités et aux organismes gouvernementaux sans but lucratif. L'idée que "l'autonomie doit être exercée sans demander la permission" est défendue entre autres par Radio Ñomndaa, qui explique que "les ondes aussi font  partie du territoire, au même titre que l'eau ou la terre".

Pour Ricardo Montejano, le contexte dans lequel s'inscrivent ces expériences de communication est essentiel: "Dans nos pays d'Amérique latine, le pouvoir se fonde sur l'ignorance. Ceux qui font usage de la liberté d'expression sont persécutés, comme mon ancêtre Belisario Dominguez à qui l'on a coupé la langue pour avoir dénoncé le coup d'État de Victoriano Huerta en 1913. Plus récemment  deux jeunes locutrices triqui de la Radio La Voz que Rompe el Silencio ont été assassinées en avril 2008. Même s'il leur a été accordé le prix national de journalisme à titre posthume, ces crimes restent impunis et le juge en charge de l'enquête a conclu qu'il n'y avait pas atteinte à la liberté d'expression".

Dans ce contexte, les radios communautaires représentent, selon Giovanna Gasparello, "un espace très important pour la reconstitution, reproduction et innovation des cultures et identités collectives indigènes".

Arthur Lorot (www.lepetitjournal.com/mexico) mardi 18 décembre 2012

lepetitjournal.com Mexico
Publié le 18 décembre 2012, mis à jour le 23 décembre 2012

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