Les fêtes de fin d'année n'offrent pas toujours la trêve espérée. Les mexicains en ont fait la douloureuse expérience en décembre 1994 alors que le peso chute de plus de 50% de sa valeur en quelques jours. Comment la féérie a laissé place au cauchemar, laissant, en un éclair, une majorité de mexicains sur la paille?
Ernesto Zedillo, président du Mexique de 1994 à 2000, a dû affronter la crise dès le début de son investiture
Une certaine "erreur de décembre"?
A peine quelques jours avant Noël, le 20 décembre 1994, le président mexicain Ernesto Zedillo, élu à la tête de l'Etat seulement quelques semaines auparavant, annonce une inévitable dévaluation de 15% de la monnaie nationale. La révélation a des conséquences désastreuses sur l'économie du pays: en moins d'une semaine le peso passe d'une valeur de 3,4 à 7,2 pesos pour un dollar, sous l'effet du retrait massif des capitaux étrangers. Car, par un jeu de connivence entre les milieux politiques et financiers, les investisseurs ont eu droit à la primeur de la nouvelle et ont tenté de devancer la mesure de dévaluation en retirant d'un coup les fonds largement investis depuis le début de la décennie 1990.
Les effets sont immédiats et dramatiques pour bon nombre de mexicains qui voient leurs revenus baisser de manière drastique et finissent incapables de rembourser les emprunts contractés. Toute personne de 7 à 77 ans ayant vécu cette crise se souvient du désarroi engendré à un moment où l'ambiance se voulait plutôt à la fête. Au cours du mois de décembre 1994, les réserves de change du Mexique sont ramenées de 29 à 6 milliards de dollars et la bourse s'effondre. La crise s'installera sur le long terme: en 1995 le PIB reculera de 7% dans le pays.
Les opposants au nouveau président en place, dont le président sortant Carlos Salina, qualifient alors cet énorme choc économique d' "erreur de décembre" (error de diciembre), en attribuant la responsabilité exclusive à Ernesto Zedillo et à son équipe.
Carlos Salinas, président sortant en décembre 1994
? aux racines bien lointaines
Pourtant, on sait aujourd'hui que les causes de cette crise sévère étaient bien plus profondes et complexes qu'une simple erreur de communication politique. Ce sont une multitude d'événements qui ont abouti à une telle situation, dont certains ne sont pas sans rappeler la situation actuelle. Car les premières années de la décennie 1990, les observateurs étaient très optimistes quant au futur économique du pays, séduits par la récente signature du traité de libre échange avec les Etats-Unis et le Canada (ALENA en français, TLC en espagnol et NAFTA en anglais) et une inflation au plus bas dans le pays, en conséquence de la renégociation de la dette extérieure en 1990. Cette conjoncture apparemment favorable entraina un accroissement massif des investissements étrangers à caractère spéculatif, transformant les habitudes de consommation des mexicains, tout à coup beaucoup plus enclins à emprunter.
Néanmoins la balance commerciale du Mexique restait déficitaire et les ajustements nécessaires à son rééquilibrage (une dévaluation de la monnaie) étaient retardés par la campagne présidentielle en cours, durant laquelle toute mesure impopulaire voulait être évitée. La conjoncture politique s'est de plus particulièrement alourdie en 1994, avec le début de la rébellion zapatiste mais aussi des assassinats politiques à répétition dans les rangs du PRI, contribuant peu à peu à faire reculer les investisseurs étrangers dont la participation était pourtant devenue dangereusement essentielle à la stabilité macroéconomique du pays.
Lorsque les autorités se décident enfin à agir, il est déjà trop tard, et le peso tombe tout à coup au niveau de sa valeur réelle, artificiellement gonflée à des fins politiques et spéculatives.
L' ?effet Tequila?
Le Mexique n'est pas seul néanmoins et en matière financière les frontières sont parfois peu étanches. Le président américain en poste à l'époque, Bill Clinton, pressent les risques pour l'économie de son pays et propose un prêt de 20 milliards de dollars au Mexique, complété par le FMI à hauteur de 18 milliards de dollars. En tout ce sont environ 50 milliards de dollars qui seront prêtés au Mexique par différentes entités, avec en contrepartie un plan de rigueur particulièrement éprouvant pour la population, marquant durablement les esprits.
Par effet d'amalgame (les investisseurs différenciant peu les réalités diverses des multiples pays d'Amérique Latine), mais aussi par une soudaine méfiance vis-à-vis des pays émergents, le Brésil ou encore l'Argentine se trouvent eux-aussi touchés par la crise mexicaine. C'est ce qu'on appellera l' "effet Tequila", expression reprise 17 ans plus tard, à l'été 2011, dans le titre d'un film mexicain retraçant la crise depuis le point de vue particulier de protagonistes de l'époque. Le réalisateur du film El Efecto Tequila, Léon Serment, dit avoir souhaité exprimé "l'énorme colère" que lui a inspiré la gestion de la crise, résultant en de véritables drame sociaux. Le cinéaste fait remonter les racines des "tragédies sanguinaires" actuelles, du chômage ainsi que du phénomène des ninis, à l'année 1994 durant laquelle se seraient soudées selon lui, dans le contexte de la crise, "les complicités entre groupes de pouvoir et crime organisé".
Magdalena Le Prévost (www.lepetitjournal.com/mexico) mercredi 21 décembre 2011