

Voilà bien une semaine que je suis arrivé dans cette ville tentaculaire. De mon hôtel, je peux contempler depuis mon balcon à la fois le Nil et les embouteillages. Aujourd'hui, j'ai rendez vous avec une certaine "Iris"qui doit m'aider dans ma recherche d'appartement. Une fois passée la porte de l'hôtel, je laisse cet univers climatisé pour m'engouffrer dans la fournaise chaotique de cette ville. Le Caire et ses klaxons, le Caire et ses odeurs. Je dois retrouver Iris au centre ville
Je hèle un taxi. Tout de suite, autre ambiance, musique à fond, une chanteuse qui langoureusement susurre des mots que je ne comprends pas, à part cet "Habibi"qui revient tout le temps. Cet "Habibi"dont se servent aussi les hommes pour s'interpeller. Je m'imagine deux français qui s'appellent dans la rue "Habibi": mon chéri. Non impossible. Décidément ces Egyptiens sont vraiment étonnants. Je me rends compte à mon plus grand effroi que le taxi m'a déposé du mauvais côté de la route. Il va falloir que je traverse, dans cette anarchie. J'ai vraiment peur. Ici passer d'un trottoir à l'autre relève de l'aventure surhumaine. Devant mon désarroi manifeste, il y a ce gentil grand père qui me fait des signes, il me prend le bras et me fait traverser.
"Merci Monsieur, Thank you, heu shukran
- Welcome to Egypt
- ..."
Il me sourit alors de tout son visage.
Iris est là, elle m'attend.
"Bonjour Henri, comment allez-vous ?
- Bien, un peu décalé, encore, et puis il fait chaud.
- C'est la première fois que vous venez en Egypte, vous !
- Cela ce voit donc tant que ça ?
- Oui, allez venez, j'ai un appartement à vous montrer dans le quartier de Mounira, pas très loin du Centre culturel français."
Nous voilà donc partis dans un autre taxi.
"Vous êtes là pour longtemps ?
- J'ai un contrat de cinq ans. Je ne connais pas l'Egypte, mais ce pays a toujours évoqué pour moi le mystère et la magie. C'est pourquoi quand on m'a proposé de venir travailler ici, j'ai tout de suite accepté.
- Vous voulez un appartement de quelle superficie, combien de pièces ?
- Je ne sais pas trop, deux chambres, c'est bien.
- Vous allez voir, ici les appartements sont plutôt vastes et puis il y a plusieurs salons.
- Moi je n'ai pas besoin de beaucoup d'espace car je suis seul.
- On va descendre ici. Venez Henri, je connais bien le bawab de cet immeuble à priori, il a un appartement.
- Un bawab ? Qu'est ce que c'est exactement ?
- Un bawab, je vais vous dire, c'est l'élément le plus important dans le choix d'un appartement. De sa façon d'être dépend beaucoup votre façon d'apprécier votre logement. Il fait office de concierge, homme à tout faire et parfois d'agent immobilier en Egypte. Tenez, le voilà, il s'appelle Youssef.
- Essalamou ?aleikum ya Youssef !"
C'est tout ce que j'ai compris de la discussion. Ensuite, Iris a commencé à parler de façon animée avec ce Youssef. Je n'ai aucune idée de ce qu'ils peuvent bien se raconter ces deux là mais en tout cas, la conversation est animée.
"Je suis désolée Henri, me dit Iris en se tournant vers moi d'un air contrit.
- Je ne sais pas si on pourra voir l'appartement aujourd'hui
- Ah bon, mais on n'avait pas rendez-vous avec le propriétaire pour visiter ?
- Non il n'est pas là, en fait il habite en Arabie Saoudite mais il a laissé quelqu'un sur place pour gérer ses affaires. Je lui ai parlé hier mais le bawab me dit qu'il ne viendra pas.
- Mais le bawab, il n'a pas les clefs ?
- Si mais il ne veut pas ouvrir tant que cette personne n'est pas là. Nous reviendrons demain.
- C'est ça le IBM égyptien.
- Ah tiens vous connaissez. Ne vous fâchez donc pas, nous allons voir un autre appartement."
Je la suis. En mon for intérieur, je commence à me dire que cette recherche d'appartement ne sera curieusement pas aussi facile que je l'augurais. Nous nous arrêtons devant un autre immeuble devant lequel se tient un cerbère au teint mat répondant au nom de Gaber.
"Essalamou ?aleikum ya Gaber !
- Essalamou'aleikum ya fendim
- ..."
Là encore ma compréhension est limitée. De nouveau, Iris gesticule et proteste.
"Y'aurait-il un problème ?
- Non Henri, ne vous inquiétez pas ! Venez, Gaber a un appartement avec 3 chambres à vous proposer.
- Mais je ne veux que deux chambres.
- Oui, je sais, mais c'est la seule chose de disponible."
Je monte un escalier, jonché de poubelles avant de découvrir un appartement vieillot. En cinq secondes, je me retrouve plongé dans un décor désuet, une autre atmosphère. Je traverse d'abord la vaste salle de réception, puis le salon, puis la cuisine. A ma grande surprise, j'y croise des cadavres de cafards. Je les signale à Iris qui le dit au bawab. Celui-ci sourit en disant à Iris que cela n'est rien, qu'il va débarrasser l'appartement de ces insectes indésirables. La cuisine est sale, la lumière ne pénètre pas dans cet appartement vieux et poussiéreux. Décidément, je ne veux pas rester une minute de plus dans ce décor kitsch à outrance.
"Iris, cet appartement ne me plaît pas.
- Qu'y a-t-il Henri ?
- Je ne peux définir ce qui me rebute le plus, mais à l'idée de vivre ici, j'ai des frissons."
Iris s'engage alors dans un long discours avec le bawab qui s'exclame et lance ses bras en l'air tel un moulin à vent.
"Il dit qu'il peut vous avoir cet appartement pour 4000 LE par mois, mais à mon avis cela ne les vaut pas."
Iris continue à marchander et je suis de plus en plus gêné car je sais que je ne veux pas de cet appartement.
"Iris, je veux partir.
- Mais, il descend son prix de moitié.
- Iris, je ne veux pas de cet appartement.
- D'accord."
Iris, reprend ses explications avec Gaber, qui montre son mécontentement en haussant le timbre de sa voix qui se fait menaçant.
Je quitte les lieux avec une impression d'agacement, Gaber me prend alors à part et me dit, "bakchich ? Bakchich ?"
J'interroge alors Iris :
"Que veut il ?
- Il veut de l'argent car il vous a fait visiter l'appartement.
- Mais cet appartement ne me convient pas.
- Oui mais c'est l'usage ici, il faut lui donner quelque chose.
- C'est de l'escroquerie oui !
- Ecoutez, c'est son gagne pain. Donnez lui 20 LE. Qu'est ce que c'est pour vous, pour lui en tout cas c'est beaucoup.
- Je refuse ce stratagème, dis-je en sortant de façon précipitée de l'appartement."
Iris sort alors de son sac 20LE qu'elle donne à Gaber qui la remercie.
"Venez Henri, on va aller dans un autre quartier, à Zamalek. C'est un quartier plus cosmopolite. Il y a plus de parcs et beaucoup d'étrangers y ont élu résidence.
- D'accord Iris, mais je vous préviens, plus de mauvais plan comme celui que vous venez de me faire.
- Henri, vous en êtes encore à faire la mauvaise tête pour 20 LE, 3 euros, le prix d'un café à Paris ! Avec cet argent, il mangera de la viande ce soir ou bien il fera quelque chose avec ses enfants. Il ne faut jamais se mettre un bawab à dos, car dans une ville comme celle-ci, vous ne savez pas ce dont vous aurez besoin demain, or les bawabs sont des mines précieuses de renseignements. Taxi !"
Nous sommes en route vers Zamalek. La circulation est dense. Partout les vieux taxis font retentir une musique joyeuse pour signaler aux clients potentiels qu'ils sont libres. Nous passons un pont puis j'entraperçois l'opéra du Caire. Le Nil avec ses teintes matinales continue d'opérer sur moi sa magie. Zamalek est devant nous.
Illustrations Coraline Gasset. La rédaction. (www.lepetitjournal.com - Le Caire) mercredi 18 juillet 2007








