Édition internationale

CINEMA - Sana Mouziane et les raisons de la censure de Cairo Exit

Écrit par Lepetitjournal Le Caire
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 5 janvier 2018

 

Le long-métrage égyptien, Cairo Exit, est un fourre-tout de tabous. La Marocaine Sana Mouziane y  joue le rôle d'une musulmane voilée qui tombe amoureuse d'un copte et se doit d'assumer son choix malgré l'appel des us. Le film qui expose, entre autres, avortement, hyménoplastie et amours impossibles... Entretien

Lepetitjournal.com Le Caire : Pourquoi le film Cairo Exit a-t-il été censuré ?
Sana Mouziane : En Egypte, pour qu'un film décroche haut la main l'autorisation de l'entité artistique qui est en mesure d'en délivrer, il faut que celui-ci soit exempt de toute scène qui puisse heurter les âmes sensibles. Il faudra aussi que le film respecte les m?urs du pays. Cairo Exit expose des sujets un tant soit peu choquants tels que l'hyménoplastie, des idylles amoureuses entre musulmans et coptes, la prostitution, la grossesse prénuptiale, etc. Ce film n'a pas été validé par le syndicat artistique du pays, car il a été jugé comme incitant à la débauche. Pourtant, quand on le voit, on constate qu'il ne fait qu'exposer des phénomènes qui existent en Egypte comme partout dans le monde. De même, je pense que réaliser des films imaginaires ne pourra pas changer grand-chose aux maux sociaux. Le cinéma a beaucoup souffert de la censure au niveau du monde arabe et cette page n'a pas été tournée, malheureusement.

Pourquoi la presse arabe continue-t-elle de stigmatiser la participation des vedettes marocaines du 7ème art aux films égyptiens ?
Il faudra préciser que la presse marocaine est plus hostile à cette même participation que les autres médias du monde arabe. Il ne s'agit pas à mon avis d'une haine à l'égard de l'artiste étrangère elle-même. Je pense qu'inconsciemment, un réalisateur a tendance à croire que seulement ses compatriotes seraient capables d'incarner les meilleurs rôles car ils sont bien placés pour connaître les phénomènes sociaux. Autrement dit, cela ne justifie pas l'attitude marocaine. Car l'art est universel, l'artiste peut connaître d'autres cultures voire incarner des rôles qu'il n'a jamais vécu?

Le film dresse le tableau d'une société pleine de tabous qui sont, pourtant, existants. Il parle, entre autres, d'hyménoplastie, de mariage entre musulmans et coptes. Pourquoi ce film, réaliste, dérange-t-il ?
Il est vrai que le film expose plusieurs tabous de la société égyptienne. Mais cela ne représente pas un danger en soi. Parler d'un phénomène ou ne faire que l'exposer, cela fait déjà partie de nos vies quotidiennes. Cela n'est pas un blasphème à l'égard de la religion. Il y en a même qui sont allés loin en disant que nous incitions les Egyptiens à se rebeller contre leurs habitudes. Alors qu'il s'agit d'un film courageux qui braque les lumières sur la vie dans un quartier pauvre.

En Egypte "la liste noire" des films continue de s'allonger. Alors que la majorité de ces films montrent la réalité. Comment expliquer ceci ?
Effectivement, beaucoup de films ont été censurés ces dernières années en Egypte après avoir inventé ce qu'on appelle le plus naturellement du monde "la liste noire" des films ou carrément "les films noirs". Ces films mis à l'index veulent, eux, casser les barrières entre coptes et musulmans, montrer au commun des mortels que malgré leurs différences, les Egyptiens vivent en harmonie, doivent faire face à la pauvreté et aux autres fléaux sociaux et peuvent même s'aimer et se marier? pas forcément, mais des exceptions existent. 

Sana Mouziane (A gauche sur la photo), vous êtes une actrice qui n'a pas peur des tabous. Ou plus exactement, vous ne jouez que dans les films qui exposent des tabous sociaux. Pourquoi opter pour ce choix ?
Le cinéma ne doit pas connaître de tabous. Le cinéma est un mélange entre la réalité et l'imagination. Cela reflète les cultures des pays. Ce qui m'attire personnellement, c'est le cinéma engagé, celui qui traite les sujets en les exposant sans camouflage. La liberté d'expression est le droit, voire le devoir de tout artiste qui se respecte.

Malgré les personnes dérangées par votre positionnement, vous êtes omniprésente dans les festivals arabes et étrangers. Comment expliquer ceci ?
Encore une fois la propagande a servi de catalyseur à un film condamné à être critiqué. Force est de constater qu'il a été exposé dans plusieurs festivals et qui a suscité l'intérêt de beaucoup de journaux. Les médias ont en parlé en bien ou en mal. Mes anciens films ont également connu ce sort mais Les jardins de Samira, un film que j'ai réalisé au Maroc a reçu 13 distinctions dont le trophée de la meilleure actrice en Afrique en 2009. Au milieu de tout cela, j'ai beaucoup appris de la critique, de la négative comme de la positive. Par ailleurs, j'ai intégré moults jurys lors de divers festivals?

Propos recueillis à Casablanca (Maroc) par Houda Belabd (www.lepetitjournal.com/le-caire.html) jeudi 10 mai 2012

Publié le 14 mai 2012, mis à jour le 5 janvier 2018
Commentaires

Votre email ne sera jamais publié sur le site.

Flash infos