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De l’IT à la ferme : parcours d’un jeune urbain devenu fermier

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Écrit par Justine Braive
Publié le 9 juillet 2019, mis à jour le 19 décembre 2023

En Inde, entre 1995 et 2015, plus de 300 000 fermiers se sont suicidés, soit en moyenne une quarantaine par jour. Le Maharashtra est l’un des Etats les plus touchés du sous-continent. Pourtant, en 2004, Venkat Iyer choisit de s’y installer pour devenir agriculteur, mettant fin à sa carrière chez IBM, son salaire à 6 chiffres et son mode de vie urbain de cadre supérieur. A 37 ans, une nouvelle vie se dessine dans le village de Peth à une centaine de kilomètres au nord de Bombay, à la frontière du Gujarat. 

 

Le chemin pour s’y rendre est relativement facile, seuls les derniers kilomètres pourraient décourager les visiteurs. Et il y en a ! La métamorphose de Venkat en étonne plus d’un. Il est vrai qu’elle a de quoi surprendre dans un pays où être fermier rime avec sacerdoce. Avec la parution de son livre « Moong over microchips » et les articles dans la presse, quelques lecteurs, poussés par la curiosité, sont allés à sa rencontre. « Nous avons beaucoup de visiteurs. Il y en a même qui sont venus, avec pour seul guide, un article écrit dans un magazine local. Après plusieurs heures de recherche, ils sont arrivés. Incroyable ! » s’enthousiasme Venkat.

Après avoir quitté l’autoroute de l’ouest, il faut suivre le panneau de signalisation « Chinchpada » qui marque le changement de décor : plus de bitume, ni de klaxons incessants, ni de panneaux, mais un pont et en contrebas une rivière. Des buffles harassés par la chaleur de ce mois de mai jouent aux hippopotames, corps immergés et narines à la surface. La ferme de Venkat se trouve quelques mètres plus loin. C’est dans ce paisible environnement que Venkat Iyer et son épouse Meena Menon ont décidé de poser leurs valises il y a quinze ans.

 

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Venkat Iyer et son épouse Meena Menon

 

Sourire aux lèvres, nos hôtes nous servent un petit déjeuner royal : chikoos et goyaves cultivés par leurs soins accompagnés de pâtisseries parsies achetées à la boulangerie située à quelques kilomètres. Les fruits sont bios, Venkat a fait le choix de n’utiliser aucun produit chimique depuis son arrivée, faisant figure d’exception dans le paysage des agriculteurs indiens. La révolution verte débutée en Inde dans les années 60 a rendu les terres esclaves des produits chimiques, notamment l’urée. « Il faudrait laisser reposer les sols pendant de longs mois pour qu’ils retrouvent leurs propriétés naturelles. Mais quels agriculteurs peuvent se permettre d’opérer cette transition sans percevoir de revenus ? » Aucun de ses voisins n’a d’ailleurs suivi son chemin… Pourtant, les récoltes sont bonnes.

Venkat nous montre soigneusement chacun de ses petits qu’il cultive avec amour : potimarron, concombre, mangue, banane et le fameux « moong ». Ces quatre lettres reprises dans le titre du livre « Moong over microchips » prennent enfin tout leur sens. Il s’agit de petites graines vertes, sorte de lentilles originaires du sous-continent indien.

 

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le moong, lentilles indiennes

 

La visite se poursuit. Une attention particulière est accordée à la rivière qui coule en contre-bas. Et pour cause, c’est elle qui a convaincu Venkat et son épouse au moment de l’achat du terrain. Quitter une vie confortable oui, mais avec un projet défini. Le choix de la terre a concentré toutes leurs attentions et la question de l’eau fut un critère déterminant. Dans l’Etat du Marahashtra, les régions du Vidarbha et du Marathwada sont victimes d’une sécheresse qui n’en finit pas, responsable en partie du désespoir des fermiers de la région. Alors quand Venkat et Meena ont trouvé ce lopin de terre surplombant une rivière, ils n’ont pas hésité. 

 

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La rivière en contre-bas de la ferme : un critère de choix du terrain

 

Venkat y a installé un système de pompage qui lui permet d’irriguer ses plantations en attendant la saison de la mousson. « En amont de la rivière, il y a un barrage. La pluie de la mousson y est retenue et le barrage est ouvert régulièrement pour laisser s’écouler une partie de l’eau » explique-t-il. Les autorités ont, sans surprise, essayé de lui soutirer quelques roupies pour ce raccordement, inventant une soi-disant taxe. Depuis le début de cette aventure, Venkat n’a cessé de se frotter aux fonctionnaires dont le bon vouloir s’obtient à coups de billets glissés dans la poche. Mais il s’est toujours refusé à participer à cette corruption qui gangrène le pays. Résultat : 26 visites avec l’administration ont été rendues nécessaires pour qu’il obtienne son certificat de fermier.

S’il n’a versé aucun pot-de-vin, sa patience a été mise à rude épreuve. Venkat détaille avec humour ses déconvenues avec l’administration. Il prend tout autant plaisir à narrer les autres anecdotes de son parcours initiatique de jeune fermier : ses déboires du début avec de bien maigres récoltes, parfois même des échecs cuisants - le riz kasbai aura eu raison de lui -, son intégration dans le village, ou encore son face-à-face hilarant avec le cobra qui a élu domicile dans sa cuisine. Le ton est moins léger lorsqu’arrive le passage sur la détresse des fermiers. Les sécheresses, les engrais onéreux et la pression sociale des mariages grandioses pour lesquels ils s’endettent et qui les acculent.

 

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Venkat en pleine explication

 

Selon Venkat, un autre responsable peut être désigné : le système de vente avec les multiples intermédiaires qui prennent chacun leur part du butin. Les fermiers se retrouvent alors en bout de chaîne, ne percevant qu’un maigre pécule. Venkat en fait les frais lui aussi. Mais il sait qu’il peut compter sur ses économies, le loyer de l’appartement de Bombay et les piges de son épouse journaliste. Pour les autres habitants du village, c’est une autre paire de manche. Ce n’est que depuis l’année dernière que leur situation s’améliore, grâce à la générosité d’un riche homme d’affaires indien.

Ce dernier a mis à disposition un camion qui permet de relier les villages à la ville de Bombay directement. En supprimant ainsi tous ces intermédiaires, le succès fut immédiat : les recettes ont doublé. Certains ont pu récupérer la somme de 70 000 roupies (900 euros) pour les récoltes d’octobre à mars. De quoi rassurer les générations futures de fermier ? Venkat semble assez pessimiste : « la nouvelle génération délaisse les champs pour des emplois légèrement mieux payés dans les industries avoisinantes. Il faut absolument revaloriser le métier d’agriculteur » commente-t-il. 

 

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Le livre de Venkat Iyer

 

Pour ceux dont la question « est-il heureux ? » brûlerait les lèvres, Venkat y a consacré un chapitre entier de son livre. Nul doute quand on le voit, Venkat ponctue ses phrases par de larges sourires !

 

 

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