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15 jeunes femmes des slums de Chennai formées aux premiers secours

Chaque jour en Inde, 300.000 personnes sont confrontées à une urgence médicale. Pourtant, sur les lieux d’un accident ou d’un malaise, rares sont ceux qui osent intervenir. Nombre de morts pourraient être évitées si parmi les témoins, une personne apportait les premiers soins à la victime en attendant les secours. C’est pourquoi Chennai Accueil a organisé en janvier 2024, en partenariat avec ALERT, une formation premiers secours destinée aux jeunes femmes suivies par deux organismes partenaires : Speed Trust et LP4Y.

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Écrit par Rachel Matalon
Publié le 25 janvier 2024, mis à jour le 25 janvier 2024

Former un maximum de monde aux gestes qui sauvent

Souvent, les témoins d’urgences médicales ne savent pas comment réagir, ou ne se sentent pas légitimes à intervenir. En Inde, beaucoup aussi n’osent pas s’impliquer par crainte d’être mis en cause, ou d’être considérés comme responsables de la victime et de devoir payer ses soins.

C'est pour surmonter ces blocages qu'ALERT (Amenity Lifeline Emergency Response Team) a été créé en 2006. En 18 ans, l'organisme a formé près de 300.000 personnes dans toute l'Inde : élèves, étudiants, chauffeurs, personnes transgenres, habitants de zones tribales éloignées des centres médicaux et même, en partenariat avec les autorités, policiers, militaires ou chauffeurs de bus.

En Inde, il y a beaucoup de monde, partout, tout le temps, et une urgence médicale peut survenir n’importe quand : sur la route, à la maison… Les secours, quand ils existent, mettent parfois du temps à arriver. Mais il est toujours possible d’apporter les premiers soins. On ne veut pas de vie perdue parce que les gens ne savent pas quoi faire, ou n’osent rien faire. 

Kala Balasundram, fondatrice d’ALERT

C’est donc naturellement vers ALERT que Chennai Accueil s’est tournée en 2017, lorsque l’association a souhaité organiser sa première formation premiers secours. “Chennai Accueil a toujours eu un axe médical”, explique Estelle, trésorière de l’association. “La santé en Inde reste un vrai sujet pour tout nouvel arrivant”. Une première session a été proposée aux adhérents de l’association pour les aider à réagir face à des situations inédites pour eux (que faire en cas de piqûre de serpent ?), et les participants ont pu constater la qualité des formations proposées par ALERT. “Nous avons donc proposé à nos chauffeurs, nos maids de se former aux premiers secours. Et maintenant, on étend à nos partenaires.” Cette fois, ce sont ainsi 10 jeunes femmes de Kannagi Nagar suivies par LP4Y et 5 nouvelles conductrices de Rickshaw formées par Speed Trust qui en bénéficient.

 

 

Savoir quoi faire en attendant l’ambulance

Les 15 participantes du jour sont accueillies dans les locaux d’ALERT à Chennai. La formation est donnée en tamoul et dure deux heures, le temps pour elles de comprendre quoi faire juste après un accident. Car, comme le rappelle d’entrée de jeu le formateur : c’est dans les 15 premières minutes que tout se joue. À l’arrivée des secours (quand il y en a : 80 % des Indiens n’ont pas accès à un service d’urgence efficace), il est souvent déjà trop tard.

75 % des morts pourraient être évitées si des soins de premiers secours étaient mis en œuvre.

Après un peu de théorie sur les fonctions vitales du corps humain, on passe au concret : comment réagir en cas d’hémorragie ? Quoi faire si son voisin perd subitement conscience ? Si un enfant se fracture la jambe à la maison ? Les participantes apprennent à mettre quelqu’un en position de sécurité, à vérifier qu’une personne inconsciente respire, à pratiquer un massage cardiaque. Le formateur déconstruit aussi le premier - et souvent le seul- réflexe des témoins d’accident en Inde : tenter de donner à boire à une personne inconsciente. Il le répète 4 fois coup sur coup : “Si une personne n’est pas capable de déglutir, surtout ne rien lui mettre dans la bouche, ni eau, ni coca, ni thé !”

 

Le formateur d'ALERT explique où chercher le pouls. Photo : R. Matalon
Le formateur d'ALERT explique où chercher le pouls. Photo : R. Matalon

 

Les apprenantes sont concentrées. Certaines prennent des notes. On passe à la pratique : malgré quelques hésitations, certaines s’allongent au sol en riant pour jouer la victime, tandis que d’autres s'entrainent à vérifier leurs fonctions vitales. Le bébé de l’une d’elles passe de bras en bras au fur et à mesure des mises en situations.

 

Les participantes apprennent à vérifier les signes vitaux. Photo : R. Matalon
Mise en pratique. Photo : R. Matalon

 

Dépasser les blocages psychologiques qui empêchent les témoins d’intervenir

Si la bonne humeur au sein du groupe aide les plus timides à s’essayer au massage cardiaque, dans la vraie vie, les blocages qui empêchent les témoins d’intervenir sont plus profonds. 

“De mon bureau sur OMR (Old Mahabalipuram Road), j’étais régulièrement témoin d’accidents de la route. À chaque fois, un attroupement se formait mais personne ne réagissait", raconte la co-fondatrice d’ALERT, Kala Balasundram. Elle a mené une étude pour comprendre cette absence de réation, et deux blocages sont apparus clairement

Les témoins d'accidents ne savent pas quoi faire – on peut y remédier via une formation de deux heures – et ils ont peur d’être mis en cause s’ils interviennent : peur d’avoir des problèmes avec la police, peur d’avoir à payer les frais médicaux s’ils amènent un inconnu à l’hôpital…

Pour contrer ces craintes, la Cour suprême a acté en 2019 la Good Samaritan Law qui assure les témoins d’accidents qui interviendraient de n’être jamais inquiétés : un “bon samaritain” n’a pas à donner son identité, même à la police, et l’hôpital est tenu de prendre en charge la victime qu’il lui amène sans lui demander d’argent. Mais la Good Samaritan Law reste méconnue, et ces peurs bien ancrées. 

En plus d’enseigner les savoir-faire techniques, il s’agit donc aussi, pour ALERT, d’informer, de pousser les gens à dépasser cette crainte sociale et à oser intervenir

 

Devise d'ALERT : "une personne par famille formée aux premiers secours". Photo : R. Matalon
"Une personne par famille formée aux premiers secours". Photo : R. Matalon

 

Pour beaucoup des participantes : un tout premier certificat !

Les deux heures de formation passent vite. Les jeunes femmes échangent leurs impressions autour du snack proposé par ALERT. “On apprend plein de choses utiles”, assure Nishanthi avec enthousiasme. “Je montrerai ce que j’ai appris à ma famille.” Et c’est bien le but d’ALERT comme de Chennai Accueil : une personne formée peut transmettre les bons réflexes à son entourage.

Margaret, 22 ans, participante au programme LP4Y, se sent même désormais légitime pour intervenir au-delà de son cercle proche :

Grâce à cette formation, j’ai un certificat et je serai autorisée à aider comme je peux. Les gens me feront confiance et on ne pourra pas me reprocher d'être intervenue.

Les formations dispensées par ALERT sont qualifiantes et un certificat est remis à toutes les participantes. Pour beaucoup, c’est leur tout premier diplôme. Certaines parlent déjà de le faire encadrer. “Ces jeunes femmes sont toutes des mamans, ça les rassure beaucoup de savoir qu’elles peuvent protéger leurs familles. Et sur un CV, ça rend très bien !”, résume Ophélie, coach LP4Y.

“On espère que ces femmes n’auront jamais à mettre en pratique ce qu’elles ont appris aujourd’hui”, conclut Kala Balasundram. “Mais la formation premiers secours, c’est comme une assurance : on espère ne pas en avoir besoin, mais ça rassure. Et en cas de coup dur, ça peut faire la différence !”

 

Les 15 participantes obtiennent leur certificat. Photo : Chennai Accueil
Les 15 participantes obtiennent leur certificat. Photo : Chennai Accueil

 

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