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En 2007, Daniel Leconte filmait dans « C'est dur d'être aimé par des cons » une lutte judiciaire, celle de Charlie hebdo face aux organisations musulmanes de France qui avait assigné le journal en justice pour la publication de caricatures de Mahomet. Huit ans plus tard, les mots et les images d'archives résonnent étrangement dans le nouveau film du documentariste et de son fils Emmanuel LHumour à mort qui sort aujourd'hui en France. Un cri de colère et un hommage poignant aux combattants de la liberté d'expression tombés au champ d'horreur le 7 janvier dernier et aux survivants d'une rédaction décimée, qui dès les lendemains du massacre organisait la riposte.
Le dessinateur Riss interviewé dans L'Humour à mort de Daniel et Emmanuel Leconte
Dix mois après l'assassinat des caricaturistes de Charlie hebdo, la France a de nouveau connu des attaques terroristes d'une violence inouïe. Que vous êtes-vous dit à l'annonce des attentats du 13 novembre dernier?
E.L : Ce qui est certain, c'est que nous avons affaire à des professionnels de la sidération, à des moins que rien qui passent toute leur énergie, tout le peu d'intelligence qu'ils peuvent avoir à fomenter les attaques les plus lâches, les plus choquantes. On savait bien que ça allait frapper de nouveau en France. La question qui se posait ces derniers mois, ce n'était pas si ça allait frapper encore mais quand. Mais, au-delà de la démarche qui est toujours plus horrible, ce qui a changé avec le 13 novembre, c'est la perception que les gens peuvent avoir des attentats. En janvier, pas mal de gens pouvaient se retrancher derrière l'idée « Oh, mais c'est Charlie C'est quand même des gens qui le cherchaient depuis un bon bout de temps. », « Ils ont frappé des Juifs. Mais comme vous le savez les Juifs, c'est toujours un petit peu compliqué : on ne sait pas trop s'ils soutiennent Israël ou non. Quelque part, on peut comprendre? ». C'est comme John Kerry qui disait en janvier à propos de l'attentat « Je comprends la démarche rationnelle. » Aujourd'hui, ce genre de discours n'est plus possible, puisqu'ils ont frappé de manière indistincte des Français, des humains avec le désir de détruire tout simplement.
Votre film sort en France mi-décembre. Quelles vont-être selon vous les réactions du public français dans ce contexte post-attentat ?
E.L : On a montré déjà le film dans des projections. Et on a pour ainsi dire eu l'effet avant/après. Le film a été projeté le 11 novembre dans un festival à Arras et à Albi une semaine plus tard. Le 11 novembre avant l'attentat, les gens étaient déjà extrêmement captifs, intrigués. Ils étaient ravis de revoir ces visages, ils avaient soif de se replonger dans cette histoire pour en comprendre les tenants et les aboutissants. On a eu une discussion de trois quarts d'heure, c'était assez fort. Une semaine plus tard à Albi, les gens se sentaient forcément doublement concernés.
En 2007, vous, Daniel, aviez déjà réalisé un premier documentaire sur Charlie hebdo à l'occasion du procès des caricatures. On imagine donc que pour vous qui connaissiez bien cette rédaction le 7 janvier a été un énorme choc.
D.L : Evidemment, pour moi, ça a été une double peine. Je savais qu'ils étaient menacés. En 2007, je plaisantais avec Cabu là-dessus. Je lui disais « Alors Cabu protégé par des flics, ça fait désordre. » Mais quand ça leur est tombé dessus, ça nous est aussi tous tombé dessus. J'ai su d'ailleurs tout de suite que c'était fini. Je connaissais l'agenda de Charlie, je savais que le mercredi matin, c'était la conférence de rédaction et qu'il y en avait plus un seul de vivant. Dieu merci, il y en a eu quelques uns.
Les premières images de ce second documentaire se passent dès les lendemains du drame. Cet hommage s'est tout de suite imposé à vous comme une évidence ?
D.L : Dans ces cas-là, le premier réflexe est un réflexe de survie. Très vite, on a envie de faire quelque chose. J'étais aussi très abattu et ne voyais pas ce que je pouvais faire. En 2007, j'avais fait, me semblait-il, le film qu'il fallait au moment où il fallait. Mais les gens n'avaient pas vu, pas entendu. Quand vous avez cette idée en tête, vous n'êtes pas affecté par la haine des tueurs mais par la désinvolture des intellectuels, des journalistes? Vous vous dîtes « A quoi bon ? A quoi ça sert de faire ce métier si on n'est pas capable d'être un peu vigilant et un peu prémonitoire? » Du coup, j'étais un peu dégoûté de tout ça, c'est Emmanuel qui m'a remis là-dedans. Au départ ce film, c'était son désir à lui.
E.L : L'idée était en effet de se replonger tout de suite dans les images parce que c'était terrible de se dire qu'ils n'étaient plus là, qu'on avait perdu du jour au lendemain ces gens brillants de drôlerie. Je me suis alors souvenu qu'il y avait plein de rushes du film de 2007, des images qui n'avaient pas été prises et qu'on pourrait entendre autrement. A l'époque, ils étaient attaqués en justice et les interviews portaient sur ce qu'ils étaient, ce qu'ils faisaient, les raisons pour lesquelles ils étaient si mal compris. Je me disais qu'il était intéressant de confronter ce qu'ils disaient à ce moment-là, de manière légère et innocente, au présent. Parce que c'est finalement la réponse la plus désinvolte et la plus apaisée à donner à ceux qui ont essayé de les faire taire de la manière la plus inhumaine qui soit.
Ces rushes vous ont certes servi de matière première mais vous avez également agrégé d'autres images, filmé les manifestations du 11 janvier, interviewé les survivants?
E.L : Nous n'avions au départ que ces rushes, ce qui était formidable, mais il fallait qu'on puisse travailler autour de ça. On a donc mis en place un dispositif pour capter l'énergie du 11 janvier, des jours qui précédaient, sans savoir ce qu'on allait en garder. Puis dans un deuxième temps, nous avons pris contact avec les survivants de Charlie. La démarche s'est faite assez vite et de manière assez simple au final. Comme il y avait eu ce film précédent, la confiance était là. Bien que le choc soit encore très présent, ils avaient envie de parler mais pas de se livrer à n'importe quelle presse ou n'importe quel média. Ils étaient assaillis depuis des semaines par les télés du monde entier et étaient assez dégoûtés du voyeurisme. Quand ils ont eu connaissance de notre projet, ils y ont vu l'opportunité de livrer leur version des faits de la manière la plus brute et la plus sincère qui soit. A partir de ce moment-là, la matière première s'est inversée, le relais entre les images de 2017 et ce qu'ils disent aujourd'hui devenait extrêmement intéressant. Et particulièrement les témoignages de Coco et de Riss qui sont d'une humanité désarmante?
Votre film est d'ailleurs bien plus qu'un hommage déchirant à des défenseurs acharnés de la liberté d'expression. C'est aussi un film dérangeant qui met en cause la presse française et peut-être même la société dans son ensemble qui a laissé seuls ces caricaturistes sur la ligne de front.
D.L : C'est l'héritage du premier film qui nous fait dire ça. Parce que moi je l'ai vécue en temps réel cette histoire. En 2007, Charlie hebdo est assigné en justice par les organisations islamiques et déclenche un débat intellectuel comme il n'y en a pas eu depuis très longtemps. L'esprit français, la drôlerie, le rire, les arguments philosophiques? Tout était une sorte d'épure qui aurait du être saisie par tous les Républicains car l'argumentaire développé par Charlie pour se défendre contre l'interdiction au blasphème était à la gloire de la République. Il donnait à tous un kit de réponses sur la question de la laïcité. Quand avez ça, que la justice française donne raison à Charlie, que l'Islam de France est débouté au motif que Charlie a participé à un débat d'intérêt général, normalement tout devrait s'arrêter. Ben, non. Bedos, les autres, ils s'y sont tous mis. C'était Charlie qui était raciste, islamophobe. Quand le journal a brûlé, c'était « vous l'avez bien cherché ». Mais on n'entend plus ça. Ils n'osent plus rien dire après ce qui s'est passé. Mais qu'aura-t-il fallu attendre ? La mort de 130 gamins. Ça me rend dingue
On sent en effet une véritable colère dans votre film?
D.L : Bien sûr, car ça sert à quoi le métier qu'on fait? Que veut dire cette désinvolture ? A quoi servent ces gens ? Que font-ils sur l'espace public ? Vous savez Elisabeth Badinter dit une chose incroyable dans le film, elle dit « Si les gens qui ont accès à la parole publique ne prennent pas leur part de risque, alors les barbares ont gagné. » C'est une façon soft de dire à ces journalistes, à ces intellectuels « Vous avez trahi. »
E.L : Il y a cependant une vraie distinction à faire entre les intermédiaires et la société. Le peuple français, lui, ne s'est pas trompé. Emotionnellement, c'était clair. Au-delà de Charlie, au-delà des juifs, au-delà des flics, il s'est senti attaqué. Et il a voulu manifester sa rébellion et son soutien. Il s'est passé quelque chose d'historique le 11 janvier avec tous ces gens qui sont descendus dans la rue. Et je pense que c'est ça dont il faut se souvenir, et non des agitateurs qui ont essayé de changer la perception de l'évènement.
Propos recueillis par Florence Morin (www.lepetitjournal.com/hong-kong) mercredi 16 décembre 2015
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