

Les élections fédérales de l'an dernier ont placé la politique d'accueil des réfugiés au centre des négociations pour tenter de créer la coalition à la tête du gouvernement, tandis que 2018 assiste à une Allemagne divisée, où l'extrême droite ne cesse de prospérer. Mais avant d’être un terrain politique sur lequel s’entendre, l’immigration est une question de personnes. Pendant ce temps, ils sont des dizaines de milliers à bénéficier depuis maintenant trois ans du programme d'intégration proposé par l'Allemagne. Comment s'est passée cette intégration pour certains d'entre eux ? Pour le savoir, lepetitjournal.com/heidelberg-mannheim est allé à la rencontre de deux jeunes Syriens, arrivés en 2015 et 2016 : Abdlukader Daieh et Mohammad Othman. Ils nous ont raconté le chemin parcouru, de la Syrie à l’Allemagne, et leur installation dans la région du Bade-Wurtemberg.
Benjamin-Franklin, le camp d’accueil de migrants à Mannheim
Dans la ville de Mannheim, une ancienne base militaire américaine a été réaménagée pour accueillir des migrants. Mohammad Othman, 24 ans, migrant syrien, y a travaillé peu de temps après son arrivée en Allemagne en 2015. « Je n'ai jamais été au chômage » affirme-t-il fièrement. D’abord engagé par l’État pendant cinq mois, il s’occupe de faire des traductions auprès des personnes qui en ont besoin, pour les papiers administratifs notamment. Puis le gouvernement commence à relocaliser des migrants. Il y a de moins en moins de personnes dans le camp de Benjamin-Franklin. Des postes subventionnés par l’État sont supprimés. Après avoir été renvoyé par le gouvernement, Mohammad Othman reçoit une proposition de la Croix-Rouge : un contrat à temps plein, pour sa connaissance des langues (il a appris l’allemand et l’anglais par lui-même et se situe à un niveau B1 en français) et de l’informatique. « La Croix-Rouge nous donne une chance », souligne-t-il. Il y a 50 à 70 personnes qui travaillent pour eux, dans quatre départements différents. Il a pu intégrer les services administratifs où il a été responsable des infrastructures pendant deux ans et neuf mois. Dans une semaine, il va travailler à temps partiel pour Spinelli, qui gère une autre ancienne base militaire à Mannheim où sont hébergés des réfugiés.
Mohammad a lui-même vécu à Benjamin-Franklin pendant trois mois à son arrivée en Allemagne. Au camp, il n’y avait qu’un lit dans la chambre. Les toilettes étaient dehors, ainsi que la douche, froide. « Je m’en fichais, pour moi c’était comme du camping, assure Mohammad. J’ai pris la décision de venir en Allemagne, je ne peux pas me plaindre. » Quand il a passé la frontière allemande, son projet était de rejoindre sa sœur à Stuttgart. Il s’est donc rendu à Karlsruhe, au bureau de l’immigration. Il devait rester là-bas pour une nuit, « pour la procédure », lui a-t-on dit. Pendant cette nuit-là, lui et d’autres ont été envoyés à Benjamin-Franklin. On leur a dit que c’était pour des contrôles médicaux. En sortant du bus, à Mannheim, il s’est occupé de la traduction. C’est ce qu’il a continué de faire pour aider d'autres réfugiés comme lui pendant de nombreux mois.
L’Allemagne, un des meilleurs pays pour commencer une vie
Mohammad Othman a choisi, en fuyant la Syrie avec sa mère Noha Rabah, de venir en Allemagne pour la qualité et la gratuité des études. « C’est facile de trouver du travail ensuite, enchaîne-t-il. Et pour être franc, c’est le meilleur pays pour commencer une vie. Je veux construire ma vie ici, j’ai déjà tout perdu là-bas. » Il a fait beaucoup de recherches avant de décider où il irait en quittant son pays. « J’avais le sentiment que ce serait une histoire à succès, ici », ajoute-t-il. Toujours souriant, blagueur, Mohammad Othman met en avant toutes les possibilités qui existent en Allemagne : « Il y a plein de choses à faire dans ce pays. »
Abdulkader Daieh, 26 ans, est depuis deux ans et demi en Allemagne (officiellement depuis le 21 juin 2016). Lui aussi voit ce pays comme le plus accueillant, en Europe en tout cas. Originaire d’Alep, il a obtenu le statut de réfugié, a réussi à trouver un appartement à Mannheim, où il vit seul. Etudiant en pharmacie pendant 5 ans à Alep, il a travaillé dans le laboratoire d'un hôpital avant de fuir son pays. Stagiaire en pharmacie à la « Löwenapotheke » de Mannheim pendant 6 mois, il a fait le nécessaire pour obtenir une équivalence du diplôme qu’il a obtenu à Alep à l'âge de 23 ans. A partir du 20 septembre 2017, il a été autorisé à exercer « sous surveillance » en tant que pharmacien. Depuis le 20 septembre 2018, grâce à l'obtention d'un premier certificat d’allemand médical de niveau C1 obtenu en janvier 2018 puis d'un second certificat de connaissances toujours de niveau C1 obtenu en septembre, il est dorénavant autorisé à exercer comme pharmacien en Allemagne sans la présence d'un confrère ou tuteur. La bureaucratie est un problème. Et pas seulement une fois arrivé en Allemagne. Il nous confie : « Ce qui cloche, c’est qu’il est très dangereux de traverser les frontières, et surtout la Méditerranée, mais c’est plus facile que de demander le visa depuis l’ambassade allemande en Syrie ou au Liban. Il fallait attendre un an ! »

Le statut de réfugié
Quand il est arrivé en Allemagne, Abdulkader Daieh a obtenu l’aide de l’association « Nice to meet you », dont il fait aujourd’hui partie. L’association l’a aidé à faire les nombreux papiers demandés pour obtenir le statut de réfugié. Même si depuis plus de deux ans il apprend l’allemand et que son niveau est plutôt bon, il continue d’aller voir l’administration avec un ami de l’association « Nice to meet you », car les personnes à qui il faut s’adresser au sein de l'administration exigent que les échanges se fassent en allemand, et le vocabulaire bureaucratique peut parfois être assez hermétique.
Abdulkader Daieh explique que l'obtention du niveau C1 en allemand médical et d'un contrat de travail lui ont permis d'avoir un visa pour trois ans. Son statut de réfugié lui offre des garanties : son logement et la sécurité sociale sont pris en charge par l’État qui lui verse aussi une indemnité de 405 euros.
Mohammad Othman confirme, le statut de réfugié est bien pensé : « Quand tu l’as, l’État est responsable de toi. » Lui n’a pas le statut de réfugié, qui est le plus protecteur. Il a obtenu un statut de protection, qui dure un an et peut être renouvelé. Selon lui, c’est parce qu’il vient de Damas, et pas d’Alep. Le terme était en septembre 2017. Il a fait les démarches pour obtenir un permis de travail de deux ans, au terme duquel il pourra demander un permis de travail illimité. « Depuis que je suis ici, j’ai un travail, note-il. Mais en réalité, je suis venu pour étudier. ». En Syrie, il étudiait le design, mais aujourd’hui tout l’intéresse, il ne sait pas encore à 100 % vers quelle branche se tourner pour ses études, design ou économie.
Mohammad vit actuellement dans un appartement avec trois Allemands et un Espagnol. « Je suis plus qu’heureux ici », lâche-t-il dans un sourire. Mais avant de retourner sur les bancs de l’université, il veut parfaire son niveau d’allemand, passer le permis et mettre de l’argent de côté en prévision de ses études. Car à ce moment-là il ne pourra plus travailler autant. En tant que battant et en homme plein de vie, il se fixe des objectifs : en décembre 2018 il passera son test d'allemand de niveau C1 et avril 2019 sera probablement sa rentrée universitaire.
Abdulkader prévoit sur le long terme : « Je veux rester en Allemagne. Je pourrais demander la nationalité après avoir vécu six ans ici. Je le ferai. »
Maëva Gros (www.lepetitjournal.com/heidelberg-mannheim), mardi 2 octobre 2018
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