Philippe Adam, Français originaire de Paris, vit en Allemagne depuis 1986 et exerce un métier peu ordinaire, celui de "Solorepetiitor" ou chef de chant au Théâtre national de Mannheim.
Pianiste de formation et diplômé du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, Philippe Adam est passionné de musique et de théâtre et a déjà travaillé dans six villes allemandes au cours de sa carrière. Nous l'avons rencontré au Théâtre national de Mannheim, où il travaille depuis 2006 et se sent ''chez lui'', et dont il nous a fait visiter les coulisses et son studio de travail. C'est dans ce studio justement qu'il reçoit les chanteurs du Théâtre national pour les faire répéter et les accompagner à l'aide de son piano. Si Philippe Adam exerce un métier peu ordinaire, il a également fait le choix d'une carrière singulière en s'installant en Allemagne à l'âge de 27 ans, en commençant par Heidelberg. Un choix en parfait accord avec ses attentes personnelles et professionnelles, qu'il va nous expliquer lors de cette rencontre.
Lepetitjournal.com/heidelberg-mannheim : pouvez-vous nous parler votre métier de ''Solorepetitor", ou chef de chant en français ?
Philippe Adam : en tant que chef de chant, je suis en fait chargé d'aider le chanteur à l'aide de mon piano à la préparation de son oeuvre musicale. J'ai un rôle d'accompagnateur et de préparateur, je suis un peu comme un coach sportif, un entraîneur ! Je guide le chanteur dans son travail de répétition, puis de mémorisation et enfin de mise en scène. Une fois ce travail terminé, c'est alors l'orchestre qui remplace le piano. A partir de là, je deviens assistant de la direction musicale : je suis alors assis derrière le chef d'orchestre pour noter les décalages et les corrections qu'il pourrait y avoir à faire.
Comment en êtes-vous arrivé à exercer ce métier?
J'ai étudié dix ans au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, où j'y ai effectué une formation générale en piano, mon instrument de base. Il a fallu ensuite que j'opte pour une formation professionnelle. J'avais le choix entre une carrière de soliste, qui me semblait toutefois très difficile d'accès car seuls les plus doués et les plus prometteurs avaient une chance d'y accéder, ou une carrière d'accompagnement. Comme j'avais quelques amis chanteurs que j'accompagnais à cette époque et que cela me plaisait, j'ai opté pour cette voie qui réclame selon moi un autre état d'esprit. A la fin de mes études dans ce cursus d'accompagnement, mon professeur m'a fait part d'une annonce de recrutement pour un accompagnateur à l'Opéra de Lyon. J'ai passé alors le concours d'accès, et j'ai été pris, démarrant ainsi ma carrière comme accompagnateur pour l'Opéra de Lyon.
Comment s'organise une journée type au Théâtre?
La vie au théâtre est très particulière et nous avons un rythme de travail peu commun. Je passe mes journées entières au théâtre : j'ai des répétitions le matin de 10 heures à 13-14 heures, puis une autre le soir de 18 heures à 20 heures voire beaucoup plus tard. Si l'oeuvre est longue par exemple, cela peut durer jusqu'à minuit ! Et entre ces deux phases, je reste au théâtre pour travailler. Nous vivons pour le théâtre. Cela est éprouvant, et peut parfois affecter la vie de famille.
Êtes-vous le seul Français à travailler au Théâtre national de Mannheim ?
Non, il y a actuellement une chanteuse française. La vie du théâtre est très internationale, toutes les nationalités se mélangent. Nous communiquons souvent en anglais justement car il y a énormément de chanteurs internationaux : Américains, Japonais, Coréens, Russes... et quelques Allemands, quand même ! Nous sommes plus de 1000 personnes à y travailler en comptant tout le personnel.
Pour quelles raisons avez-vous décidé de partir travailler en Allemagne?
A la fin de ma mission à Lyon, j'avais envie de partir et de tenter une autre expérience en dehors de la France. Le système culturel allemand me plaisait beaucoup et était très différent du système culturel français à l'époque. C'était dans les années 80, lorsque la culture avait une position très élitaire en France et était peu tournée vers le public, même si cela a progressivement changé avec l'arrivée de Mitterrand au pouvoir. Je me suis alors tourné vers l'Allemagne, où l'implication de la culture dans la société n'était pas du tout la même. A cette époque (en 1986) la culture était véritablement à disposition de tout public. Chaque ville, même de taille réduite, avait son théâtre et on comptait plus de 80 orchestres dans toute l'Allemagne alors qu'il y en avait dix fois moins en France ! C'est cela qui m'a plu.
Le système des théâtres en Allemagne m'a également motivé à partir : dans les théâtres et les opéras allemands, on pratiquait (et on pratique toujours) ce qu'on appelle "le système du répertoire", c'est-à-dire qu'une même oeuvre est proposée au public en alternance au cours de la saison. Ce système de roulement, de "brassage", m'attirait beaucoup. A l'inverse en France, le système proposé est un système ''en suite'', c'est-à-dire qu'une même pièce est présentée dix fois d'affilée sur une même période et on ne peut pas la revoir le reste de l'année. J'ai voulu quitter ce système qui me plaisait beaucoup moins à l'époque.
Comment avez-vous vécu votre expatriation ?
Je suis arrivé pour la première fois en Allemagne en 1986, pour travailler au théâtre d'Heidelberg. J'avais 27 ans. Cela a été un choc au début, surtout à cause des températures ! C'était au mois de décembre, et j'ai le souvenir d'un froid glacial. L'autre choc a été dans le cadre de mon travail. J'ai tout de suite été projeté dans cet esprit du théâtre, totalement différent de l'esprit français. Je me suis senti d'un coup dépersonnalisé. J'avais l'impression de n'être qu'un maillon de la chaîne théâtrale car la production des oeuvres, organisée autour du ''système de répertoire'', ne laissait que très peu de place en réalité pour l'expression personnelle. A l'inverse en France, le travail permettait une approche beaucoup plus personnalisée de l'oeuvre et j'avais l'habitude d'y rester attaché jusqu'à sa production, et ce de manière exclusive.
Il m'a fallu finalement six mois pour m'habituer à ce grand changement, au terme desquels j'ai fini par m'acclimater. J'ai finalement bien assimilé ce nouveau système, et j'ai eu envie de rester en Allemagne.
Vous avez vécu maintenant une grande majorité de votre vie en Allemagne. Vous considérez-vous davantage allemand ou français?
Je dirais ni l'un ni l'autre. Je me définis comme européen. Je suis un partisan de l'Europe, et je baigne quotidiennement dans la culture européenne. Dans le cadre de mon travail par exemple, je suis amené à parler différentes langues européennes et je travaille sur un répertoire presque exclusivement européen, les ouvrages majeurs sont italiens, allemands, français, russes et parfois anglais et slaves. Nous n'avons pas d'opéras chinois ou américains à part George Gershwin ou Leonard Bernstein. Le creuset est essentiellement européen.
Et vous sentez-vous en manque de repères lorsque vous rentrez en France ?
Non, pas spécialement. Pourtant, lorsque je reviens en France, j'ai le sentiment d'y revenir non pas comme étranger mais plutôt comme visiteur, même à Paris qui est pourtant ma ville natale. Je n'ai ni aprioris, ni attentes particulières. Rien ne me surprend pour autant ni me déstabilise. Je passe tous mes étés à Paris, où j'y ai encore ma famille, mais la France ne me manque pas plus que cela.
Quels sont vos projets pour la suite ? Pensez-vous finir vos jours en Allemagne?
Tout va dépendre de mes projets de retraité, et surtout de mon suivi ou non d'activité musicale qui est encore incertain. J'aimerais bien être toujours en activité dans le cadre de concerts ou d'enseignement pédagogique, et auquel cas je resterais volontiers à Mannheim. Sinon, j'envisagerais peut-être de rompre les ponts avec mon pays d'accueil pour me ressourcer dans notre Mère-Patrie, sans doute dans ma ville natale à Paris...
Interview réalisée par Elise T. (www.lepetitjournal.com/heidelberg-mannheim), lundi 6 août 2018
Rediffusion du mardi 14 février 2017
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