Bernard Vaussion, ex-chef des cuisines du palais de l'Elysée, au service des présidents pendant 40 ans, de Georges Pompidou à François Hollande, a accordé une interview des plus alléchantes à lepetitjournal.com/francfort avant de passer derrière les fourneaux de l'hôtel Mercure Neu-Isenburg dirigé par le Français, Patrick Eickoff.
(Photo Valérie Keyser Lepetitjournal.com/francfort)
Auteur entre autres de l'ouvrage "Au service du Palais", un recueil d'anecdotes croustillantes et de caprices politico-culinaires, à dévorer sans modération, Bernard Vaussion est venu à Francfort vendredi 11 décembre, accompagné de son épouse Evelyne, pour préparer la soirée de gala de fin d'année du Club des Affaires de la Hesse (CAH). Orchestrée par Robert Koschitz et Aymeric de la Fouchardière, vice-présidents du CAH, la soirée devait réunir environ 80 personnes dont Sophie Laszlo, consule générale de France à Francfort, Franck Ristori, consul général adjoint et de nombreux acteurs de la scène économique régionale.
Né en 1953 à Orléans, Bernard Vaussion a d'abord commencé sa carrière chez un pâtissier comme apprenti à l'âge de 14 ans à La Ferté-Saint-Aubin avant de se diriger vers la restauration et d'intégrer en 1974 les cuisines de l'Elysée où il exercera pendant 40 ans avant de céder la place à Guillaume Gomez, son second.
Entretien avec celui qui aura fait le plus long mandat à l'Elysée !
Lepetitjournal.com/francfort : comment êtes-vous arrivé dans les cuisines du Palais de l'Elysée ?
Bernard Vaussion : j'ai d'abord travaillé à l'ambassade des Pays-Bas puis celle de Grande-Bretagne comme second. C'est le chef des cuisines de l'ambassade de Grande-Bretagne qui m'a recommandé au Palais de l'Elysée. L'Elysée cherchait en effet des appelés du contingent et j'ai pu effectuer de 1974 à 1975 mon service militaire en cuisine armé de fourchettes et de couteaux. Après mon service militaire, on m'a proposé de rester.
A quel moment êtes-vous passé au rang de chef des cuisines ?
Je n'ai pas été tout de suite chef des cuisines. Je suis passé par tous les échelons dans ce qu'on appelle la "brigade" composée de 25 cuisiniers pour 250 couverts par jour. J'ai aussi été commis de cuisine, demi-chef de partie, chef de partie, sous-chef? C'est Jacques Chirac qui m'a nommé chef des cuisines de l'Elysée en 2005. C'était un peu une consécration.
Vous avez cuisiné pour 6 présidents, Georges Pompidou, Valéry Giscard d'Estaing, François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande. Avez-vous dû adapter votre cuisine aux changements de mandats ?
J'avais une certaine marge de liberté dans le choix des plats. Je rencontrais le Chef d'Etat et son épouse en privé afin de pouvoir tenir compte de leurs goûts, leurs aversions, leurs allergies? Puis je leur proposais plusieurs menus respectant les saisons parmi lesquels ils devaient choisir. Si j'ai adapté ma cuisine en fonction des mandats, la cuisine elle-même a évolué. On n'utilise plus autant de sucre, moins de graisse, davantage de produits bios.
Les divergences politiques se reflétaient-elle dans les goûts culinaires des convives ?
La cuisine réunit, mais chacun a ses goûts propres indépendamment des orientations politiques. Ainsi François Mitterrand était un amateur de fruits de mer, Jacques Chirac aimait la bonne chère en général, la charcuterie, la choucroute, tandis que Valéry Giscard d'Estain privilégiait la cuisine moderne et Nicolas Sarkozy affichait un faible pour le chocolat mais n'aimait ni le fromage ni le vin?
Au moment de la crise économique, il y a-t-il eu des restrictions budgétaires ?
Nicolas Sarkozy, dès le début de son mandat en 2007 a imposé des restrictions budgétaires qui nous ont obligés dans la brigade à bien réfléchir en amont aux achats pour éviter les dépenses inutiles. Les repas ont été limités à 55 minutes et le plateau de fromages a été supprimé. Ce qui n'était pas du goût d'Angela Merkel qui apprécie beaucoup le fromage et pour qui il a été réintroduit lors de ses visites.
(Photo Valérie Keyser Lepetitjournal.com/francfort)
Lors des déjeuners ou dîners officiels en présence de personnalités politiques d'outre-Rhin, avez-vous introduit des plats allemands ou élaboré des recettes franco-allemandes ?
Non car même si nous essayions en général de faire un clin d'?il à la culture du pays reçu, nous devions garder un cadre français et promouvoir, de Willy Brandt à Angela Merkel, les différentes régions françaises à travers les produits du terroir.
Quels sont les produits que vous aimiez cuisiner et où vous approvisionniez-vous ?
Nous achetions les produits aux Halles de Rungis et aux commerçants de Paris. Personnellement, j'aime cuisiner la sole, le turbot, la volaille, le filet de veau et surtout les ?ufs sous toutes les formes. A l'Elysée, il fallait se renouveler sans cesse et l'?uf est un aliment formidable qui peut faire l'objet de nombreuses recettes.
Avez-vous déjà raté un plat ?
Oui, c'était un foie gras poêlé qui s'est littéralement désagrégé lors d'un repas avec François Mitterrand et le chanteur Charles Trenet. Nous avons dû improviser des côtes d'agneau à la place.
La cuisine est souvent un vecteur et facteur de rapprochement entre les hommes. Etiez-vous également le confident des personnalités politiques que vous côtoyiez ?
Je n'étais pas vraiment le confident (Rires). J'ai eu cependant des relations privilégiées lorsque j'accompagnais les présidents en vacances au Fort de Brégançon sur la Côte d'Azur, l'ambiance était assez conviviale et plus détendue qu'au palais de l'Elysée, ils passaient le matin en cuisine pour indiquer ce qu'ils souhaitaient pour le déjeuner ou le dîner mais ça s'arrêtait là.
Vous avez pris votre retraite en octobre 2013 et servi une dernière fois François Hollande. Comment occupez-vous votre temps libre aujourd'hui ? Cuisinez-vous encore ?
J'ai en effet préparé mon dernier repas pour François Hollande. Le président allemand, Joachim Gauck était également présent, c'était un moment très émouvant. Aujourd'hui, je suis président honoraire du Club des Chef des Chefs, l'association des cuisiniers de chefs d'État. J'écris, je jardine, je bricole et je cuisine un peu aussi. J'aime rencontrer les jeunes dans les écoles hôtelières et les centres d'apprentis. Je leur fais partager mon expérience et leur donne des conseils, tout en les mettant en garde car le métier de cuisinier est difficile et demande une très grande résistance au stress. Tout le monde n'accède pas au rang de chef cuisinier de l'Elysée ou même d'un grand restaurant. Par ailleurs, je vais m'occuper de la rubrique "Saveurs ? Origines Sologne" d'un magazine. Voyez, je n'ai pas le temps de m'ennuyer !
Interview réalisée par Valérie Keyser (www.lepetitjournal.com/francfort), mardi 15 décembre 2015
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