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EXPAT À PÉKIN - Ces Français qui ont choisi de vivre dans les hutongs

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Écrit par Le Petit Journal Shanghai
Publié le 8 janvier 2019, mis à jour le 4 juin 2019

13 Français résidents du district de Dongcheng qui aiment se qualifier de « hutongster » ont accepté de témoigner de leur vie au cœur de la cité historique de Pékin, dans ces ruelles étroites appelées hutong. Tous les profils sont représentés : célibataires, couples ou familles, arrivés en Chine depuis peu ou résidents « addicts » à la Chine.

Qu’ils soient hipsters, « bobo », surtout bohêmes ou tout simplement en quête d’authenticité et de mixité, ils ont dans leur ADN la curiosité, le désir d’indépendance vis-à- vis de la communauté expatriée, un attrait prononcé pour le contact humain, l’envie surtout de s’immerger parmi les Chinois et un certain goût du risque pour accepter de vivre dans des conditions matérielles parfois rustiques et avec des baux précaires. « L’insécurité juridique est une réalité, difficile de savoir si notre logement est construit légalement, beaucoup de casse autour de nous... peut être qu’un jour on viendra coller une affiche sur notre porte pour nous demander de partir sous 3 jours ».

Jusqu’en 2002, il restait interdit pour un étranger de résider dans un hutong. À présent, la tolérance de résidents étrangers fait partie de la dynamique de rénovation urbaine et sociale engagée par la municipalité.

 

Un écosystème en pleine mutation

Vestiges des dernières dynasties impériales, les hutongs sont au centre du processus de modernisation et d’urbanisation de la ville. Malgré leur très forte diminution, passant d’environ 5000 à moins de 1000 ruelles aujourd’hui, les moyens alloués par la municipalité pour leur restauration conformément au cadastre d’avant la révolution culturelle sont énormes.

Les résidents en parlent tous, les changements liés à ce programme de transformation de la ville sont visibles au quotidien, avec une très forte accélération depuis deux ans.
Il y a d’abord ce qui concerne le labyrinthe de ruelles et les habitats : « le rétablissement des façades des ruelles, le bricage des portes et fenêtres pour revenir au standard d’avant la révolution culturelle (1 porte et 1 fenêtre sur rue), la destruction de tout ce qui, depuis, avait été construit ou implanté hors norme par les occupants eux-mêmes (appentis, vérandas, rajout d’étage, ...) ».

C’est un immense chantier à ciel ouvert « depuis plus de 2 ans, avec tous les travaux qu’il y a, c’est du bruit toute la journée et même parfois la nuit. Je dors mal». « Le mois dernier, ils ont refait toutes les façades, les ouvriers de la municipalité décrépitent, recrépitent, et mettent des briques plates grises. Au passage, ils ont muré le voisin d’en face qui s’était ouvert une grande fenêtre sur la rue et une porte et aujourd’hui il lui reste une petite fenêtre ». À présent, c’est l’étape des tranchées, creusées partout pour enterrer les kilomètres de câbles électriques jusqu’ici enchevêtrés dehors.

Cette restauration passe aussi par un grand ménage : « Il y a 6 mois, ils ont demandé aux habitants de faire de l’ordre, de jeter tout ce qui était de bric et broc et un jour les gens en orange sont arrivés et ont tout embarqué (vélos rouillés, meubles et amas accumulés depuis des décennies...) ». « Plus aucun vieux tricycle pour garder les très convoitées places de voiture, remplacés par des bacs à fleurs. J’ai vu les voitures arriver il y a 15 ans et la guerre du parking se déclarer ; pour vingt familles, il y a 2 places de voiture ».

Puis il y a tout ce qui concerne la vie dans les quartiers : « Finie la cuisse d’agneau grillée au charbon de bois au coin de la rue ». Les restaurants, les bars, les marchés, les commerces ont été murés ou chassés, « la vendeuse de légumes et le petit resto du coin ont disparu du jour au lendemain, mon « xiaomaibu » (épicier local) a perdu sa porte ». Le petit commerce jusqu’alors très organisé apparaît fragilisé. Et le typique Fangjia Hutong n’est plus ce qu’il était. « Tout s’aseptise, c’est bientôt Disneyland, regardez ce que devient Nanluoguoxiang ».

Le bourdonnement d’activité se réduit : « On a longtemps vécu près d’une scierie avec un rabot électrique très bruyant et il y avait jusqu’en 2008 une fabrique de charbon à deux pas ». De nombreux métiers traditionnels sont en voie de disparition : les conducteurs de tricycles intra-muros qui accompagnaient les personnes d’un hutong à l’autre ou vers les grands axes pour prendre un métro ou un taxi, les éleveurs de pigeons, les rémouleurs, les cordonniers, les marchands ambulants, le petit blanchisseur, le repriseur de vêtement, le coiffeur de rue et le ramasseur de cheveux. « Il y avait aussi près de chez nous un réparateur d’électroménager, il s’est fait supprimer son établi ».

Tous ces changements radicaux défigurent le vieux Pekin, « il y a beaucoup moins de vie dans les ruelles, mais petit à petit, chacun remet son pot de fleurs, sa chaise, sa table dehors. Chaque centimètre carré est précieux». « Nous Français sommes attachés à ce côté foutoir, à l’entropie... Mais on ne va pas se plaindre de la marée qui monte, les hutongs ne sont pas pour nous au départ. Donc ce qui s’améliore est sans doute aussi bon pour les Chinois. On ne va pas laisser l’insalubrité pour le plaisir des yeux des Français... ».

 

Qui vit dans les hutongs ?

Sans avoir de chiffre sur la population ou même sur la densité de population des hutongs, à partir seulement de la perception de ceux qui y vivent et qui évoquent souvent cet important brassage de catégories socio-professionnelles, on peut d’ores et déjà affirmer que les hutongs sont une maison de retraite à ciel ouvert. Beaucoup de personnes sont âgées, vivent là depuis très longtemps. « Les Pékinois comparent leur ancienneté, c’est à celui qui vivra le plus longtemps », « on avait près de notre maison un vieux Chinois qui passait ses journées sur un tabouret avec son gros chien à regarder passer les gens ». « J’ai le souvenir d’une de mes voisines, une vieille dame qui avait une tortue énorme et qui la faisait marcher l’après-midi dans la cour. Cette dame a 95 ans maintenant. On la sort en fauteuil-roulant dès qu’il faut beau, elle n’a plus sa tortue. On se serre la main à chaque fois, c’est très émouvant ».

Et puis au sein d’un même hutong, les contrastes sont nombreux. « Il y a des travailleurs migrants, certes de moins en moins car leurs dortoirs insalubres ont été détruits, des familles de milieu social moyen, des militaires, des hauts fonctionnaires, et des gens très riches qui vivent dans 2000m2, dans de larges demeures avec de grandes portes de garage électriques et des caméras ».

 

Heizhima Hutong Pekin

 

Ce microcosme n’échappe pas non plus à sa surveillance permanente, garante aussi de sa sécurité de quartier plébiscitée, peut-être plus visible encore ici qu’ailleurs : « Partout, toujours des volontaires pour veiller au maintien de l’ordre dans le quartier, avec des brassards rouges... ou la sécurité civile en noir « Bao An » ou plus loin le commissariat de police, sans compter toutes les caméras ».

Cette population chinoise locale est assez sédentaire dans sa vie quotidienne : « Notre ancienne voisine sortait une fois par an du bloc, son mari une fois par semaine pour aller à la piscine, car ils pouvaient tout faire sans sortir des hutongs. Leur territoire géographique est très limité mais leurs connaissances personnelles peuvent par contre aller très loin ».

Et puis il y a cette minorité d’étrangers courageux et curieux qui font le choix dès leur arrivée à Pékin de se fondre dans la ville ancienne à un étage, sans même parfois passer d’abord par la vie en appartement dans une tour de Chaoyang ou d’ailleurs.

 

Vie de quartier, vie de village

L’accueil des «laowai» dans le hutong n’est pas toujours chaleureux, «on n’est pas complétement bienvenu mais on est toléré, le sourire peut parfois mettre des années à venir. Au pire c’est de l’indifférence, au mieux de la curiosité ».Avec le temps, une fois mieux acceptés,, ils relèvent tous ce phénomène de vie communautaire, « l’impression de faire partie d’une très grande famille car on se connaît tous, et en notre absence ils s’occupent de tout, comme dans un village». Ils se rendent service entre voisins, beaucoup de bienveillance les entoure et « tout le monde veille et se surveille ». A contrario, « cette proximité de voisinage peut déranger, tout le monde est au courant de tout, de qui vient chez moi, c’est assez intrusif ». La frontière entre vie privée et publique est parfois mise à rude épreuve.

Néanmoins, les exemples de solidarité et d’entraide ne manquent pas. « L’an dernier, le voisin qui a aujourd’hui 20 ans et que j’ai connu quand il avait 7 ans m’a proposé une opportunité pour jouer dans un concert. Et tout le voisinage est venu me voir jouer». « Il y a un couple près de chez moi, elle tient l’épicerie, lui va travailler. Ils n’ont pas d’enfant. Elle m’aide à faire plein de choses, comme acheter sur Taobao. Et je lui fais le marketing de son épicerie en lui recommandant des produits à approvisionner, cela me rend service car j’ai tout à portée de main et elle vend plus et mieux. Et depuis 2 ans, elle se met à l’anglais ».

Un autre comportement typique du voisin chinois surprend. C’est son intérêt pour l’argent : « Ils sont toujours très curieux de savoir combien on paie notre loyer ». Et pour ceux qui rénovent leur habitat « dès qu’on fait des travaux, on a plein de questions, tout le monde rentre pour voir ce qu’on fait, comment on le fait, demande combien on paie... ».

 

hutong expatriés Pékin

 

Et comme dans les villages, les conflits de voisinage sont fréquents : « Le grattage de surface pour élargir son territoire nécessite vigilance. Chaque centimètre vaut de l’or ! ».
Dans cet espace très confiné, adieu fiesta et hutong party, la règle est silence après 22h. Sans compter que les murs ont des oreilles, scènes de ménage et colères familiales prohibées ou partagées ! Les odeurs peuvent aussi être partagées, surtout quand on vit proche de toilettes publiques. Néanmoins même s’ils sont parfois bruyants, les ramasseurs d’ordures passent quatre fois par jour, les hutongs sonttoujours propres.

Les hutongs, c’est aussi comme un village classé, il n’y a pas que des riverains, les touristes sont nombreux, par horde, surtout dans l’axe Gulou-Behai ; « parfois on ne peut pas sortir de chez nous, il y en a toujours qui posent devant notre porte ».

 

Petites scènes de la vie quotidienne

« En mettant des gravillons dans notre cour on ne pensait pas que cela deviendrait un jour une litière géante pour tous les chats du quartier. »

« Comme notre rue a des toilettes publiques, nos voisins circulent en pyjamas, le matin chacun avec son petit seau qu’il va vider. Le soir, les femmes vont à la douche avec leur panier savon-shampoing ou en sortent avec la serviette sur les cheveux, c’est comme au camping. »

« Quand il y a du vent, tout le monde balaie ; quand il fait beau, tout le monde lave son linge, ses grosses couvertures et les fait sécher dehors. »

« Un jour une petite fille rentre chez nous en criant dans notre salon, elle hurlait de peur en fait, elle cherchait la fille des voisins et s’était trompée de maison. Les enfants se perdent dans le dédale»

« L’îlotière du quartier est une marieuse. Elle le peut car elle sait précisément ce qui se passe dans chaque logis. »

« Derrière le mur mitoyen au nôtre se trouve une petite garderie pour enfants qui assure 7j/7 l’aide aux devoirs, et le dîner pour les enfants dont les parents travaillent tard. Un symbole de solidarité. Certains enfants sont très bien élevés, d’autres presque à l’état sauvage car complètement livrés à eux-mêmes, avec des parents qu’ils ne voient jamais, et tout ça dans la même rue. »

 

L’habitat

La surface moyenne des locations des Français interviewés est de 70m2 avec un loyer mensuel au m2 allant de 15 à 250 rmb, soit de 2 à 35 euros le m2 environ.

Ceux qui ont les moyens peuvent louer une maison traditionnelle de charme dite Siheyuan, pas toujours facile d’accès : une cour carrée comptant souvent un arbre fruitier (grenadier, kaki, abricotier) en son centre, emmurée de 4 pavillons ou pièces indépendantes, autrefois distribuées et attribuées selon le rang et la hiérarchie au sein de la famille, et avec les toilettes en dehors. Aujourd’hui, ces Siheyuan ont souvent été rénovées, salle d’eau et toilettes à l’intérieur, pièces reliées, chauffage au sol, rooftop, et avec des exigences de Fengshui souvent respectées.

Pour les budgets plus modestes, il peut s’agir d’une ou plusieurs pièces d’un seul tenant ou sur un ou plusieurs niveaux. On y rentre par une porte qui donne sur la rue, il faut ensuite s’enfoncer dans un dédale étroit respirant l’entropie avant d’arriver à la porte de l’habitation, elle-même entourée d’autres portes donnant accès à d’autres habitations. Tout est mitoyen. « Quand je suis arrivée à Pékin il y a 16 ans, le chauffage était au charbon, j’ai manqué m’asphyxier. J’ai acheté un détecteur de monoxyde de carbone. Il sonnait tout le temps...

 

Si he yuan Beijing


En 2008, au moment des JO, la municipalité a distribué des radiateurs électriques à pierres réfractaires. Mes hivers ont radicalement changé ». Des nuisances ? « J’apprends à vivre avec, je les aime autant qu’elles me dérangent, cela fait partie du cadre. Il fait un peu froid, le chauffage électrique est très onéreux. Et quand il pleut, il peut pleuvoir dans ma chambre ».

 

Les propriétaires

Ils les connaissent ou alors ne les ont jamais vus, ils sont le plus souvent Chinois, même Pékinois, et résident parfois à l’étranger. « Je réside dans cette cour qui était anciennement une petite entreprise d’électricité de l’État qui attribuait des logements aux employés quand ils se mariaient. Je vois mon propriétaire deux fois par an pour payer le loyer. Il n’y a eu aucune rénovation depuis 13 ans. Ce logement lui appartient, c’est une donation de l’Etat. Il y en a d’autres qui sont locataires de l’État, et dans ce cas la location s’avère plus précaire car on est sous-locataire ».

 

Nature, authenticité et calme

C’est l’une des motivations qui revient le plus chez les résidents français, vivre à même le sol : « J’ai été élevée dans une ferme, poser chaque jour le pied par terre m’est essentiel, je me sens proche de la nature » ou « On discerne bien les quatre saisons, les oiseaux nous réveillent, on entend le vent, on voit les feuilles, on sent la pluie et le froid». Et il n’y a pas que des hommes dans les hutongs, les animaux ont aussi leur place : furets, fouines, visons de Sibérie, souris, chats sauvages, limaces etc.

Ce que les résidents aiment tous aussi, c’est ce « pouvoir vivre dehors ». Il y a aussi « cette simplicité de la vie qui a disparu des villes », tant dans le confort que dans le quotidien et les relations : « On ne va jamais dans un supermarché, on peut tout faire à pied ou à vélo, on peut vivre avec tout sans sortir du 2e périphérique », et puis « ce côté village médiéval avec en même temps le plus moderne, le téléphone, internet », avec « les enfants qui jouent dehors, on peut manger dans la rue».

Zhuzhong hutong

 

Même si les temps changent, cette ambiance de village existe encore : « Moi qui déteste l’anonymat, je vis ici au contact des gens qui sortent dans la rue, papotent, jouent », « ils me considèrent comme l’un des leurs, je ne me sens pas jugé ». Cette dimension humaine, tous ces enfants, « voir les mêmes têtes quand on rentre le soir » a un côté rassurant. « Je fais partie de la rue. C’est notre rue, on l’investit ensemble. Je retrouve le soir les ouvriers, on boit ensemble. Nos habitations sont rudimentaires. Je sais que je pourrais me retrouver dans des photos de hutongs pour carte postale. Chacun met ses objets dans la rue pour redonner vie. La même rue en France pourrait apparaître comme un coupe gorge, alors qu’ici c’est le grand calme, je rentre dans un autre monde, je vis la porte ouverte la plupart du temps ». Beaucoup disent effectivement laisser leur porte ouverte dans la journée.

Autres avantages de cette vie d’exception, être « à l’abri de la pollution sonore et lumineuse » : le calme des hutongs est exceptionnel, « ce silence qui règne notamment la nuit, et sans éclairage urbain ». Bref, « une maison dans la ville au centre de la ville, dans une ville où la surface est si chère, c’est un privilège. Parfois j’oublie que je vis dans une mégapole ». Si c’est certes une chance de pouvoir y vivre, cela reste surtout un choix, celui de «se projeter dans l’ambiance de la Chine traditionnelle et de vivre la Chine de l’intérieur ».

Article écrit par Anne-Sophie Jouan-Gros

 

Le Petit Journal Shanghai
Publié le 8 janvier 2019, mis à jour le 4 juin 2019

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