Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--
  • 0
  • 0

ENTRETIEN - Mme Helaili-Chapuis recoit la médaille d'honneur du sénat

médailleOrmédailleOr
Écrit par Lepetitjournal Dublin
Publié le 29 avril 2019, mis à jour le 29 avril 2019

Laurence Helaili-Chapuis est conseillère consulaire en Irlande et assume ainsi le lien avec ses collègues entre les Français expatriés et leur ambassade.

Mais dans cet entretien, Laurence se livre plus particulièrement sur son engagement auprès des femmes françaises en Irlande avant et après le referendum de mai 2018 qui avait vu les Irlandais approuver à une grande majorité (66%) la libéralisation de l'avortement. Ce vote représentait et représente toujours un séisme culturel dans cette petite république de 4,7 millions d'habitants, trois ans après la légalisation du mariage homosexuel.

Le 13 mars 2019 à Paris, Annick Billon, Présidente de la délégation au droit des femmes au Sénat, lui a remis la médaille d'honneur du Sénat. Cette médaille récompense et honore son travail en faveur des françaises en Irlande en situation de détresse, avant que le 8ème amendement soit abrogé, suite au référendum.

Lepetitjournal.com: Comment votre engagement en faveur des femmes à commencé?

Laurence Helaili-Chapuis: J'ai été maman très jeune et la naissance de mes fils a été la plus grande réussite de ma vie entière. Je voudrais que chaque naissance soit dans chaque famille source de bonheur, de joie, d'accomplissement. Il y a 9 ans je créait avec l'aide de mon époux la première communauté francophone de soutien aux mères isolées. Aujourd'hui, plus de 10500 femmes (veuves, divorcées ou seules) suivent cette communauté sur les réseaux sociaux et nous avons jusqu'à 5000 visiteurs uniques/jour.

En 2015, j'étais élue depuis moins d’un an et je venais d'accoucher de mon dernier fils quand mon téléphone a sonné. A l'autre bout du fil, l'une de nos ressortissantes nouvellement arrivée en Irlande en famille. Situation classique: un mari qui travaille dans une entreprise IT et qui doit partir en déplacement régulièrement, deux enfants. Elle m'explique très émue qu'elle a fait une fausse couche et que son mari est aux USA pour la semaine. Elle savait que l'avortement était une infraction pénale en Irlande, passible d'une peine de quatorze ans d'emprisonnement.

À peine installée en Irlande, elle n'a pas osé se rendre chez le médecin ou à l'hôpital de crainte que son mauvais niveau d'anglais la conduirait à être incomprise et soupçonnée d'avoir tenté un avortement illégal en Irlande. Elle a donc pensé qu'il serait préférable de rester seule avec ses jeunes enfants pendant 48 heures jusqu'à ce que son mari revienne. Seulement elle était complètement paniquée et craignait se faire une hémorragie.

Son hésitation à appeler un médecin, même en cas de fausse couche spontanée, illustre la peur, la confusion et l'abandon ressentis par les femmes en Irlande. Cette personne était consciente des restrictions imposées aux femmes en Irlande et sa vulnérabilité en tant que nouvelle résidente avec de faibles compétences en anglais l'a amenée à se sentir effrayée, seule et confuse à un moment où ordinairement elle n'aurait jamais hésité à demander de l'aide.

Elle finira par me rappeler en pleurs et à bout de nerfs une heure avant le retour effectif de son mari pour me demander de l'aider à rentrer en France. Je l'ai rassurée comme je le pouvais et je l’ai emmenée voir un docteur en Irlande qui m’expliquera quelles sont les conséquences du 8ème amendement sur les femmes en Irlande.


Est-ce que d'autres françaises ont rencontré des problèmes suite au 8ème amendement en Irlande?


Depuis 2015, j'ai été extrêmement préoccupée par les conséquences négatives de la position de l'Irlande sur l'avortement pour les femmes françaises vivant en Irlande.

J'ai reçu des témoignages de première main sur la façon dont les femmes françaises vivant en Irlande ont été touchées par la législation irlandaise sur l'avortement. J'ai pris le temps de rencontrer chacune et j'ai essayé de leur apporter soutien, aide logistique et matériel. Pour certaines qui souffraient de réelles difficultés médicales, aucune assurance privée ne voulait prendre le risque de les rapatrier.

J’ai rencontré par exemple, une femme française qui a eu une grossesse non planifiée en utilisant un dispositif intra-utérin comme contraception. Le DIU a échoué et lorsque la femme a consulté un médecin pour faire retirer l'appareil, le médecin a refusé d'en effectuer le retrait au cas où cela provoquerait une fausse couche. La femme a ensuite tenté de retirer le DIU sans surveillance médicale.

J’ai aussi rencontré l’une de nos ressortissantes dont le fœtus qu'elle portait avait une anomalie mortelle, souffrait in-utero, et ne survivrait pas en dehors de l'utérus. Elle n'a eu d'autre choix que de poursuivre la grossesse. Lorsque le fœtus est mort dans l'utérus après 7 mois, elle était extrêmement angoissée et a énormément souffert psychologiquement.

 L'une de mes proches amies, atteinte d'un syndrome de Turner léger et enceinte suite à un double don et a du renoncer à poursuivre sa grossesse en Irlande, sur le conseil de médecins irlandais. Elle a du passer sa grossesse considérée comme à hauts risques loin de son compagnon.

Ces histoires impliquant des femmes françaises ne sont malheureusement ni isolées, ni anecdotiques. Et il y en a bien d’autres... Depuis 2015, je n'ai rencontré qu'une seule femme qui souhaitait effectivement avorter, à la suite de la rupture d'anévrisme de son mari dans ses premières semaines de grossesse.


Quelle a été votre action? Pourquoi vous a t-on remis la médaille d'honneur du Sénat?


En tant que représentante élue des Français en Irlande, je ne suis évidemment pas en mesure d'intervenir dans les affaires intérieures de l'Irlande et je ne souhaite pas le faire. Cependant, il m’a paru évident qu’il relève de mon mandat d'offrir protection, conseils et compassion à la communauté que je représente. C'est dans cet esprit que j'ai abordé la question de l'avortement en Irlande, en étroite coopération avec Olivier Cadic, Sénateur des français de l'étranger.

Au cours des quatre dernières années, j'ai soulevé cette question à plusieurs reprises en Conseil Consulaire et recueilli plusieurs dizaines de témoignages de femmes françaises qui ont souffert du huitième amendement.

J'ai exprimé mes vives inquiétudes quant à la santé et à la sécurité de nos citoyens français vivant en Irlande et j'ai cherché à informer les femmes françaises qu'en venant en Irlande, elles perdraient certains droits qu'elles détenaient auparavant en France. J'ai notamment rencontré le Senior Management de plusieurs grandes entreprises installées sur Dublin et employant des femmes françaises. Ces personnes ont été très sensibles aux conséquences possibles du 8ème amendement irlandais sur leurs salariées.

J'ai aussi demandé et obtenu que le fait que l'avortement soit illégal en Irlande apparaisse sur le site de notre Ambassade.

J'ai pu bénéficier du travail, de l’aide et du soutien du Sénateur Olivier Cadic et de Claire Nevin et je leur en suis extrêmement reconnaissante. Olivier et Claire sont des personnes absolument remarquables. Le sénateur Cadic a fait de la question du droit des femmes en Irlande une priorité.

Nous avons soulevé cette question à maintes reprises avec l'ambassadeur irlandais en France et avec l'ambassadeur de France en Irlande. Lors de chacune de ses visites en Irlande, le sénateur Cadic a rencontré des représentants de l'Association irlandaise de planification familiale et des parlementaires irlandais à la fois contre et en faveur de l'abrogation du huitième amendement. Et tout cela a démarré bien avant le referendum.

Il a effectué un travail à la fois efficace et pragmatique, dans l’intérêt général, et je suis honorée d’en avoir été à la fois témoin et acteur.

Annick Billon a permis à Claire Nevin et à moi-même d'être reçues au Sénat français où nous avons été entendues  devant la délégation des droits des femmes sur le sujet de l'avortement en Irlande.

Laurence Helaili-Chapuis, Olivier Cadic, Claire Nevin
Laurence Helaili-Chapuis, Olivier Cadic, Claire Nevin

Nous avons aussi organisé avec Olivier Cadic une conférence de presse à laquelle était convié Amnesty International en France ainsi que deux jeunes françaises qui ont réalisé un documentaire sur l’avortement en Irlande, diffusé sur LCP.

Bien entendu, nous avons suivi de près les délibérations de l'Irlande sur cette question à travers l'Assemblée des citoyens et le Comité conjoint des Oireachtas et les recommandations qu'ils ont formulées en faveur d'un changement législatif en Irlande.

3 ans après le début de notre travail, les irlandais ont étés appelés à s'exprimer sur l'abrogation du 8ème amendement. Ce référendum aura permis de faire la lumière sur ces femmes, qui sont pour certaines des membres de notre communauté, qui ont rencontré de graves difficultés en Irlande sous l’ombre du 8ème amendement.


Avez-vous rencontré des difficultés lors de vos actions?

Ce serait vous mentir de prétendre le contraire. J'ai notamment reçu des menaces extrêmement graves et des messages d'insultes. J'ai même été l'objet d'articles diffamants dans la presse d'extrême droite. Une autre conseillère consulaire s'est d'ailleurs présentée lors du dernier conseil consulaire avec une lettre dans laquelle une femme française en Irlande se plaignait de mon engagement !

Mais j'ai aussi trouvé du soutien, de l'aide et des témoignages d'amitié là ou je n'en attendais pas forcément. Je n'ai pas les mots pour exprimer à quel point cela m'a été précieux.

Cette médaille, je l'ai reçue avec une grande émotion qui a été je pense très perceptible le soir de la remise! Je la garde très précieusement car elle me rappelle toutes ces françaises en Irlande qui sans s'y attendre, ni pouvoir s'y préparer, ont vécu de grandes difficultés et ont eu un jour besoin d'une main tendue et d'actes courageux.

logofbdublin
Publié le 29 avril 2019, mis à jour le 29 avril 2019

Flash infos