A l'Alliance Française ce mardi 10 mars 2015 avait lieu une dégustation de vins par la société Chais Elles. A l'occasion de la journée de la femme, Carole Samzun-Gaillard, directrice de l'agence évènementielle d'?nologie, est venue faire découvrir les femmes dans le milieu viticole à près de 30 participants.
Féministe dans l'âme, Carole Samzun-Gaillard, défend avec conviction qu'il est ridicule de parler de vin fait POUR les femmes car nous avons tous un palais distinct qui perçoit les goûts de manière différente. A contrario, parler de vins fait PAR les femmes prend tout son sens. La manière dont elles le dérivent, le ressentent, le vivent. Entretien avec une passionnée.
Lepetitjournal.com : Pouvez-vous nous parler de votre agence ?
Carole Samzun-Gaillard : Je me suis lancée le 8 mars 2013 à l'occasion de la journée de la femme, en créant le 1er salon des vins de vigneronnes à Nantes, puisque je suis nantaise. J'ai souhaité me faire connaître à cette date-là, puisque je ne parle, à travers ma société Chais Elles, uniquement de vins de femmes vigneronnes. Ce jeu de mots est justement là pour encourager les gens à aller chez elles, découvrir ces femmes. J'ai choisi de n'évoquer que les femmes dans l'univers des vins, en proposant des événements, en montant des salons. Il y a deux jours j'étais sur un salon à Nantes, puisque je reste fidèle à Nantes pour cette date du 8 mars, je la fais mienne dorénavant, et j'organise des soirées dégustations. Je commercialise aussi leurs vins en France et surtout à l'étranger. J'essaye de beaucoup me développer à l'étranger pour faire découvrir la viticulture et davantage encore les femmes vigneronnes françaises.
Les femmes et le vin
Vous parlez principalement des domaines créés par des femmes ou hérités ?
En fait, il y a trois catégories de femmes dans les viticultrices que je connais et que je mets en valeurs. D'abord on retrouve des femmes qui reprennent les domaines familiaux, ce qui représente la grande majorité. Ensuite il y a des femmes qui à la suite du décès du mari sont obligées de reprendre le domaine et se mettent à la vinification tandis qu'elles étaient plus tournées vers la commercialisation. Enfin, et c'est de plus en plus le cas, certaines femmes vers la cinquantaine qui ont envie de changer de parcours, se lancent parce qu'elles sont tombées sous le charme d'un vignoble. Beaucoup de femmes parisiennes avec de gros moyens tombent amoureuse d'un vignoble lors de vacances notamment dans le sud de la France et changent de vie. Ce troisième cas est le plus original car il caractérise un pari, un challenge, il faut tout apprendre.
En France, 30% de vignerons sont des femmes. Chaque année j'en découvre davantage. L'histoire est en marche : les pères cèdent enfin leur domaine à leur fille alors qu'avant ce n'était pas concevable. C'était un drame quand il n'y avait pas de fils à qui céder le domaine. Désormais, les choses changent.
Il y a de plus en plus de femmes dans le milieu viticole, quelles évolutions apportent-elles ?
Depuis une dizaine d'année, il y a une vraie évolution : 1 ?nologue sur 4 est une femme, de plus en plus de femmes également en sommellerie. Elles investissent tous les différents niveaux de la profession, maître de chais comme par exemple Château Yquem qui est quand même notre référence dans les vins en Sauterne ou également Sandrine Garbais. Les femmes se sont appropriées le goût du vin, et se sont mises depuis 5 à 8 ans à boire du vin, à s'installer à une terrasse et prendre un verre de vin rouge, chose que l'on n'aurait pas vu avant. Je pense que les femmes amatrices, qui consomment du vin, font également bouger les choses, et font évoluer le goût du vin. On est sur des vins plus fins, plus élégants, certainement plus complexes, plus puissants aussi mais mieux travaillés, moins de tanins ou de passage en fût de chêne, et je suis sure que c'est l'influence des femmes qui veut cela !
Trouvez-vous aussi qu'il y a plus de femmes dans le domaine du champagne ?
Le champagne est aussi un vin ! Il y a beaucoup de femmes en Champagne et on a tous en tête des noms connus : la Veuve Clicquot, Louise Pommery, Taittinger, etc. Beaucoup de femmes ont marqué le monde de la Champagne. Cela s'explique beaucoup par la guerre de 14-18 qui a fait partir sur le front beaucoup d'hommes. Le premier champagne millésimé date de 1911 par la Veuve Clicquot.
Les activités de Chais Elles
Quel est le parcours qui vous a conduit jusqu'à la création de votre agence ?
Au départ je suis chercheur en littérature latino-américaine. Je ne buvais pas jusqu'à l'âge de 30 ans (hormis du champagne). Puis un jour, j'ai eu un gros coup de c?ur sur un Jurançon, cette bouteille jaune dorée qui me faisait de l'?il sur le coin de la table. Je me suis décidée à la goûter, et j'ai eu envie de comprendre et d'apprendre les terroirs français, qui sont une grande richesse. C'est peut-être mon côté femme chercheur qui est ressorti [rires]. Donc je me suis inscrite pendant des années à des cours d'?nologie, j'étais quasiment la seule femme dans les clubs d'?nologie. J'ai eu cette idée, à la veille de la cinquantaine, de concrétiser mon rêve et de partager ma passion. Je me suis dit que ce n'était pas possible d'être la seule femme en cours d'?nologie !
L'idée première était de créer un site, de ne parler que des femmes, déjà parce qu'il y avait déjà beaucoup de choses dans le monde du vin. J'avais envie de me fixer sur cette niche, surtout parce que je les admire. Je crois que ce n'est pas facile d'évoluer dans un monde machiste et un jour j'aimerais peut-être être vigneronne moi-même. C'est plus facile d'ouvrir son agence événementielle que de se lancer dans la viticulture ! Donc c'est ma première étape.
Pourquoi êtes-vous ici à Dublin aujourd'hui ?
C'est un pur hasard : j'ai rencontré Mathilde [dublinoise engagée à travers divers projets au sein de la ville NDLR] à Nantes, par le biais d'amis. Elle est très intéressée par le vin et a déjà fait des stages en ?nologie et elle vit à Dublin. Je lui ai dit que j'aimerais faire découvrir les vins français à Dublin et elle a réussi à monter cet événement en allant voir l'Alliance Française. J'ai déjà fait ce genre d'événements à Montréal, Madrid, Bruxelles?
Quelles sont vos principales activités en France ?
J'organise des salons principalement. A Nantes, au salon des vins, une trentaine de vigneronnes étaient présentes. J'organise des salons avec des restaurateurs, je fais des accords « mets-vins ».
J'aime surprendre un peu sur des accords atypiques, j'aime bien présenter deux vins par mets, pour voir qu'on peut, avec des vins très différents, prendre un plaisir également différent par rapport à ce que l'on déguste. Et puis je vends également les vins auprès des restaurateurs, et surtout en export. Je travaille avec une cinquantaine de femmes vigneronnes en ce moment.
Est-ce vous qui les démarchez ?
C'est moi qui viens les chercher. Avec le bouche à oreille certaines commencent à venir à moi, mais c'est quand même moi qui ai fait ce premier pas pendant un an à travers les rencontres sur les salons. J'ai aussi un site qui fonctionne comme un blog ou je parle de mes coups de c?ur.
Après un petit état des lieux du secteur viticole français (voir infographie ci-dessous), la dégustation a pris place. Ce sont 10 vins coups de c?ur qui ont été dégustés lors de cet atelier avec dans l'ordre : un crémant, deux champagnes, trois blancs, deux rouges et une double ration de Monbazillac pour finir en beauté. Les trente participants semblaient ravis de retrouver sur leurs papilles désormais exilées en Irlande le bon goût de nos vins français. Tout en gardant à l'esprit qu'ils étaient uniquement produits par des femmes.
Audrey Lalli et Alice Hubert (www.lepetitjournal.com/dublin), lundi 23 mars 2015
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