Une nouvelle page s’ouvre pour les artistes irlandais : après trois années d’expérimentation, le gouvernement a décidé de rendre permanent le Basic Income for Artists (BIA), un programme pionnier qui garantit un revenu stable aux créateurs et travailleurs du secteur culturel.


En 2022, au sortir de la pandémie, l’Irlande lançait un pari audacieux : offrir à 2 000 artistes un revenu de base hebdomadaire de 325 euros, sans condition de ressources, pour leur permettre de se consacrer pleinement à leur pratique. Trois ans plus tard, le succès est tel que le dispositif, d’abord temporaire, devient un pilier officiel de la politique culturelle du pays à partir de 2026.
Cette décision, actée dans le Budget 2026 par le ministre de la Culture Patrick O’Donovan, s’accompagne d’une nouvelle fenêtre de candidature prévue pour septembre 2026, ainsi que d’une ouverture à de nouvelles disciplines artistiques. Une avancée majeure pour un modèle qui attire désormais l’attention au-delà des frontières irlandaises.
Un programme né d’une crise, devenu une référence
Le Basic Income for Artists est né dans un contexte de fragilité : celui d’un secteur artistique durement frappé par le COVID-19. Entre annulations, pertes de revenus et précarité, nombre d’artistes avaient vu leur activité s’effondrer.
Face à cette situation, le gouvernement irlandais a choisi d’expérimenter une approche inspirée du revenu universel : un soutien régulier, inconditionnel et indépendant des aides sociales. Le but ? Permettre aux artistes de se concentrer sur la création plutôt que sur la survie économique.
Les résultats de l’évaluation indépendante publiée en 2024 sont clairs : les bénéficiaires ont passé davantage de temps sur leur travail artistique, réduit leur stress financier et amélioré leur bien-être général. Le rapport souligne aussi une hausse moyenne de 500 € de revenus liés à l’art et une baisse du recours à d’autres aides sociales.
Une réussite économique et sociale
Le coût du programme pilote, estimé à 72 millions d’euros, a généré près de 80 millions de bénéfices économiques selon le cabinet britannique Alma Economics. Autrement dit, le soutien aux artistes ne profite pas seulement à la culture : il stimule directement l’économie.
Le ministre Patrick O’Donovan l’a rappelé :
« L’impact économique positif révélé par ce rapport est un résultat très encourageant pour le secteur et pour le grand public. Le retour économique de cet investissement dans les artistes et les professionnels des arts créatifs en Irlande a un effet immédiat et bénéfique, tant pour le secteur que pour l’économie dans son ensemble. »
L’étude prévoit même qu’un programme élargi pourrait mener à 22 % de production artistique supplémentaire, tout en réduisant le coût moyen des œuvres de 9 à 25 % pour le public.
Une sélection repensée pour 2026
Lors du lancement du programme pilote, les candidatures étaient ouvertes aux domaines des arts visuels, théâtre, littérature, musique, danse, opéra, cinéma, cirque et architecture. Les postulants devaient prouver leur statut professionnel à travers des justificatifs comme la vente d’œuvres, l’appartenance à une organisation reconnue ou des publications.
Près de 9 000 candidatures avaient été déposées, dont 8 200 jugées éligibles. Les 2 000 bénéficiaires ont été sélectionnés de manière aléatoire, tandis qu’un groupe de contrôle de 1 000 personnes a été suivi à titre comparatif.
Pour 2026, le gouvernement prévoit d’élargir les critères d’éligibilité et d’augmenter le nombre de places à 2 200, selon les disponibilités budgétaires.
Un débat sur la méthode et l’avenir du modèle
Si 97 % des Irlandais soutiennent la pérennisation du programme, un débat persiste sur la manière de choisir les bénéficiaires. Près de 47 % des répondants estiment que la sélection devrait se faire selon les besoins économiques, 37,5 % préfèrent une sélection au mérite artistique, tandis que 14 % soutiennent le tirage au sort actuel.
Au-delà de cette discussion, le programme irlandais nourrit une réflexion mondiale sur la viabilité du revenu universel, notamment dans un contexte de mutations technologiques et de précarisation du travail.
Un pari sur la créativité et la stabilité
En rendant permanent le Basic Income for Artists, l’Irlande ne fait pas qu’investir dans sa culture, elle investit dans la liberté créative et le temps long, deux ressources souvent rares dans la vie d’un artiste.
Cette politique culturelle inédite replace la création au cœur de la société et pourrait bien servir de modèle pour d’autres pays européens, désireux de réinventer le lien entre art, travail et dignité économique.
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