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Virginie Desplaces, souvenirs d’une Française qui a vu grandir les EAU

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Écrit par Marie-Jeanne Acquaviva
Publié le 5 août 2020, mis à jour le 6 août 2020

Une fois n’est pas coutume, lepetitjournal.com vous fait rencontrer aujourd’hui ni un financier reconverti dans le food truck bio, ni une « femme d’expat » avec une nouvelle idée révolutionnaire de service à domicile, mais un témoin du passé : Virginie Desplaces, une femme qui a vu grandir les Emirats en même temps que sa jeunesse, entre aventures loufoques et moments historiques, entre défis quotidiens et vie d’aventuriers. Comme vous pouvez l’imaginer, elle garde dans sa poche mille anecdotes qui lui ont donné envie de raconter cette vie de pionnier, une époque révolue mais pas si lointaine, qui l’amène à réfléchir à un projet de documentaire, « À la rencontre des tous premiers expats dans le Golfe », ceux qui sont venus tenter l’aventure autour de la naissance des Emirats, en 1971. 

 

 

Lepetitjournal.com/dubaï : Comment est née votre envie de vous lancer dans ce projet de documentaire ?

 

Virginie Desplaces : Il y a la volonté de documenter tout simplement le passage de ces pionniers, de ces gens qui vont arriver dans le Golfe dans les années 70, avant, puis suite à la création de l’union des Emirats. Un vrai désir de garder une trace de ces premiers expatriés, de leur mode de vie, de leurs expériences, de leurs aventures et des nombreux  défis qu’ils ont relevés, autant dans leur travail que dans leur vie quotidienne.

 

Bien entendu, vous aussi faites partie de ces pionniers ?

 

Ma famille et moi arrivons aux Emirats en 1975 du Koweït, où nous sommes installés depuis le début des  années 70. Mon père est arrivé dans la région avec les premiers projets d’usines de désalinisation. Nous nous installons à Abu Dhabi… il faut imaginer - même si c’est difficile aujourd’hui ! (rires) – qu’Abu Dhabi était plus urbanisée que Dubai. Dans la région et jusqu’au début des années 70, avant notre arrivée,  il n’y avait pas de routes, seulement des pistes, le recours à de petits avions pour des trajets courts était alors courant. La 1ère route départementale entre Abu Dhabi et Dubai est achevée en 1973, c’est une route à une voie, parsemée de dos d’ânes tous les 5 kilomètres et de chameaux qui circulent au gré de leurs envies ! Ce qui de nos jours est un trajet rectiligne d’1h20, se faisait en 3h00.

 

Quels sont vos tous premiers souvenirs ?

 

La sortie de l’avion et la chaleur écrasante et humide, c’est étrange puisque nous arrivions du Koweït, je ne pense pas qu’il y faisait tellement plus frais! Mais c’est mon premier souvenir. Nous logeons au début dans ce qui est à l’époque l’hôtel Hilton (aujourd’hui le Radisson), et je me souviens parfaitement de la condensation sur les vitres et des libellules énormes qui venaient s’y cogner, le soleil et la mer. À notre arrivée, il n’y a presque que le sable et le vent. Seule la corniche offre un joli paysage verdoyant …plantée 2 mois à peine avant notre arrivée. C’est le tout début des premiers espaces verts. Un détail amusant : au moment de la visite de la Reine d’Angleterre en 1977, ils vont accélérer les plantations et rendre le parcours de la reine plus agréable …et plus verdoyant (rires).

 

Comment décririez-vous votre vie, vos souvenirs d’enfance sont baignés de quelle atmosphère ?

 

J’ai commencé ma scolarité dans un « portacamp » (des modules préfabriqués mobiles, ndlr) puis l’entreprise Total finança la première école Française. Par la suite l’Etat Français ouvrit un établissement de la petite section au lycée. Pour moi ce fut une scolarité joyeuse, une ouverture sur les autres, la socialisation.

 

Le rythme scolaire était aussi très différent surtout pour des Français, nous n’avions cours que le matin dans le primaire et des vacances d’été de 3 mois. C’était une ambiance de vacances permanentes, festive, prompte aux blagues, aux rires et à la bonne humeur.

 

Et puis,  quelques arrangements avec le confort (qui ne pesaient à personne). On n’était pas dérangé par le téléphone à l’époque : obtenir via un opérateur une ligne pour l’international pouvait prendre jusqu’à 9h00 !  Nous vivions, ce qui était une découverte pour ceux venus d’Europe,  avec l’air conditionnée en quasi permanence, mais nos premiers  systèmes étaient de gros cubes accrochés a l’extérieur, des « A/C units » aussi bruyants que des 747 au décollage, l’eau du robinet coulait souvent d’un beau rouge-rouille, il n’y avait pas de mall bien sûr, ni même de boutiques occidentales: on faisait le shopping l’été en Europe pour l’année, puis on refaisait copier chez les tailleurs indiens plusieurs versions des tenues qui nous allaient le mieux ou qui nous plaisaient le plus, au fur et à mesure qu’elles devenaient trop petites, en espérant que les copains n’aient pas opté pour la même et dans le même tissu (rires) !

 

Le premier Prisunic arrive au début des années 80, c’est une vraie fête. Et puis quel plaisir quand « La Brioche » ouvrit et permis à la communauté française de se délecter enfin de baguettes et viennoiseries. Question culture,  pas de cinéma non plus mais nous habitions devant l’endroit où étaient projetés en plein air les films de Bollywood (non censurés), et nous en profitions largement depuis notre balcon. L’offre télévisuelle est restreinte en ces années, et tout ce qui y est diffusé est interrompu - sans pause sur image - pour les prières quotidiennes : les rares films occidentaux qui y passent se retrouvent donc parfois amputés de 20’ à 30’… A ces interruptions pour les prières, se rajoutaient bien entendu les coupures éventuelles de la censure, autant dire qu’un long métrage pouvait à la télé ne pas durer plus qu’un court métrage ! Je garde le souvenir surtout d’une ambiance très multiculturelle, ce qui était loin d’être la règle pour ma génération : les expats étaient rares, et souvent les enfants de mon âge restés dans leur pays d’origine ne connaissaient que leurs petits compatriotes.

 

Quels sont vos loisirs par exemple ?

 

Jusqu’en 2006, nous n’avions qu’un jour et demi de week-end, le jeudi après-midi et le vendredi. Notre vie quotidienne est tournée vers la nature, on est tout le temps à la plage - en partie parce qu’il n’y a pas grand chose d’autre à faire, mais aussi par goût - ou en bateau, à sillonner les îles : par exemple mes parents nous emmenaient ramasser les coques que l’on dégustait ensuite à l’apéro, sur ce qui s’appelle aujourd’hui - même si de coques aujourd’hui il n’y en a plus -  « l’île aux coques ». D’ailleurs j’en profite pour tordre le cou (rires) à une légende urbaine : l’île en question se nomme bien « l’île aux coques »  et pas l’île « aux coqs ». La référence au volatile, emblème de la France pour un hypothétique hommage aux français, est totalement infondée ! Nous allions aussi sur « l’île aux cochons »… que l’on appelle ainsi pas du tout parce qu’on y aurait trouvé un jour des cochons sauvages (un peu de logique tout de même ! - rires), mais parce qu’elle abritait une vieille cabane de barasti, soufflée par les vents, et que les enfants l’avaient surnommée « l’île des trois petits cochons » parce que cette vielle cabane avait l’air d’avoir été soufflée par le loup de la fable !...

 

Si vous deviez nommer les principales différences, ou évolutions, d’alors à aujourd’hui ?

 

En dehors de tout ce qui tombe sous le sens, c’est à dire d’une vie aujourd’hui beaucoup plus tournée vers le confort, vers le commerce, une vie à plus grande échelle somme toute… une des grandes différences tient vraiment à cette vie festive de jour, comme de nuit, dans un cadre ensoleillé, mais très simple au sein d’une population locale bienveillante à notre égard. La présence depuis quelques années des femmes de toutes nationalités - y compris les Emiraties - dans l’espace public est aussi une marque de la transformation sociale. La guerre du Golfe de 1991 marque en cela un tournant, car jusqu’à cette date la main-d’œuvre étrangère non-européenne ou américaine était principalement masculine et sans famille.

 

Bien entendu je ne parle que de la communauté d’expatriés : à l’époque il était extrêmement rare, voire impossible, de lier amitié avec des femmes émiraties, on les croisait peu, à l’exception des femmes âgées qui fréquentaient le marché aux légumes portant le masque traditionnel. Indépendamment des différences culturelles, la communication n’était pas évidente avec les autres communautés (étrangères ou locale) en l’absence d’une langue commune. Ma mère avait eu l’opportunité d’apprendre l’anglais au Koweït et au Qatar, mais les françaises femmes d’expatriés, généralement ne  parlaient pas ou mal la langue de Shakespeare, et c’était tout aussi vrai pour les Emiratis !

 

Dans ce contexte, vous avez du vivre beaucoup de « premières fois » ?

 

Oui j’en ai vécu un certain nombre ! Il se passait toujours des choses incroyables ou invraisemblables, futiles ou spectaculaires : de ceux qui avait traversé l’Afrique ou l’Asie à vélo au passage de certaines personnalités.

J’ai ainsi pu écouter Sacha Distel ou Tina Turner en concert, dans une salle qui devait contenir moins de 500 personnes, j’ai vu voler le Concorde au dessus de la Corniche, j’ai serré la main du Président Giscard d’Estaing au Méridien en 1980, et c’est ma mère qui a organisé le tout premier défilé de haute-couture à Abu Dhabi. Mes parents ont également fait venir le chef Marc Veyrat au Méridien d’Abu Dhabi lors d’une des semaines de la gastronomie française organisée par l’hôtel... Pour moi, une image illustre bien les changements intervenus depuis cette époque, le souvenir du 31 décembre 1983 passé avec mes parents et 50 personnes sur une barge pétrolière au large d’Abu Dhabi, inenvisageable aujourd’hui ! Mais oui, notre vie était en fait une succession de premières fois, mais c’est le propre des pionniers, non?!

sacha distel abu dhabi

 

Quels sont vos liens avec les Emirats aujourd’hui ?

 

Les Emirats c’est une grande partie de ma vie, de surcroit durant mon adolescence, j’y ai grandi, j’y ai vécu mes premières histoires sentimentales, j’y ai été championne de tennis enceinte de ma première fille (rires), j’y ai vécu la Guerre du Golfe quand tous les expats partaient… et moi je ne me voyais pas partir. 

Même si j’ai vécu dans d’autres pays et que je me partage entre l’Europe (où vit une de mes filles) et ici, je suis très attachée à ce pays, un lien très fort me relie à ici !! Comme mes filles, je me revendique citoyenne du monde,  mais les Emirats occupent une place particulière dans mon cœur et mon esprit. L’idée derrière ce projet de documentaire c’est vraiment de faire découvrir et surtout aimer ce monde qui se cache derrière les clichés (et ils sont nombreux), faire comprendre la complexité et les enjeux de ce pays, aller au-delà des apparences.

 

Pendant des années, je me suis occupée d’une société de relocation que j’avais fondé à Abu Dhabi. Au fil du temps, par des rencontres et des amitiés avec des Emiratis, j’ai pu appréhender différemment et en profondeur la culture et la psychologie de ce peuple habitué à une rude vie pendant des siècles. Ils se sont établis ici en luttant pour leur survie dans un désert inhospitalier et frugal, et la vie n’était pas plus douce sur les côtes pour ceux qui y vivaient de la pêche et des huitres perlières. De cette résilience et capacité d’adaptation hors norme - passer en un demi siècle de la vie bédouine à l’ultra modernité - est née une très grande tolérance culturelle.

 

Comme des pionniers qui trouvent une terre promise, nous nous sommes intégrés dans ce pays, avec ses habitants qu’ils soient natifs ou venus d’ailleurs.

Nous sommes la troisième génération à vivre sur place, mon père continue de vivre et travailler ici, ma plus jeune fille forte de sa double culture y travaille également. Et pour ma part, j’y exerce ma passion et mon métier d’hypnothérapeute et de Life coach. Forte de ma multiculturalité, je peux ainsi mieux appréhender les problématiques que peuvent rencontrer les personnes vivant ici.

 

Quelle place a tenu Sheikh Zayed dans votre jeunesse ?

 

Une place immense : c’est un homme d’Etat incroyable, au charisme extraordinaire, quelqu’un dont on sentait la bonté et la bienveillance au quotidien, un vrai modèle. Plus qu’une présence familière - j’ai grandi avec sa photo partout autour de moi - c’était vraiment un homme exceptionnel, l’homme d’une vision forte et d’une volonté capable de franchir des montagnes - enfin, plutôt les dunes du désert, ce qui n’est pas plus facile (rires) ! J’ai eu la chance de le croiser quelques fois, et oui bien sûr cela m’a énormément marquée. En particulier cette fois sur la route entre Dubaï et Abu Dhabi, où il s’était arrêté pour prier sur le bord de route, avec tout son cortège. Une vision que je n’oublierai pas.

 

 

Pour contacter Virginie Desplaces: ginie@shoukran.net

 

Article publié le 27 août 2019

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Publié le 5 août 2020, mis à jour le 6 août 2020

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