KYRA DUPONT TROUBETZKOY nous présente son projet "Les Invisibles"

Par Marie-Jeanne Acquaviva | Publié le 12/10/2019 à 15:55 | Mis à jour le 12/10/2019 à 20:27
kyra dupont alliance française dubai

Nous retrouvons Kyra Dupont Troubetzkoy, une habituée de nos pages, plume protéiforme et talentueuse dont nous avons toujours plaisir à relayer le travail. Aujourd’hui c’est pour un projet qui nous a touché particulièrement : une exposition de portraits qui pose un regard d’une grande empathie et d’une grande délicatesse sur ces humans of Dubaï, ceux qui vivent ici, ces hommes et ces femmes expatriés eux aussi, loin de leur terre, de leur famille, pleins d’un courage infini, tous ces « invisibles » qui nous entourent et font - au sens propre et figuré - de Dubaï une telle mégapole, et parfois oui, une terre d’espoirs.

 

Lepetitjournal.com/dubaï : On sent que ce projet est un fruit longtemps mûrit d’où vient-il ?

 

Kyra Dupont Troubetzkoy : Je suis sur le départ : cela fait huit ans que ma famille vit ici, et d’une certaine manière ce projet a pris naissance lorsque je suis arrivée. J’ai tout de suite été touchée par l’immense population immigrée de Dubaï, par cette foule infinie de travailleurs, de tous les horizons, de tous les pays ou presque, venus ici tenter leur chance ou simplement survivre. Et puis - c’est mon métier - j’ai écrit sur les femmes émiriennes un livre qui m’a absorbée de longs mois (Les perles des Émirats ndlr), j’ai voulu aussi prendre un peu de recul, léger mais salutaire, sur la vie dorée des Jumeirah Jane avec My Fantastic Life in Dubaï… J’ai vécu, travaillé et navigué dans les multiples sphères de la population de Dubaï, au rythme de mes projets et de mes rencontres, mais me restait à trouver comment rendre hommage à ceux qu’on oublie de voir, ceux que j’appelle les invisibles.

 

Ces invisibles qui nous entourent, presque des « intouchables » qui pourtant sont si proches ?

 

Oui, ce sont vraiment des personnes qui ont fait partie de nos vies, pas simplement des gens qui l’ont rendue plus facile, mais des êtres humains qui ont chacun, à leur façon, témoigné auprès de moi, des mes enfants, d’une présence bienveillante, d’une présence indispensable. Quand notre départ a été fixe ça a été le déclencheur, cette envie un peu floue que je portais en moi depuis longtemps s’est concrétisée et réalisée très vite : j’ai compris que je voulais leur donner la parole, les faire exister en dehors de leur rôle et de leur simple uniforme, établir un vrai dialogue, les écouter. Nous avons tous nos « invisibles ».

kyra alliance française dubai

Comment avez-vous fait pour les approcher, pour engager ce dialogue, dépasser vos rôles respectifs justement ?

 

Il fallait trouver comment transmettre la sincérité de ma démarche. Je ne savais pas du tout comment j’allais être reçue, s’ils comprendraient ce que je voulais transmettre, si tout simplement je n’allais pas les gêner, les embarrasser, provoquer un malaise, les vexer, s’ils n’allaient pas craindre le regard des autres, avoir peur de perdre leur travail ou n’avoir aucune envie d’être exposés, que sais-je… En réalité ce fut une des plus belles surprises de ce projet : ils ont tous accueilli ma demande avec joie. Ils se sont tous montrés enthousiastes, sincèrement flattés qu’on leur donne la parole… fiers, au fond.

 

Et c’est exactement ce que je voulais transmettre : saluer leur courage. J’ai été beaucoup aidée par Ray, un des interviewés qui se trouve aussi avoir été notre chauffeur et qui parle couramment trois ou quatre langues. Grâce à lui, j’ai pu aussi dialoguer avec ceux qui ne parlaient que deux mots d’anglais.

 

Qu’est-ce qui vous a le plus touché, qu’avez vous découvert ou appris auquel vous ne vous attendiez pas ?

 

Ce périmètre de personnes qui nous entoure tous, nous les expats, c’est le monde entier, c’est l’humanité toute entière. Nul besoin de vivre dans un luxe effréné : vous avez une voiture ? Vous vous arrêtez sûrement par habitude toujours à la même pompe à essence, vous vous garez toujours dans le même garage: connaissez-vous le nom du pompiste ou du gardien du parking ? Que savez-vous de lui ? De parler avec eux en sortant de votre rôle de client, cela leur permet à eux de sortir de leur uniforme, et d’entrer dans un dialogue d’humain à humain. J’en suis toujours sortie touchée, bouleversée parfois - ce n’est une surprise pour personne que certaines de ces vies sont tissées de sacrifices invraisemblables, des vies brisées, tragiques, au mieux extrêmement compliquées. A l’opposé j’ai découvert que Dubaï était encore pour certains une vraie terre d’opportunités, à défaut d’être un pays de Cocagne, c’est en tout cas le pays qui les a accueillis, hébergés et permis de croître, de dépasser la simple survie, celui qui a permis une évolution sociale et financière parfois spectaculaire. Ce sont des pionniers, tous ne sont pas des aventuriers ou des entrepreneurs, mais tous ont eu le courage et la ténacité de venir ici et d’y gagner leur vie - dans tous les sens du terme. C’est aussi cela que je voulais montrer, pas seulement la dureté de leur vie mais aussi cette ascension, ce fait d’être parti, parti de rien ou presque, et d’être arrivé. Leur redonner cette dignité. Cette reconnaissance.

 

Comment les avez-vous choisi, ces invisibles interviewés ?

 

C’est de l’intime qu’est né le projet, c’est ce qui le constitue, donc c’est ce cercle, ce réseau qui m’a entourée ainsi que mes enfants pendants huit années : notre nanny, le chauffeur, celui qui s’occupait de la piscine, et le maître nageur, le gardien de notre compound, le pompiste de la station à côté de chez nous, celui qui rangeait les caddys du Carrefour, le petit couturier de Satwa chez qui nous faisons tous faire les chemises et retoucher les uniformes, le professeur de piano de mes enfants, le chargé de la maintenance de notre maison… la liste aurait pu être infinie, je n’ai gardé que les plus proches, une façon de les emporter avec nous, dans nos valises, de boucler la boucle de ces années passées à les côtoyer. J’espère que la majorité d’entre eux pourra venir voir l’exposition, ils ont été bien sûr tous invités, certains ont répondu avec joie, malheureusement d’autres ont disparu : leur téléphone ne répond plus. Ont-ils changé de numéro, de ville, ont-ils perdu leur travail ou trouvé un meilleur emploi ? Cela aussi, cette précarité-là, c’est leur vie.

kyra alliance française dubai

Les photos sont magnifiques et incroyablement touchantes : ce sont de vraies rencontres, comment avez-vous conçu l’exposition ?

 

Ce sont des portraits à taille humaine, des tirages que j’ai voulu sur fond noir pour éviter tout folklore ou tout décor, je voulais qu’on puisse les regarder dans les yeux, d’humain à humain, d’égal à égal, sans distraction. J’ai aussi insisté pour que les visiteurs puissent écouter (sur des iPod mis à disposition lors de l’expo, ndlr) un morceau de musique que chacun d’entre eux a choisi, leur chanson ou leur musique préférée, une bande son pour ajouter à l’intime de la rencontre. Affichée à côté de la photo vous trouverez l’interview, la biographie de chacun. Le mot « rencontre » est vraiment ce que je voulais transmettre. Ce n’est pas une exposition de photos esthétisantes, ce sont des personnes, des humains, et tous ont une histoire, un regard.

 

  • Vernissage le mercredi 16 octobre à La Galerie de l’Alliance Française à partir de 19h30
  • Exposition jusqu'au 5 novembre 
  • Rencontre et dialogue avec Kyra Dupont Troubetzkoy à la Médiathèque de l’Alliance Française lors des « rencontres du lundi »
  • Chaque tirage (de qualité professionnelle réalisé par la galerie Empty Quarter, DIFC) est en vente au prix de 1000 drh, et l’intégralité des bénéfices de la vente sera reversée aux « invisibles » représentés durant l’exposition.

 

Pour plus d'infos cliquez ICI 

 

 

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