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Mamadou Boye Diallo, instigateur d'une fièvre créative à Médina

Mamadou Boye Diallo Yataal Art Laure SoléMamadou Boye Diallo Yataal Art Laure Solé
Mamadou Boye Diallo devant une fresque de Diablos, à Médina. ©Laure Solé
Écrit par Laure Solé
Publié le 30 mai 2019, mis à jour le 6 janvier 2021

Mamadou Boye Diallo, surnommé Modboye ou Patin, a grandi dans le quartier de la Médina, à Dakar. Jeune, il commence par le breakdance, qu’il pratique avec ses meilleurs amis dans la rue 6 de son quartier. En 2003, il découvre le roller et donne des représentations en Espagne. Parallèlement, il développe son concept de musée à ciel ouvert, à Médina. Aujourd’hui président de l’association Yataal Art, commissaire d’exposition et fixeur, il nous fait part de ses expériences et de sa relation très particulière à son quartier.

lepetitjournal.com/Dakar : Quel a été votre parcours ?

Modboye : Je suis né le 9 octobre 1988 et j’ai grandi à Médina. Quand j’étais jeune, je faisais souvent du breakdance rue 6. On avait un groupe qui s’appelait les “MedBreak”. Un jour, mon père m’a offert des rollers, j’ai commencé à en faire avec mes amis danseurs. Mon père a un peu regretté son cadeau, je m’accrochais aux voitures, et on faisait pas mal de choses comme ça (rires). A partir de 2003, je me suis vraiment concentré là dessus. On a monté une association, Accro Roller. J’étais moniteur, je me suis spécialisé dans le slalom. Nous avons voyagé en Espagne, pour des festivals, des spectacles de danse et de mode à Barcelone puis en Andalousie, en 2010 et en 2011.

Quand a commencé Yataal Art ?

Cela fait vraiment longtemps, non-officiellement. Le roller, je faisais vraiment ça pour moi. L’art, c’était autre chose. Yataal Art est parti d’une démonstration de roller où j’avais invité tous mes amis artistes, dans ma ruelle. A l’époque, on faisait nos représentations à l’étranger, ou dans les écoles, toujours dans des lieux privés, fermés. Là, on voulait offrir ça à nos voisins. On l'a fait avec presque rien, sans sponsor. On a dû dépenser 40 000 francs maximum, on a loué des baffles de baptême, on a emprunté l’électricité des maisons. C’était le 18 juillet 2010, je me souviens, on avait fait une grande fresque murale. Peu après, j’ai fait ma première tournée en Espagne où j’ai rencontré plein d’artistes talentueux, et je leur ai parlé de la Médina, du potentiel du quartier.

En 2011, quinze artistes sont venus pour faire de l’art sur les murs de la Médina. Au début, c’était un peu dur, les gens nous demandaient de payer pour dessiner sur leur façade parce qu’ils voyaient beaucoup de blancs (rires). Ils ont fini par comprendre que l’on n’avait pas de quoi payer et ça s’est fait dans la bonne humeur.

Mamadou Boye Diallo
Modboye devant une fresque d'Ernesto Novo. ©Laure Solé

Quand le concept de musée à ciel ouvert a-t-il émergé ?

Au début on faisait seulement de l’art. J’ai considéré qu’il devait s’agir d’un musée à ciel ouvert à partir de 2012. En 2014, on allait fêter les 100 ans de la Médina. J’ai commencé à réfléchir profondément à l’histoire du quartier, à ce qu’il représentait pour moi, mais aussi pour Dakar, pour le Sénégal. Le quartier Médina a été nommé ainsi pour signifier qu’il s’agissait d’une terre d’accueil, car quand le prophète a été chassé de la Mecque, il a été accueilli à Médine. La Médina a été créée en 1914, pendant la colonisation. A ce moment là, il y avait une épidémie de peste à Plateau, et il a été communément admis que les noirs en étaient responsables. Alors ils ont été délocalisés. Toutes les ethnies d’Afrique se sont alors retrouvées à la Médina. Le quartier s’est développé dans le métissage culturel et social. J’ai appris toutes ces choses en déambulant dans mon quartier, avec mon enregistreur. J’allais avec les anciens, on faisait ensemble leur généalogie. Je leur demandais quelles avaient été leurs écoles, nous regardions leurs vieilles photos de tabaski. La plupart des archives officielles sont en France, à Paris ou à Bordeaux, c’est un peu frustrant. J’ai aussi commencé à penser l’architecture du quartier, c’est là qu’on a commencé à exposer dans les anciennes maisons coloniales de 1914, de 1935. Ces maisons, c’est l’histoire de la Médina.

Pour l’inauguration du musée à ciel ouvert, en 2014, nous avons sollicité beaucoup d’artistes internationaux. Au fur et à mesure des années et des événements, nous avons invité de plus en plus d’artistes du monde, comme du Sénégal. Des créateurs de la sous-région comme des Palestiniens et des Israëliens.

Au départ, Yataal Art c’était une douzaine de membres, aujourd’hui nous sommes quatre-vingt quatre… Dont huit membres très actifs, qui sont là en permanence.

Mamadou Boye Diallo
Le jeune homme est même représenté sur les murs de la Médina. ©Laure Solé

Yataal Art signifie “élargir l’art” en wolof. Comment définiriez-vous la philosophie de votre association?

Prenons l’exemple du street art : à mon sens, même les pirogues qui sont dans la mer, c’est de l’art. Ce sont des dessins, une esthétique, et tu vois ça dans la rue. Il faut le valoriser. Par ailleurs, les gens du quartier n’ont pas accès à l’art, au sens de l’art institutionnel. Tu arrêtes un taxi, tu lui dis “biennale”, il  ne va pas comprendre. Aux vernissages, tu vois toujours les mêmes personnes, en costumes cravates. La vérité, c’est que les plus grands artistes de Dakar viennent des quartiers défavorisés : Youssou N’dour, Doudou N’Diaye Rose, ce sont des grands aujourd’hui, reconnus sur le plan international. Ils ont eu l’inspiration dans les ghettos.

C’est tout cela que l’on voulait un peu promouvoir dans notre quartier. En 2014, j’étais le représentant des jeunes dans le comité des festivités du centenaire de la Médina : nous avons fait une exposition dans douze maisons coloniales, où chaque maison avait son propre vernissage. Ces maisons n’ont pas de porte, elles sont ouvertes, donc tu fais des expositions où les gens peuvent venir sans se poser trop de questions.
La fois d’après, on a seulement fait des expositions dans deux maisons, mais nous avons organisé des déambulations ensemble. Nous avons fait des installations en bouteilles plastiques, et on a mis en place le projet tradition, transmission, société contemporaine. C’était une une exposition itinérante. En 2018, on l’a refait en organisant le Dakar Brut.

Dans le futur, nous avons pour projet que les habitants ouvrent leurs maisons, sortent leurs vieilles photos, racontent leurs histoires, qu’ils soient leurs propres commissaires d’exposition.

De plus, on essaye de rendre l’art accessible à tous. Nous avons organisé des tournois de foot, des ateliers pour les enfants... Nous avons mis en place des expositions pour les enfants aveugles, où ils ont pu toucher les oeuvres. Nous avons réalisé des clips pour la protection de l’environnement, mais aussi de réflexion sur les douleurs infligées par la migration. Je crois que l’art c’est aussi pour nous un moyen de s’engager au service de la société.

Mamadou Boye Diallo
Mamadou Boye Diallo devant une maison de 1914, vouée à être détruite très prochainement. ©Laure Solé

L’art Brut, l’art des marginaux, au sens où l’a théorisé Jean Dubuffet est au coeur de nombreuses de vos initiatives artistiques, sauriez-vous nous expliquer cette inclinaison ?

Je crois que beaucoup de choses sont venues de ma rencontre avec Pape Diop. J’ai toujours vu Pape Diop peindre dans les rues du quartier mais je ne me suis pas intéressé à lui avant de commencer ce travail de recherche et de promotion de l’art dans la Médina. J’ai réalisé qu’il est plus itinérant encore que les itinérances qu’on faisait, qu’il accompagnait nos déambulations, tantôt par sa présence, tantôt par ses dessins constellant les murs du quartier. Il m’a très vite fasciné. Après avoir côtoyé beaucoup d’artistes, je me suis rendu compte que non seulement il était vraiment bon, mais aussi qu’il ne peignait pas pour la gloire. Il peint par nécessité, c’est comme s'il se faisait sa propre thérapie. Cette spontanéité m’a impressionné, il ne fait aucune esquisse, il transforme tout en art. Il a une grande constance aussi, ça fait des années qu’il fait ça.

Le concept d’art brut, je ne le connaissais pas. Ma première oeuvre de Pape Diop, je l’ai offerte à Mélodie Petit (vice-présidente de l’association). C’est un an plus tard elle m’a dit “Mais tu sais ce qu’il fait, c’est de l’art brut” : le mot brut ça m’a touché, c’est quelque chose de dur, d’authentique, de sauvage.

Alors, j’ai fait des recherches sur internet, c’est comme ça que j’ai connu Jean Dubuffet. Je connais toutes les galeries sans même y être allé. Monsieur Google est très fort (rires).

Mamadou Boye Diallo
Le musée à ciel ouvert de la Médina. ©Laure Solé

Comment êtes-vous devenu commissaire d’exposition ? Et fixeur ? (NDLR : un fixeur est un accompagnateur, une personne du cru faisant office à la fois d'interprète et de guide).

Je ne savais même pas que j’étais devenu commissaire d’exposition. J’ai fait une formation avec la Raw Academy mais il y avait beaucoup de choses que je faisais avant sans savoir que j’étais un “commissaire d’exposition”. Pareillement pour le fixing, j’ai organisé des tournages de clips, de films, de courts métrages depuis longtemps. Ce n’est qu’après que j’ai appris que l’on appelait cela le "fixing" ! J’ai fait le fixing pour un clip des Kids United, pour Kery James aussi… Souvent quand des personnes ont besoin d’organiser un tournage dans le quartier, elles font appel à moi.

Mamadou Boye Diallo
Au-dessus du jeune homme, un collage d'artiste. ©Laure Solé

Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?

Je souhaite restaurer une maison de 1914. J’aimerais une maison communautaire pour se retrouver avec les gens de mon quartier, à la fois pour sauvegarder une partie du patrimoine (ces maisons sont détruites une par une) mais aussi pour échanger. Par exemple, on a fait des murales encourageant la protection de l’environnement, "stop pollution" : les gens ça ne les touchaient pas, c’est juste beau. Si tu fais une maison communautaire, tu fais venir l’Imam du quartier, il parle de la propreté, cela fera beaucoup plus d’effet que la présence de n'importe qui, même de Nicolas Hulot ! (rires).

Ce serait aussi important pour sensibiliser les gens à l’histoire du quartier mais aussi du Sénégal. Ce serait bien de restaurer une maison de 1914, car 1914 c’est aussi l’élection de Blaise Diagne qui est enterré devant le cimetière de la Médina. C'est le premier député noir, c’est lui par exemple qui a voté les lois pour que les tirailleurs partent et pour qu’à leur retour, ils aient autant de droits que les blancs. Toutes ces informations c’est notre histoire, on ne doit pas l’oublier.

 

Prochainement, l'association collaborera à nouveau avec le projet d'échange The PlayWall organisé par Alt Del, en partenariat avec le Pullman. La première édition a eu lieu en mars avec comme invités les grapheurs Ernesto Novo et Diablos. La prochaine session aura lieu le 14 juin.
Plus d'informations sur la page facebook Yataal Art

laure solé
Publié le 30 mai 2019, mis à jour le 6 janvier 2021

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